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Saint Claver Oula, rédacteur en chef de : « Le Nouveau courrier » « Notre sacrifice en valait la peine »

jeudi 12 août 2010.

 

Nos confrères ivoiriens de « Le Nouveau courrier », le directeur de publication, Stéphan Guédé, le directeur des rédactions, Théophile Kouamouo et le rédacteur en chef, Saint Claver Oula ont été des pensionnaires de la maison d’arrêt et de correction d’Aabidjan (MACA), accusés de vol puis de recel. Il est vrai qu’on dit souvent que le journalisme mène à tout, là c’est la totale. Le procès rappellera l’histoire de montagne qui accouche d’une souris. La condamnation de 15 jours de suspension du titre et les 5 millions d’amende ne sont rien devant la volonté du procureur qui voulait 12 mois fermes. Mais le rédacteur en chef que nous avons rencontré, estime que ce procès est une victoire pour la presse ivoirienne et la liberté de la presse.

Comment les responsables de votre journal se sont-ils retrouvés en prison pour vol puis recel ?

Sur ordre du procureur de la République, Kiémou Fémon Reymond qui a estimé selon ses propres termes, que nous avons volé des documents administratifs que seul le président de la République, lui et le juge d’instruction sont censés détenir.

Sur ce chef d’accusation, il a exigé notre arrestation par la police criminelle qui nous a détenu trois jours durant dans ces locaux au violon. Nous avions connu « le blindé », un jargon du milieu qui signifie que le détenu n’a pas droit à la lumière du jour. Par la suite, nous serons déférés à la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (MACA) où nous avons séjourné 12 jours.

Aviez-vous été victimes de maltraitance ?

Au violon de la police criminelle, c’était infernal. J’étais sous traitement pour une inflammation à l’estomac quand cette affaire a éclaté. Vous imaginez ma douleur. Nous avions été jetés en prison aux côtés des plus grands bandits. Nous étions entassés comme des sardines.

On passait plusieurs heures assis ou debout. Impossible de se coucher. En plus, nous avions subi des sévices moraux. On nous a privé de tous contacts avec les visiteurs, notamment nos confrères. Nos geôliers voulaient éviter que nous révélions les souffrances dont nos avions été victimes. Au parquet où nous avions connu le violon, le temps d’être déféré, nous avions connu des conditions aussi pénibles. Dans cette cellule, les détenus y font leurs besoins naturels.

C’est invivable. Par contre à la MACA, contrairement à ce que vous pouvez vous imaginer, nous avions eu un traitement mémorable. Les prisonniers nous attendaient. Ils nous ont réservé un accueil chaleureux. Ils savent que nous pouvons être leur porte-voix. Ils savent que nous allons vivre leurs propres conditions et nous en parlerons quand nous serons libres.

Nous avions des gardes du corps prisonniers. Nous avions des coursiers, des accompagnateurs qui veillaient sur nous. Un réseau de surveillance s’est effectué autour de nos personnes, afin d’éviter d’éventuels attentats contre nos vies. Les prisonniers craignaient que nous soyons à la merci des barons de la filière café-cacao qui sont aussi détenus à la MACA et sur lesquels nous savons beaucoup de choses. Quand est venue l’heure de notre libération, nos codétenus ont fait une haie d’honneur pour nous dire adieu. C’était très émotionnel.

A votre avis, l’issue de votre procès, somme toute, favorable, vous le devez aux pressions ou à l’argumentation juridique ?

Le procureur de la République a voulu opérer un passage en force. La loi sur la presse en Côte d’Ivoire votée en 2007 dit qu’il ne faut pas mettre un journaliste en prison pour un délit de presse. Nous aurions pu nous voir infliger une peine pécuniaire, en l’occurrence une amende mais pas la prison. En outrepassant cette loi pour nous envoyer en prison, le procureur de la République a violé la loi. Nos avocats, 6 au total, ont démonté les arguments du procureur de la République.

A un deuxième niveau, notre détention a fait l’objet d’une mobilisation exceptionnelle. Je vous l’avoue, cette mobilisation a fait que notre moral était haut. Nos confrères ivoiriens, toutes tendances confondues, les confrères internationaux ont fait bloc. Les organisations de défense des droits de l’homme, des chancelleries telles que celles de la France, des USA ont produit des communiqués pour demander notre relaxe.

Cette mobilisation a contraint aussi les autorités judiciaires à revoir leur stratégie. A tous ces acteurs, je dit merci. Je suis surtout fier de voir qu’en Côte d’Ivoire l’union s’est faite pour défendre la profession. Si le procureur parvenait à ses fins, cela allait être une sorte de porte ouverte. Et désormais, les journalistes allaient être jetés en prison. La liberté de la presse même était menacée.

Pourquoi le procureur vous en voulait-il autant ?

Le procureur s’est trop précipité. Dans un premier temps, il nous a accusé de voleurs. Puis il fait un virage à 90° pour dire que nous ne sommes plus les voleurs qu’il pensait mais cette fois-ci, nous sommes des receleurs.

Il affirmera avoir mis la main sur son voleur qui n’est personne d’autre que son conseiller en communication, lui-même journaliste de formation. Cette précipitation nous fait dire que le procureur avait peur pour son poste. Mais je pense qu’il a utilisé la mauvaise manière. Le droit a été dit. Je pense qu’il ne faut pas désespéré de cette justice ivoirienne-là. Il y a encore des magistrats qui vont correctement leur boulot. C’est une des leçons que j’ai pu en tirer.

Une action envisagée contre le procureur ?

Nous avons beaucoup perdu dans cette affaire. Je disais être moi-même sous traitement. Je suis obligé de tout reprendre. Ce qui coûte cher. J’ai une petite santé qui ne me permet pas de me donner à fond à l’entreprise. Le directeur des rédactions se trouve en ce moment en France pour prendre un temps de repos. L’action du procureur nous a causé d’énormes préjudices. Nous allons étudier avec le concours de nos avocats, la suite à donner à cette affaire.

Le journal va-t-il reprendre vie ?

Oui, je suis affirmatif. Il reviendra dans les kiosques de plus belle manière.

Quand on est au fond de sa cellule dans la peau d’un journaliste, que se dit-on ?

L’état d’esprit qui se dégageait entre nous trois codétenus, c’est qu’il fallait rester forts. Dès notre interpellation, nous nous sommes préparés psychologiquement à plusieurs mois de prisons. Nous avions compris que notre emprisonnement allait être un sacrifice qui en valait la peine. Nous jouions la liberté de la presse.

Aviez-vous l’impression d’avoir réussi la mission qui s’est imposée à vous ? Désormais, un journaliste n’ira plus en prison pour les mêmes causes qui vous ont été reprochées ?

A partir de cette affaire et vu la mobilisation, je crois que l’autorité pourra se montrer plus prudente dans l’avenir. L’opinion a pu savoir que la protection des sources est sacrée en journalisme. Et aucune autorité ne va plus se risquer sur ce secteur-la. Un pas important a été posé.

Interview réalisée par Jérémie NION

A Abidjan

Sidwaya