Rentrée judiciaire : "Messe de requiem de la Justice ou marché de dupes ?"A quoi sert la cérémonie de rentrée solennelle des cours et tribunaux, autrement appelée rentrée judiciaire, qui a eu lieu le premier jour ouvrable du mois d’octobre ? A rien, selon l’auteur des lignes ci-dessous, avocat de son état, qui estime que sans réforme de la formule actuelle de ce cérémonial, il ne faut rien en attendre de bon. L’audience solennelle de rentrée judiciaire dans sa version de depuis toujours, a-t-elle quelque utilité pour notre justice ? L’on ne peut, de manière avertie, répondre par l’affirmative. En effet, elle a plutôt les allures sinon d’une messe de requiem de la Justice, du moins d’un marché de dupes où différentes personnes défilent à la barre des hautes juridictions réunies (Cour de cassation, Conseil d’Etat et Cour des comptes) pour dire des choses dont elles ne sont ni auteurs ni adeptes. En général, ce sont de beaux discours grammaticaux, pour la beauté de la langue française. Après les discours et le cocktail toujours offert en pareille circonstance, c’est fini. On oublie jusqu’au thème de la rentrée, en attendant l’année suivante pour un autre thème. La rentrée judiciaire, dans sa version actuelle, ne sert en rien la justice. Il n’y a d’ailleurs pas pire négation du principe de la séparation des pouvoirs lorsque les dépositaires du pouvoir judiciaire semble particulièrement intéressés à rencontrer l’Exécutif en lui faisant pratiquement allégeance ou en tout cas en le portant sur un piédestal. Il faut repenser la Rentrée Judiciaire au lieu de mal copier la métropole, ou, pour éviter de choquer l’ego de certains, ... l’ancienne métropole. On aurait compris une rentrée judiciaire où tout le personnel judiciaire est consulté pour déterminer le thème. Une rentrée où tout le personnel judiciaire vient dire sa lecture du thème arrêté. Une rentrée où un débat contradictoire est mené entre les acteurs de la justice (avocats, huissiers,magistrats) sur les maux qui la minent. Un débat contradictoire entre les mandataires du peuple (les juges) et le peuple lui-même sur l’état de la justice. Bref, une rentrée où on peut situer les responsabilités sur la lenteur légendaire de la justice, la partialité des magistrats, la déloyauté des avocats, la fourberie des huissiers, les sollicitations illicites du justiciable, la corruption, etc. Malheureusement, cette année encore, la rentrée judiciaire semble avoir tout d’un raté judiciaire. Le thème est choquant. Encore des discours de trop sur le cadre institutionnel et juridique de la lutte contre la corruption ... Vraiment ! Comme si les cadres n’avaient jamais manqué ! Les véritables problèmes qui minent la justice sont bien connus de tous. Les solutions aussi. Depuis, de nombreux rapports d’enquête, de séminaires et autres ateliers sur l’état de la justice et plus précisément de la corruption dorment paisiblement comme les personnes qu’ils ont mises en cause. Ce ne sont donc pas de trente minutes de discours de rentrée judiciaire que surgira une solution magique. Cela est d’autant plus évident que tout le monde sait qu’au Burkina Faso, la corruption est même parfois la colonne vertébrale de certaines institutions. Sinon pourquoi nomme-t-on dans les institutions dites de lutte contre la corruption, des personnes dont la preuve d’incorruptibilité passée ou a venir ne peut guère être rapportée ? Dans ces conditions, c’est une injure que de parler de "cadre institutionnel et juridique de lutte contre la corruption". Pourtant, la place du corrompu ou du corrupteur ne se trouve nulle part dans l’Administration mais dans une maison de correction. Cette ère-là relève malheureusement encore du rêve au sens propre. Dans le domaine judiciaire par exemple, la corruption n’a même plus l’importance d’un fait divers : on rit et... on continue. Sur le plan social, l’on vivra davantage la "décrédibilisation" et la "délégitimation" des institutions de l’Etat, du personnel, un accroissement du déficit de l’Etat de droit qui se traduira par le droit de la force (politique, financière) et non la force du droit... Pour paraphraser cet ancien secrétaire général de l’UNESCO, il faut plutôt dire que la corruption prenant naissance dans l’esprit des hommes, c’est dans l’esprit des hommes que doivent être élevées les défenses de l’indépendance, de l’intégrité et de la probité. Batibié BENAO, Avocat à la Cour Le Pays |