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Commerce ambulant dans la ville de Ouagadougou : Un gagne-pain aux multiples risques

mercredi 8 octobre 2008.

 
Malgré le danger de la circulation, ces marchands espèrent attirer une clientèle avec ces chaussures.

Le phénomène de commerce ambulant est en pleine croissance à Ouagadougou. Il prend de nos jours, des proportions importantes et inquiétantes, posant ainsi le problème de l’entrée des sociétés africaines dans le processus d’urbanisation.

Des personnes de tous les âges et des deux sexes sillonnent les quartiers et services administratifs avec, les uns, des articles de toutes sortes, les autres des produits alimentaires à la recherche de leur pitance quotidienne. Couramment appelés vendeuses et vendeurs ambulants, ces femmes et hommes sont majoritairement jeunes. ls sont élèves des lycées et collèges, déscolarisés ou analphabètes. Ils ont un âge compris entre 7 et 35 ans et constituent de ce fait, une frange importante de la population. Certains d’entre eux viennent des campagnes à la recherche d’un mieux-être.
Il est midi et demi quand nous arrivons au Centre d’écoute pour jeunes de l’Association burkinabè pour le bien-être familial (CEJ/ABBEF) de Ouagadougou.

L’ambiance est bon enfant. La cour est bondée de jeunes et on se croirait à un "dassandaga" (kermesse).
Certains, vautrés sur leurs marchandises, d’autres occupés à des jeux de société et des jeux éducatifs et d’autres encore, au kiosque du centre pour se restaurer. C’est l’heure de la pause pour ces jeunes. Nous nous sommes donc approché d’eux pour en savoir plus sur leur métier.

Habibou Sanfo vend des arachides de quartier en quartier afin de pouvoir assurer son repas quotidien. "Les hommes me font des avances. Ils demandent à "tout" acheter. Entendez par là y compris moi-même", dit-elle. Pendant que Biba et sa copine Safi, très jeunes, portent les assiettes pour pouvoir acheter leurs fournitures. Ce sont des fillettes visiblement malades que nous avons rencontrés, mais qui se refusent le repos et croupissent sous la chaleur et la pluie dans l’espoir de rapporter du grain à la maison. Abdou Ouédraogo, pour sa part, vend de la friperie afin de gagner dignement son pain et acheter lui aussi ses fournitures.

Il déclare : "Si on est assis à la maison, on nous prend pour des voleurs". Il affirme que son métier ne lui rapporte pas beaucoup de revenus et lorsqu’il ne fait pas de bonnes recettes, il est exposé, "on préfère la faim que d’être grondé". En plus "nous avons de réels problèmes. Les gens nous menacent en permanence, certains veulent nous frapper, ils nous méprisent quand on rentre dans les bars et services, et même sur la voie publique, les gens nous agressent".
Et Abdou, avec ce qu’il gagne (maximum 6 000 F CFA la journée) projette de s’inscrire dans un établissement technique où il aura la possibilité de faire un cycle court et rentrer sur le marché du travail.
Rasmané Kaboré lui, peut faire la navette de Tampouy où il réside, à la Patte d’Oie pour recueillir seulement 200 F CFA. Et le jour où il a la faveur du marché, 1 000 F CFA. Il est vendeur de journaux et de cartes de recharge, il retient sur chaque journal vendu, 25 F CFA et sur chaque carte, 50 F CFA.

Selon ses mots, "ça ne marche pas". Dans le même ordre d’idée, Amadou Dicko soutient qu’il vend des tickets de loterie et qu’il a droit à 25 F CFA sur chaque ticket vendu. Pour lui, "il faut dire à la LONAB d’augmenter les pourcentages sur chaque ticket vendu". Après qu’il n’eut terminé ses propos, un groupe de jeunes s’invite dans le débat. "On peut rentrer sans tacle", affirme un d’entre eux pour dire qu’il se débrouille. Ils vendent des chaussures, des fournitures de bureau et scolaires, des cassettes vidéo, de la quincaillerie, etc. Ils évoquent à tour de rôle les problèmes qu’ils rencontrent avec leurs employeurs, les clients et même dans leur vie personnelle.

Des menaces de toutes parts

Les clients achètent à crédit, et d’autres refusent de payer. "Les gens achètent mal, il nous insultent et nous méprisent", confie une jeune fille de 12 ans environ qui a requis l’anonymat. A l’instar de celle-ci, les autres intervenants refusent de nous donner leur identité. Pour eux, la menace est permanente car le jour où ils n’arrivent pas à écouler leurs produits, ils n’ont pas à manger, et les patrons menacent d’arrêter leur "contrat". Un autre jeune plus âgé qu’elle affirme "qu’on nous considère comme des voleurs et certains sont prêts à décourager nos clients quand ceux-ci veulent acheter nos produits.

Cela ne nous plaît pas du tout. N’est pas vendeur ambulant qui veut. On ne peut pas permettre à certaines personnes de décourager nos clients d’acheter nos produits sous prétexte qu’ils sont de provenance et de qualité douteuses".

Parlant de difficultés, ils citent les menaces verbales avec insistance et les agressions. Dans le même sens, un autre, plus jeune révèle que "la police nous arrête régulièrement pour qu’on verse des impôts. On nous considère comme des commerçants alors que nous ne le sommes pas. Quand on nous arrête, nos patrons se désengagent et ce sont nos parents qui vont se saigner pour nous sortir de là. D’autres échangent des faux billets de banque contre nos produits et nous créent des ennuis". Pour lui, "il faut arrêter de nous traquer sinon ça ne se passera pas toujours bien ainsi. La raison ? C’est celui qu’ils appellent "Koro" qui répond "himself" : "Nous souhaitons un jour nous installer pour nous reposer des longues marches. On veut se marier et fonder une famille un jour". Pour lui, il faut laisser tomber les impôts, régulariser le métier et enfin, "créer des emplois pour nous et tout sera fini".

Mais si pour eux (les vendeurs ambulants), les autres les menacent, en revanche ils sont eux-mêmes une menace. C’est du reste le point de vue de Donatien Ouédraogo, gérant de maquis. "Ces jeunes sont "emmerdants". Ils envahissent nos clients et les privent d’intimité. Quant ils viennent en groupe avec leurs articles, ils harcèlent nos clients. C’est là le problème majeur qu’on a avec eux et c’est pour cette raison aussi qu’ils sont interdits d’accès dans certains bars, services et maquis". C’est ce que va confirmer Perpétue Sankara, gérante de restaurant. "Il y a parmi eux des jeunes qui, après avoir fini de manger, me disent sèchement qu’ils n’ont pas d’argent et cela m’embarrasse. Certains reviennent payer leurs dettes, d’autres pas. Ils me reprochent même que mes plats coûtent cher (75 F CFA), mais c’est un prétexte. Moi aussi je nourris une famille et je paie le local. Ils tiennent un langage agressif". Elle soutient néanmoins : "je préfère qu’ils soient vendeurs ambulants que voleurs. Cela leur permet de n’être à la charge de personne".

Yamsim, un fonctionnaire apprécie le métier : "Les vendeurs ambulants nous soulagent beaucoup. On est souvent dans le besoin d’un article et le temps matériel manque pour faire le déplacement, mais avec eux, on a la facilité de se procurer le produit". Il ne manque pas d’ajouter qu’ils constituent même un danger de problème. "Les vendeurs ambulants sont sans traces. Les produits qu’ils nous vendent sont souvent de qualité douteuse ou de mauvaise qualité et on se retrouve du coup, dans un perte".

Un phénomène assez complexe

Le phénomène est assez complexe, ce qui explique la divergence des points de vue à son propos. Des personnes-ressources donnent leur opinion sur la question.
Hadissa Konaté est responsable du Centre d’écoute pour jeunes de l’ABBEF à Ouagadougou et travaille avec les jeunes aussi bien scolarisés que ceux qui n’ont pas fréquenté.

Pour elle, le métier de vendeur ambulant concerne les jeunes des deux sexes. Garçons comme filles ont des comportements à risque. Et ces comportements sont dus à leur âge car ils sont en majorité des adolescents et donc facilement manipulables. Et rien n’est fait pour aider ces jeunes, pour leur donner des informations justes.

Au titre des problèmes, "la plus jeune des jeunes" (c’est ainsi qu’on l’appelle au Centre) affirme que son service reçoit des cas de Grossesses non désirées (GND) et dont l’auteur est difficile à déterminer, des tentatives d’avortement, des Infections sexuellement transmissibles (IST) et la toxicomanie. Ces problèmes leur sont révélés lors de leurs entretiens avec les jeunes pour les informer et les sensibiliser. "Ils sont exposés aux accidents", poursuit-elle. Et elle cite les vendeurs de cartes de recharge en exemple.
En effet, ceux-ci, pour la somme de 200 F CFA, sont prêts à braver les accidents en traversant la voie publique.

L’ABBEF, à travers son Centre d’écoute, à entendre Mme Konaté, a intégré ces jeunes dans ses programmes. Selon elle, l’intervention de l’ABBEF concerne le volet santé de la reproduction pour le moment et avec ses collègues et collaborateurs, ils ont pu identifier certains sites de ces jeunes. Ils mènent donc des activités d’Information, d’éducation et de communication (IEC) en direction et au profit de ces derniers en vue de leur donner des connaissances à même de leur permettre de prendre des décisions responsables par rapport à leur santé sexuelle.

Car ajoute-t-elle, "personne n’ignore leur présence dans les grands centres. Le phénomène est là, il faut prendre les jeunes en charge". Vu leur âge, ils constituent la relève de ce pays. Et les autorités, les parents, bref la société toute entière est interpellée. "N’accusons pas la pauvreté généralisée. Soyons regardants pendant qu’il est temps. Sortons de l’attentisme avant qu’il ne soit trop tard", conseille Mme Konaté. Il faut donc intégrer les jeunes. Cette intégration passe par la réglementation du métier, la création de structures de prise en charge de ces jeunes car conclut Hadissa Konaté, "Ils constituent une force à même d’apporter de grands changements".

Pierre BOUGMA (Stagiaire)


Analyse du phénomène par un sociologue

Pour André Mano,sociologue et pasteur au Centre international d’évangélisation le métier de vendeur ambulant existe depuis une époque reculée. Certains de nos "richards" aujourd’hui ont d’abord été vendeurs ambulants, ce qui leur a permis de s’entraîner sur le terrain pour ensuite devenir ce qu’ils sont. Il précise que le phénomène a pris de l’ampleur avec les conditions drastiques sur le plan économique et la démographie galopante.

"Il fallait donc trouver des alternatives et cela a entraîné une multiplication du nombre de vendeurs ambulants". Tout cela ajouté à l’expérience d’ailleurs, notamment des pays côtiers où le phénomène est plus développé on assiste à son expansion. La plupart des vendeurs ambulants devenus riches proviennent de ces pays côtiers et ont développé un certain rythme économique, certaines attitudes et comportements économiques. Suite aux crises que connaissent ces pays, ces derniers se sont repliés dans leur pays d’origine et n’ont fait que transposer le phénomène.

"Il y a donc eu un phénomène d’initiation et cela a gonflé la situation et a amené beaucoup d’autres jeunes gens et de jeunes filles à s’y engager", affirme le pasteur-sociologue. Et de faire remarquer que ces vendeurs sont analphabètes et proviennent essentiellement des campagnes suite au phénomène de l’exode rural. Pour lui, le manque d’emploi en ville a, d’une part, provoqué le développement de ce métier, et d’autre part, la concurrence à laquelle sont exposés les commerçants les a convaincu squ’il ne suffit plus de rester collés à sa boutique sur place pour espérer enregistrer des gains. C’est ainsi qu’ils ont entrepris d’aller vers la clientèle.
"Tout phénomène social comporte en soi de bonnes et de mauvaises conséquences affirme M. Mano.

Ici, les conséquiences positives", c’est que le chômage diminue, les gens s’enrichissent de plus en plus" mais compte tenu du fait que l’homme est imparfait et son cœur pervers, il s’engage dans des actions qui lui nuisent plutôt que de contribuer à son développement. Ainsi sur le plan économique, avec ce phénomène, le service des impôts n’arrivent plus à récolter l’argent que les contribuables doivent à l’Etat. "Tous les vendeurs ambulants sont normalement des contribuables et on devrait leur imposer quelque chose", soutient le ministre de l’Evangile. Le service des Impôts n’arrivant pas à les saisir, cela peut nuire à l’économie nationale.

"Le phénomène a tendance à développer une certaine délinquance. Une délinquance fiscale et sociale. On voit parmi eux des dealers, des bandits et la cohésion familiale prend un coup". En effet, pour lui, il n’est pas rare de rencontrer des jeunes filles en âge de se marier et qui, du fait du commerce ambulant, ne savent même pas manier la spatule. Tout leur temps ayant été consacré à faire la ronde, elles se retrouvent dans leurs foyers sans avoir rien appris des travaux domestiques. Que faut-il faire ?

Pour l’homme de Dieu, l’Etat peut envisager l’organisation de cette activité pour qu’il n’y ait plus d’évasions fiscales, l’organiser de sorte à ce qu’on ait des retombées réelles pour le Burkina Faso. Sur le plan social, la réflexion mérite d’être menée sur la question. Pour M. Mano "les familles doivent être sensibilisées, conscientisées et éduquées au regard des conséquences auxquelles sont exposés les vendeurs ambulants". De son point de vue, il faut rencontrer les acteurs, eux qui vivent des difficultés de leur métier et qui connaissent les solutions à même de résoudre leurs problèmes. "Eux-mêmes détiennent les solutions. Il faut les sensibiliser de façon participative. Ainsi, le phénomène sera mieux organisé, mieux contrôlé car on n’a pas intérêt à ce que le phénomène disparaisse puisqu’on y tire quand même des bénéfices", dit-il.

Pierre BOUGMA (Stagiaire)

Sidwaya