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Conflits armés et geurres civiles en Afrique : Des causes multiples et des responsabilités partagées (Suite et fin)

mercredi 29 septembre 2004.

 

La semaine dernière, nous avons abordé les aspects relatifs à l’héritage colonial, au commerce international inégal et le premier point concernant les problèmes politiques. Aujourd’hui, nous nous intéressons aux aspects qui ont trait à deux autres problèmes politiques, à la gouvernance économique et à la question de savoir si ce qui arrive à l’Afrique peut être évité.

Si l’on met de côté les longues années au pouvoir, qui finissent par user et scléroser les régimes et les leaders, il y a lieu de relever la monopolisation de l’appareil et du pouvoir d’Etat par une ethnie, une race, une région ou une religion. Cette situation est favorisée par le fait que nos pays, comme on le sait, sont seulement des Etats composés d’une diversité de cultures, de langues, (parfois) de religions, de races et de régions.

C’est dire que cet ensemble ne s’est pas encore brassé et n’a pas encore accouché d’un citoyen à travers lequel tout le monde se reconnaît. Nous sommes d’abord le fils d’un tel et d’une telle ayant vécu dans tel village, de tel département, de telle province, avant, par exemple, d’être Burkinabè.

Au plan linguistique, c’est bien souvent la langue du colonisateur qui est le dénominateur commun de cette mosaïque de peuples. Aussi, si l’Etat-nation n’est pas encore une réalité, des risques existent qu’une des composantes de la société s’approprie le pouvoir au détriment des autres.

Ces dernières, ne voulant pas se laisser dominer par une composante qui n’a pas plus de légitimité qu’elles, peuvent décider de prendre les armes et de s’offrir ainsi par la force ce que le bon sens, la morale et le droit international leur reconnaissent comme droits.

Une telle décision contribue à semer la désolation et la mort au sein des parties en conflit et de l’innocente population civile, mais c’est hélas bien souvent la seule façon pour ceux qui sont victimes de discrimination de se faire entendre.

En général, ils y parviennent pour la simple et bonne raison qu’ils n’ont plus rien à perdre, ayant déjà tout perdu sauf leur vie. Mais à quoi sert-il de vivre si c’est pour être traités comme des sous-hommes ; autant mourir en servant une bonne cause : celle de lutter pour un meilleur avenir des leurs.

Dernier problème politique qui peut être à la base des guerres civiles : les transitions démocratiques mal assumées : le début des années 90 a été marqué par le printemps de la redémocratisation de l’Afrique.

Des systèmes démocratiques et libéraux ont succédé aux régimes militaires ou à parti unique. Malheureusement, nombre de ces changements ne l’ont été que de façade. Dans la plupart des pays en guerre, les institutions démocratiques, dont l’indépendance des unes vis-à-vis des autres ne relevait que du discours, n’ont pas pu répondre aux attentes des citoyens, assoiffés de recouvrer leurs droits après des années de mise en veilleuse.

Conséquence : "Si le régime militaire ou à parti unique nous a privés de nos droits, et si l’Etat de droit démocratique et libéral n’a pas pu ou su répondre à nos aspirations légitimes, il ne reste alors qu’à réaliser ces aspirations grâce au fusil", se disent-ils.

Les problèmes liés à la gouvernance économique

Aucun pays, aucune personne ne sont au-dessus de la corruption. Tous, nous sommes exposés ; tout est question d’opportunité, de risque, de montant. Mais comme les défauts à l’échelle individuelle, il y a un seuil au-delà duquel on ne peut vous comprendre, encore moins vous excuser.

Le pays à corruption zéro n’existe pas, mais ses ravages sont encore plus visibles dans nos pays qu’en Europe ou aux Etats-Unis, où le niveau de vie de la population est tel que les gens sont à l’abri des besoins primaires élémentaires et où l’écart entre le plus riche et le plus pauvre est proportionnellement plus petit qu’en Afrique.

Ainsi, à cause de la corruption, cet écart se creuse, les châteaux du futur trônent dans les mêmes villes que les taudis pour ne citer que cet exemple. De ces constats, naissent des frustrations et des tensions psychiques, dont le solutionnelement, selon celui qui se sent lésé, réside dans la violence.

Chaque être humain aspire à un bien-être, à un mieux-être. Comment ne pas ressentir la même chose que ceux qui combattent l’injustice les armes à la main, quand des gens qui ont le même diplôme que vous, dans le meilleur cas, sont multimillionnaires, voire milliardaires grâce à leurs positions dans l’appareil administratif, alors que vous avez de la peine à assurer le "nasongo" du 1er au 30 du mois ? Peut-être l’aisance financière de l’autre est-elle tout à fait le fruit d’activités honnêtement menées et justement rémunérées. Dans ce cas, l’Etat devrait se donner les moyens de lever l’équivoque.

Surtout que l’environnement socio-économique est marqué par le chômage des jeunes diplômés, qui, parce qu’intellectuellement bien armés, sont susceptibles de constituer des terreau fertiles pour l’ensemencement des idées contestataires et des théories selon lesquelles la violence paie. Cette monopolisation des richesses nationales par certaines élites a été un des ingrédients ayant provoqué la guerre civile dans certains pays.

Des situations évitables ?

La présence d’un ou de plusieurs de ces facteurs dans un pays contribue à brader la confiance du citoyen vis-à-vis des institutions, fragilise celles-ci, peut entraîner des coups d’Etat à répétition (ou au moins des tentatives présumées ou non de coups d’Etat), l’instabilité chronique ou la guerre civile avec/ou sans la participation d’armées étrangères ou de mercenaires. En fonction des enjeux, cette guerre civile peut donner naissance à un conflit régional, étant donné qu’aucun pays ne vit en vase clos.

Cela étant, ces situations sont-elles évitables et comment ? Très facile à poser comme question, il est par contre difficile de lui trouver une réponse pratique et pertinente. En effet, ce ne sont pas les réponses qui ont manqué à cette interrogation depuis 1990. N’empêche, chacun peut apporter sa quote-part.

A notre avis, il y a d’emblée lieu de dire que la sempiternelle dénonciation du caractère artificiel des frontières héritées de la colonisation est un faux problème ; comme l’est celle qui consiste à dire qu’on a obligé des ethnies qui ne se connaissaient ou ne s’entendaient pas à vivre sur un même territoire.

En effet, les grandes entités politiques (principautés, royaumes, empires) ont toujours et d’abord été un fait bureaucratique et arbitraire fondé sur la force. Par exemple, les frontières actuelles de la France ne datent que des XVIIIe et XIX siècles. Avant cela, elles fluctuaient en fonction des rapports de forces en Europe sur le plan militaire.

En Afrique, nous nous vantons de la puissance de l’ancien empire de Ghana. A l’école primaire, on nous a appris que ce fut le plus puissant des empires noirs (au moins en Afrique de l’Ouest, qui comprenait les royaumes de Tekrum et d’Aoudaghost). Le Xe siècle a marqué l’apogée de sa puissance, et il a été tantôt gouverné par les Blancs berbères, tantôt par les Noirs.

Dès lors, peut-on imaginer un seul instant que les frontières de cet empire n’aient pas été artificielles ? Autrement dit, un empire d’une telle grandeur peut-il se construire sans obliger des peuples qui ne se connaissaient pas ou se qui haïssaient à vivre ensemble ?

De toutes les façons, il est vraisemblable que, même si le colonisateur européen ne nous avait pas obligés à le faire, l’évolution interne de l’Afrique aurait pu donner naissance à des entités politiques similaires à celles qui existent aujourd’hui ou presque.

Cette mise au point faite, nous croyons que la solution aux conflits armés civils sur notre continent se résume à quatre (4) choses :

- une forte volonté politique de la part des leaders dans le domaine de la bonne gouvernance politique et économique ;
le respect, par les voisins, de la souveraineté de chaque pays ;

- la fin du soutien que l’Occident apporte aux chefs d’Etat qui se conduisent en roitelets alors qu’ils président aux destinées de peuples citoyens et non de peuples sujets ;
une "équité" dans les relations économiques internationales.

La mise en œuvre de cette recette n’est certainement pas chose aisée ; tant et si bien que l’on peut s’interroger sur son applicabilité. Mais son mérite n’aura-t-il pas été d’avoir été posée ? En tout cas, c’est ce que nous espérons que le lecteur retienne.

Zoodnoma Kafando
L’Observateur