PROFESSEUR PIERRE NAKOULIMA, SPÉCIALISTE DES QUESTIONS ENVIRONNEMENTALES : « La catastrophe climatique est inéluctable… »Professeur titulaire à l’Université de Ouagadougou et directeur du Centre d’étude pour la promotion, l’aménagement et la protection de l’environnement (CEPAPE), Pierre Gomdaogo Nakoulima, est l’un des scientifiques les plus émérites en matière d’environnement au Burkina. Militant altermondialiste, il a publié plusieurs ouvrages dont le dernier, « Préservation de la Planète, défis contemporains de la modernité » vient de paraître à l’Harmattan. Sans détour, ni langue de bois, ce combattant de l’écologie livre son point de vue sur les grands enjeux environnementaux de l’heure. Sidwaya (S.) : Il y a quelques semaines, les gouvernements du monde entier ont clôturé le sommet mondial sur le développement durable, Rio+20. Quel bilan faites-vous de cette grand-messe mondiale ? Pierre Gomdaogo Nakoulima (P.G.N.) : Il est vrai que certaines personnes pensent que ce sommet est une grande foire. Mais je pense que c’est une bonne chose que les hommes politiques s’intéressent à la question environnementale. Si on parle de Rio+20, c’est parce qu’il y a eu Rio en 1992 et Rio+10 en 2002 à Johannesburg. Déjà ce qui s’est passé à Rio en 1992, est un évènement majeur, l’une des premières expériences mondiales en matière de débats sur l’environnement. C’est à Rio que le rapport Brundtland a lancé la question de développement soutenable ou durable. On se souvient que Johannesburg a été marquée par la célèbre formule de l’ancien président français, Jacques Chirac qui disait que « la maison brûle et nous regardons ailleurs » pour montrer la gravité des problèmes environnementaux. Ces sommets ont au moins le mérite d’attirer l’attention des populations sur la gravité des problèmes environnementaux. Parce que jusqu’à présent, les populations n’ont pas une conscience aigüe de cette crise de laquelle on n’en sortira plus jamais. En réalité, nous ne pourrons plus revenir sur bien des acquis de la modernité. C’est ce qu’un auteur a appelé « la pression du confort » pour signifier que le confort a un coût environnemental qu’il faut payer et nous ne pourrons plus vivre sans ce confort. Je crois que ces sommets ont quand même une certaine utilité car, ils permettent de débattre de la situation et d’envisager des pistes de solution. S. : Pourquoi les grandes puissances comme les Etats-Unis et la Chine qui de surcroît sont les plus grands pollueurs de la planète refusent de faire des efforts conséquents comme la ratification du protocole de Kyoto ? P.G.N. : En matière d’environnement, les intérêts sont énormes et très divergents. Vous vous souvenez de cette phrase de l’ancien président américain George Bush fils : « Le niveau de vie de l’Américain n’est pas négociable » pour signifier qu’il ne pouvait pas aller vers une réduction des oxydes de carbone en ratifiant le protocole de Kyoto. Pour lui, ratifier ce protocole, c’est réduire le niveau de vie des Américains et en tant que politique, il ne voulait pas prendre le risque de prendre une telle décision et décevoir un certain électorat. Il faut donc avoir une conscience aigüe des problèmes environnementaux, se situer au-dessus de la mêlée pour pouvoir aller vers des décisions rigoureuses. Je vous rappelle également cette boutade de Vladimir Poutine qui, avant de ratifier le protocole de Kyoto, disait que si la température de la terre montait de un (1) degré, ce n’était pas un problème pour la Russie car il fait très froid chez eux et cela allait leur permettre d’éviter de tuer les animaux pour la fourrure. Donc ce qui est un problème pour certains peut ne pas l’être pour d’autres. C’est la conscience aigüe sur des problèmes environnementaux qui va permettre de surmonter les intérêts égoïstes pour aller vers de vraies décisions. Pourtant, nous Africains, serons les grandes victimes de la crise environnementale. Déjà, les réfugiés environnementaux sont plus nombreux aujourd’hui que les réfugiés politiques et cela va s’accentuer. Malheureusement, les politiques ont cette vision étriquée de leur pouvoir et de leur réélection qu’ils ne voient pas les défis majeurs de l’humanité. Par exemple, aucun président ne peut dire en France que chacun abandonne son véhicule pour emprunter le transport en commun, au risque d’être très impopulaire. Chacun est recroquevillé sur ses intérêts particuliers alors que la question environnementale dépasse les frontières et pose même l’avenir de la planète. C’est toute la difficulté des politiques, et il faut que les associations soient de plus en plus fortes pour les bousculer. S. : Au vu de la réticence des grandes puissances de prendre des engagements forts en faveur de l’environnement, en tant qu’altermondialiste, pensez-vous vraiment qu’un autre monde est possible ? P.G.N. : Il y a de l’espoir. Vous savez, la conscience environnementale s’est inscrite dans le domaine politique à partir des partis écologiques d’abord et c’est après que les Etats s’en sont saisis. Aujourd’hui, tous les Etats ont des ministères en charge de l’Environnement. En même temps, en tant que militant et chercheur, je dirai que la catastrophe climatique est inéluctable. Inéluctable par rapport même à nos représentations du bien-être qui sont les mêmes partout et qui se traduisent par l’accumulation de biens matériels qui ont un coût environnemental qu’il faut payer. Quel que soit le jeune que vous prenez aujourd’hui, quand il dit « j’ai réussi ma vie », c’est en rapport avec des éléments matériels qu’il a accumulés. La maison, la voiture, les climatiseurs, etc. Tout ce confort a un coût environnemental qu’il faut payer. Toutefois, l’heure n’est pas au pessimisme. Comme le disait un auteur, « de la même manière que nous naissons et que nous savons que nous allons à la mort, cela ne nous empêche pas de nous battre, de réussir notre vie et de mourir ». Même si la crise environnementale est aigüe et que la catastrophe semble inéluctable, nous devons nous battre pour différer cette catastrophe et prolonger le temps de sursis. C’est pour cela que des centres comme le CEPAPE existent pour doter les Etats de compétences en matière d’environnement afin d’essayer de trouver des solutions. Nous ne pouvons plus dire aux populations d’arrêter d’emprunter les avions, d’arrêter d’utiliser les climatiseurs, d’aller vivre au clair de lune, mais il nous appartient d’avoir des attitudes qui ne soient pas aussi destructrices de l’environnement comme elles le sont aujourd’hui. Nous continuons des déboisements très fortes alors que l’on sait que les puits de carbone (forêts, les premiers mètres du sol, la mer) n’arrivent plus à engloutir le carbone. Nous détruisons plus d’arbres que nous ne plantons et nous émettons plus de dioxyde de carbone. Voilà des domaines sur lesquels nous pouvons agir fortement mais il faut de la volonté politique et des actions vigoureuses. S. : Dans ce contexte où les problèmes environnementaux sont de plus en plus accrus, quel pourrait être l’avenir de la planète ? P.G.N. : Les anticipations nous disent que si la température de la terre monte de un (1) degré, ce sera la fonte des grands glaciers, la disparition des terres du littoral (le Bangladesh, la Hollande, le Togo…), donc nous aurons des bouleversements de l’agriculture, beaucoup plus de réfugiés de l’environnement, une recrudescence des tsunamis, des cyclones…Il y a aussi ce qui est constatable aujourd’hui comme les nappes phréatiques qui sont polluées, ces dioxydes de carbones qui dépassent les capacités des puits de carbone, etc. Si nous prenons le cas du Burkina, nous avons le péril du plastique. Le plastique que nous jetons banalement a 400 ans de vie. C’est donc une pollution pour des générations et des générations, mais j’ai l’impression que pour des intérêts économiques qui ne disent pas leur nom, l’on ne fait pas grand-chose. Dans un pays comme le Rwanda, on vous retire vos sachets plastiques à l’aéroport, le plastique n’y entre pas. C’est une volonté politique S. : Certains scientifiques pensent que le réchauffement climatique est un phénomène naturel indépendant de l’action de l’Homme. Votre avis par rapport à cette thèse ? P.G.N. : Il est vrai que même sans l’intervention de l’Homme, les changements ont toujours existé. C’est le cas par exemple de la disparition des dinosaures qui n’a pas été l’œuvre de l’Homme, mais il reste qu’aujourd’hui l’action de l’homme a accéléré les choses. Par exemple, les puits de carbone sont saturés parce que l’action de l’homme produit plus de dioxyde que ces puits ne peuvent engloutir. Aujourd’hui, le réchauffement climatique est une réalité. Le pire est que les prévisions les plus optimistes disent que si nous arrêtons aujourd’hui toute sorte d’émissions, il nous faut environ un siècle et demi pour revenir à un niveau normal, alors que l’Homme n’est pas prêt de s’arrêter. S. : A votre avis, le concept du développement durable est-t-il juste un terme à la mode ou un véritable modèle de développement ? P.G.N. : Le développement lui-même a été un échec. S’il avait été une réussite, on ne lui accolerait pas l’adjectif durable. Cela veut dire également que premièrement, tout ce qu’on nous a raconté sur le développement n’a pas marché. Deuxièmement, ce que cette notion m’inspire comme leçon est que la question du développement devient aussi une préoccupation pour les pays dits développés, ce n’est plus l’apanage seulement des pays dits pauvres parce qu’on accole un volet environnemental au développement. Le développement tel qu’il a été défini par les économistes, c’est l’accumulation matérielle, en d’autres termes c’est une exploitation à la fois des hommes et de la nature. On utilise les hommes dans le processus d’exploitation de la nature. Ce qui veut dire qu’on a juste aménagé un volet environnemental pour que ce développement puisse se poursuivre. Un auteur comme Serge Latouche a dit que c’est une contradiction dans les termes parce que personne ne veut que l’exploitation à la fois de l’homme et de la nature se poursuive. Du coup, j’ai l’impression que nous utilisons ce terme parce que c’est à la mode et que cela nous permet d’avoir des financements mais cela ne résoudra pas nos problèmes. On verra que d’ici quelques années, ils vont nous trouver encore autre chose. Si nous prenons cette notion de développement, nous avons eu toutes sortes de développement. Nous avons eu un développement authentique, endogène, participatif, communautaire jusqu’à ce fameux développement durable. Mais la grande difficulté aujourd’hui est que les Occidentaux, qui représentent 20% de la population mondiale, consomment 80% des richesses de la terre et si nous devons tendre vers leur modèle, cela veut dire que c’est la fin de la vie sur terre, parce que nous sommes 4 fois plus nombreux qu’eux. Si nous devons atteindre leur niveau de vie, cela veut dire qu’il faut que l’on multiplie les problèmes par quatre. En d’autres termes, cela veut dire que le modèle de développement du Nord n’est pas généralisable, mais en même temps, il faut aller vers quel type d’évolution ? Puisque notre aspiration au bien-être est légitime. Mais comment concilier notre aspiration au bien-être avec les limites de l’environnement ? Voilà une question à laquelle personne ne répond. Les grandes institutions n’en parlent pas. Ils nous disent que nous sommes en voie de développement, c’est quelle voie ? Depuis les indépendances, nous courons vers le développement, c’est une course sans poteaux d’arrivée. Tout cela démontre que le développement durable n’a pas de sens. S. : La protection de l’environnement n’est-elle pas une contrainte pour le développement des pays africains, quand on sait que toutes les grandes puissances ont détruit massivement la nature pour se développer ? P.G.N. : Dans ce que je dis, il ne faut pas croire que la préoccupation environnementale c’est nous (les pays du Sud) qui devons faire les plus grands efforts, c’est aux pays du Nord de réduire leur niveau de vie. Les auteurs qu’on appelle objecteurs de croissance nous disent qu’il faut que le Nord accepte de réduire son niveau de vie pour que les pays du Sud espèrent voir la leur s’élever. Ces objecteurs disent que la croissance qui est le maître-mot de l’économie est une aberration, parce que nous ne pouvons pas avoir une croissance illimitée dans un monde aux ressources limitées. Il faut donc aller vers une décroissance, mais la décroissance ce ne sont pas les pays du Sud. La décroissance, ce sont aux pays du Nord qui sont les grands gaspilleurs d’accepter de réduire leur niveau de vie. Il faut savoir que nous n’avons pas une autre planète Terre, alors qu’au titre de l’empreinte environnementale actuelle, on nous dit que nous consommons comme si nous avions trois planètes Terre. Ce qui veut dire que si les pays du Sud doivent atteindre le niveau des pays développés, il faudra multiplier par 4, cette situation ; donc nous allons consommer comme si nous avions 12 planètes Terre. La justice environnementale voudrait que ça soit le Nord qui fasse d’énormes efforts. Le problème se pose donc davantage pour le Nord que pour le Sud. Il est vrai que c’est des choses qu’on ne dit pas souvent. Ces objecteurs de croissance constituent une minorité qui se bat pour faire comprendre que la richesse du Nord est une opulence insolente par rapport à la misère révoltante qui est la nôtre dans nos pays. C’est le Nord qui doit sérieusement réduire son niveau de vie. C’est ce qu’on appelle la décroissance conviviale qui a été lancée par un auteur comme Serge Latouche en France. S. : Pour le cas du Burkina, quels sont les grands enjeux environnementaux de l’heure ? P.G.N. : Pour le cas du Burkina, j’aimerais prendre comme exemple, le cas de la construction du barrage de Ziga. Une étude d’un de nos étudiants a montré que le barrage de Ziga a été une catastrophe environnementale, car celui qui a exécuté le projet n’a tenu compte d’aucune des recommandations qui ont été faites en matière d’environnement. Nous avons voulu que nos juristes de l’environnement élaborent un projet de loi que nous allons soumettre à l’Assemblée nationale pour que quand même, au niveau des grands projets que l’on exécute, que l’on ait un moyen de contraintes face à ceux-là qui exécutent les projets. L’objectif étant d’obliger les entreprises à avoir un minimum de respect pour l’environnement. Au niveau des mines actuellement, c’est véritablement une catastrophe environnementale. Il faudra que l’Etat fasse des efforts pour sévir en la matière et obliger ces exploitants à un minimum de respect de l’environnement. Nous avons mené une étude également sur l’impact des eaux industrielles usées de Kossodo sur le bassin du Massili. Nous avons constaté que la nappe phréatique est touchée tout le long, les maraîchers qui sont installés et qui utilisent cette eau produisent des légumes contaminés qui en réalité sont impropres à la consommation. Nous devons dépasser les intérêts mesquins, partisans et égoïstes pour envisager le bien-être de la population, et non pas les « sous » que certains opérateurs économiques se font. Je pense que sur ce plan, il y a une réelle volonté politique qu’il faut avoir. Nous avons beaucoup d’études qui ont été menées mais rien n’a été fait. Nous avons constaté par exemple dans certaines études que de l’huile de frein est utilisée pour la conservation de la viande. Des métaux lourds qu’on utilise dans l’alimentation. Il y a des huiles impropres à la consommation qui arrivent ici pendant que certains pays ont empêché que ça rentre chez eux. Et que dire des pesticides de plus en plus utilisés dans notre pays sans grand contrôle. Comme perspective, Il faut renforcer l’éducation environnementale, non seulement à l’école primaire mais aussi dans le secondaire, etc. Nous avons élaboré des manuels dans ce sens. Cela est très important car c’est clair qu’au stade où nous sommes, nous devons vivre en permanence avec ces problèmes environnementaux. Nous produisons donc l’information scientifique, maintenant, il appartient aux politiques de prendre des décisions fortes pour protéger la population de certains fléaux environnementaux. S. : Il y a de plus en plus des partis politiques qui se réclament du mouvement écologique au Burkina. Quel est votre point de vue sur leurs actions ? P.G.N. : Je distingue l’écologie politique de la politique de l’environnement. Ici, les partis dits écologistes inscrivent plutôt leurs actions dans la politique de l’environnement qu’autre chose. L’écologie politique prône le changement de notre mode d’organisation sociale et économique avec l’utilisation de technologies propres comme les énergies renouvelables. Ce que nos partis écologistes développent ici, s’inscrivent plutôt dans une logique de la politique de l’environnement qui est d’aller reboiser dans tel ou tel espace. Dans un de mes écrits, je disais que « les verts pataugeaient dans le vert pâturage de leur enfance… » Ils s’occupent plus de planter des arbres que de secréter une véritable conscience environnementale et de donner des connaissances fortes en matière d’environnement. Nous essayons dans le cadre associatif de donner ce type d’information. Ces partis sont dans des querelles de clochers avec des divisions en leur sein alors que l’écologie est tellement importante qu’il ne devrait pas donner lieu à ces querelles intestines. S. : Vous produisez de nombreux documents scientifiques sur les problèmes environnementaux, mais qui restent confinés dans le domaine universitaire. Pourquoi n’y a-t-il pas une grande vulgarisation de ces études ? P.G.N. : J’aimerais interpeller les hommes de médias à s’intéresser davantage aux questions environnementales car il y a bien de choses qu’il faut porter à la connaissance des populations. Il y a des personnes qui posent des actes sans avoir conscience des conséquences. Par exemple, le porc au four que l’on affectionne tant. L’on ne se rend pas compte que l’huile dont la température est élevée régulièrement à haute température est cancérigène et le vendeur ne le sait pas, car pour lui, tant que l’huile n’a pas noirci, il est utilisable. C’est autant de choses que nous aimerions porter à la connaissance de la population, mais cela nous ne pouvons pas le faire sans l’accompagnement de la presse. Raphaël KAFANDO Sidwaya Vos réactions (6) |