Daniel Kedem, ambassadeur d’Israël : "Le peuple juif a toujours tendu une main de paix à ses voisins arabes"
L’année 2008 marque les 60 ans d’indépendance de l’Etat d’Israël. Après les festivités commémoratives du 12 au 15 mai à Jérusalem, l’événement Histoire du peuple juif et de la création de l’Etat d’Israël, perspectives de paix avec les voisins arabes, reprise des relations diplomatiques avec les pays africains, axes de la coopération bilatérale avec le Burkina Faso... A coeur ouvert, l’ambassadeur Kedem, jadis deuxième secrétaire de l’ambassade d’Israël à Ouagadougou, avant sa fermeture en 1973, passe en revue la politique interieure et exterieure de l’Etat hébreu. Sidwaya (S) : Que faut-il retenir fondamentalement des 60 ans (1948-2008) de la création d’Israël ? Daniel Kedem (D. K.) : Israël existe depuis plus de cinq mille (5 000) ans. Le 14 mai 1948 ne marque que son indépendance, la création de l’Etat juif. Ce n’est donc pas 60 ans d’existence, mais d’accession à la souveraineté nationale et internationale. Dans la Bible, le livre de la Genèse relate suffisamment l’existence du peuple juif sur la terre Sainte, la terre Promise. Ce peuple a été obligé de partir en exil avec la destruction du temple de Jérusalem. Il y a trois mille (3 000) ans, le roi David a fondé le royaume d’Israël avec Jérusalem comme capitale. S. : Y-a-t-il des espoirs de paix entre Israël et ses voisins 60 ans après sa création ? D. K. : L’hymne national d’Israël est intitulé "Hatikva", c’est-à-dire "Espoir" en hébreu. Le peuple juif est animé de l’espoir de voir un jour une paix durable s’installer entre lui et ses voisins. Pour y parvenir, il faut être humble. Israël a toujours tendu la main aux nations arabes dès la proclamation de son indépendance par David Ben Gourion. Il leur a proposé ceci : "Asseyons-nous et discutons. Négocions pour que les deux peuples (arabe et juif) puissent vivre en bonne intelligence. Chacun observant les réalités, l’indépendance, les perspectives de l’autre". S. : Pourquoi les accords de paix signés jusque-là ont tous échoué et même les leaders comme Sadate et Rabin qui ont voulu les appliquer ont tous connu un destin tragique ? D. K. : Dans les deux camps, arabe comme juif, il y a toujours eu des personnes qui sont contre la paix. Même si Anouar El Sadate et Ysak Rabin ont connu le même sort, tous deux assassinés, ce n’est pas pour les mêmes raisons. Ce sont les frères musulmans qui ont attenté à la vie de Sadate, parce qu’il a emprisonné des milliers de leurs membres. Cela a créé des problèmes internes en Egypte et engendré l’assassinat du président Sadate. Quant à Ysak Rabin, il a été tué par un extrémiste de droite. C’est la première fois depuis la création de notre Etat qu’un Juif attente à la vie d’un autre. Rabin était un faiseur de paix. Il s’est battu corps et âme pour instaurer cette paix entre nos voisins et nous. Aujourd’hui, l’Etat d’Israël continue dans cette recherche de la paix. D’énormes projets le lient dans ce sens avec les Palestiniens, les Jordaniens, les Egyptiens et bien d’autres comme les Syriens et les Libanais. Nous voulons engager des négociations avec eux pour définir des frontières sûres et reconnues, offrant l’opportunité à chaque pays de se développer et aux enfants de mieux envisager l’avenir. L’horizon ne pourra s’éclaircir que par le développement. La guerre coûte chère et celui qui y est tué ne revient plus. Pour cela, il faut changer les mentalités pour éviter que quelqu’un ne s’insurge comme un remplaçant ou un conquérant du peuple. Bien au contraire, il faut aller vers les peuples et avec eux, développer ensemble pour le bien de tous. La paix établit un partenariat gagnant - gagnant. Il n’y a pas de perdant dans un climat apaisé. Le blocage des accords de paix s’explique en partie par l’existence de plusieurs groupes dans les territoires palestiniens. A côté du Fatah qui voudrait bien engager des négociations, il y a le Hamas aidé en armement et en idéologie par des individus intégristes et des pays extrémistes comme la Syrie et l’Iran. Ces derniers refusent la paix sous toutes ses formes. Leur désir est porté vers l’effacement, l’anéantissement de l’Etat d’Israël. Ils ne reconnaissent pas son existence. Evidemment, nous ne pouvons pas engager des négociations avec des individus ignorant notre existence et prônant le terrorisme. Lorsqu’ils parleront de paix, de développement, nous leur répondrons positivement. S. : Comment expliquez-vous le miracle Israël, un pays parti de rien sur un territoire rocailleux et qui est parvenu à un tel niveau de développement en 60 ans ? D. K. : Il y a plusieurs explications à cela, parmi lesquelles une très simple révélant le peuple juif dans sa plénitude. A l’humanité, il a donné un tout petit livre subdivisé en cinq (5) parties. Cet ouvrage est connu de tous, c’est la Bible. Cette quête de la perfection a permis d’accomplir des prouesses dans plusieurs domaines. Israël veut aujourd’hui partager son savoir-faire avec le reste du monde, notamment avec le Burkina Faso. Notre chef d’Etat, Shimon Péres, n’a cessé de le répéter au président du Faso en indiquant la nécessité de combler le fossé entre les pays développés et les pays pauvres, car le monde est devenu un gros village. Il faut réduire les différentes fractures (sociales, économiques, technologiques) entre les peuples, pour éviter au monde un grand danger, celui de deux camps se regardant en chiens de faïence. Les nations riches doivent admettre qu’ils ne vivront pas paisiblement dans un environnement mondial marqué par le sous-developpement. Il faut absolument aider à résoudre les questions de la pauvreté et des dépendances. L’Etat d’Israël entend désormais cultiver les valeurs de solidarité tant à l’intérieur de son territoire qu’à l’extérieur du pays. Dans une volonté commune de se développer ensemble, nous allons mettre nos connaissances à la disposition des autres nations, sans rien leur demander en retour. S. : Les Israéliens se considèrent-ils comme le peuple élu de Dieu investi d’une mission particulière dans le monde ? D. K. : Tout homme sur terre peut se réclamer du peuple élu. Le problème est de prendre conscience de soi-même, de sa destinée et se convaincre, que l’on a une mission à accomplir ici bas, pendant son existence. La Bible dit que "chaque homme est fait à l’image de Dieu". Elle n’a pas spécifié si c’est l’homme blanc ou noir, l’homme gros ou maigre, le Juif ou tout autre peuple. La Bible indique de ce fait que : "Tout homme est l’égal de l’autre". La première qualité du Juif est sa conviction qu’il est l’égal de l’autre. S. : Quels sont les défis qui restent à relever en Israël ? D. K. : Le premier défi se trouve à l’intérieur même de notre pays. Avec l’avancée de la technologie, de la libéralisation et de la mondialisation, des fossés sont apparus entre les couches de la population. Les Israéliens ont commencé un peu à perdre leur valeur de solidarité, le sens même de leur devise : "Tous les membres du peuple juif sont des frères". Aujourd’hui, il y a une classe riche et une autre pauvre. Un des défis de ce troisième millénaire est de combler ce fossé en retrouvant nos valeurs sionistes. Le deuxième défi, c’est de contribuer à l’avancée technologique dans tous les pays du monde, par le partage des connaissances. Israël a présenté à l’ONU une résolution sur le développement de la technologie agricole partout dans le monde. S. : La crise politique et morale que vit Israël depuis deux (2) ans (les accusations de corruption portées contre certains leaders, notamment le Premier ministre, Ehud Olmert) n’entrave-t-elle pas la promotion des valeurs sionistes ? D. K. : Ces problèmes intérieurs montrent à la face du monde la force d’Israël, sa spécificité politique, sa singularité juridique. Notre démocratie permet d’accuser même le chef de l’Etat, le Premier ministre ou les membres du gouvernement. Personne n’est au-dessus de la loi dans notre pays. Quiconque enfreint à la loi est mis sur le banc des accusés. C’est cela aussi la force d’un pays. Les Israéliens n’ont pas peur de dénoncer publiquement leurs autorités corrompues ou coupables de malversations. Des soupçons ont pesé sur un ministre, il s’est vu obligé de démissionner. Il est même allé en prison. C’est l’expression de la démocratie israëlienne. Nous n’avons pas peur de la vérité. Malgré les problèmes dûs à l’insécurité, l’immigration, la sécheresse, Ia démocratie israëlienne avance toujours. Au-delà des parlements, il y a la justice. Sans elle, il n’y a ni paix, ni cohésion sociale. Dans certains pays, même en Occident, quand un président ou un ministre commet une faute, tout est mis en œuvre pour tenter d’étouffer l’affaire. Ce camouflage ne marche pas en Israël. Nous voulons donner à nos enfants des exemples de probité et d’intégrité. Notre justice a même jugé des lois du Parlement contraires aux principes des droits humains et les a abolies. Le droit du citoyen est au-dessus de tout. Jusque-là, ce ne sont que des accusations qui ont été portées contre Ehud Olmert. C’est à la justice d’établir la véracité des faits à lui reprochés. Sans jugement, il reste innocent. Le dernier mot revient à la justice. En la matière, Israël se distingue aussi dans le monde. S. : Comment situez-vous le rétablissement des relations diplomatiques entre Israël et de nombreux pays africains après plusieurs années de rupture ? D. K. : La rupture est intervenue au moment où des Etats africains venaient d’obtenir leur indépendance. Ils étaient encore faibles sur la scène internationale. Ces pays ont subi des pressions de la part des pays arabes pour rompre leurs relations avec Israël. Le pétrole a été l’arme utilisée pour convaincre ces Etats nouvellement indépendants. J’ai moi-même vécu cette vague de ruptures diplomatiques en tant que deuxième secrétaire de l’ambassade d’Israël à Ouagadougou. C’est moi qui est procédé à sa fermeture. C’est le président de l’époque, le général Sangoulé Lamizana, qui a téléphoné pour rompre les relations. Il a bien indiqué que sa décision reposait sur des pressions extérieures et qu’il espérait nous revoir bientôt. A dire vrai, nous n’avons eu aucun problèmes à l’époque avec les Voltaïques. Il y a eu même des centaines d’entre eux qui nous ont accompagnés à l’aéroport. Certains ont même versé des larmes pour dire : "Revenez, car ce conflit n’est pas notre problème". Au moment du déménagement, un certain Sawadogo est venu nous demander de lui confier l’écriteau "Ambassade d’Israël à Ouagadougou" et le drapeau israélien pour qu’il nous le remette à notre retour. Aujourd’hui, c’est chose faite. Car petit à petit, les pays africains se sont aperçus qu’ils ont été trahis. Parce que l’aide promise par les pays arabes n’est jamais venue. Cela se voit même aujourd’hui avec la cherté de la vie. S. : Comment s’est opéré le retour du Burkina Faso et quels sont les axes de cette coopération ? D. K. : Il n’y a jamais eu de différend entre le Burkina Faso et Israël. La reprise des relations diplomatiques est intervenue en 1993 avec accréditation d’un ambassadeur avec résidence à Abidjan, en Côte d’Ivoire. Les dirigeants burkinabè se sont rendus compte qu’Israël reste un pays frère avec lequel il faut rétablir les relations. Au-delà de cela, ils se sont aperçus qu’en rompant les relations, ils ont perdu leur indépendance : celle de penser et de refuser que quelqu’un d’autre leur dicte ceci ou cela. Le Burkina Faso accueille des experts israéliens dans le domaine agricole. En collaboration avec l’association "El Shalom Atelier", nous avons ouvert une ferme agricole expérimentale à Loumbila. Ses retombées seront très bénéfiques à l’agriculture et au monde paysan. Le ministre de l’Action sociale burkinabè a effectué un voyage en Israël au cours duquel les deux pays ont également signé un accord dont la mise en œuvre se fera bientôt. Le programme d’activités 2008 - 2009 est déjà élaboré. Il y aura la construction de centres sociaux, l’envoi de Burkinabè en Israël pour se former sur les questions sociales, des experts israéliens viendront également ici au Burkina Faso. Notre coopération bilatérale s’étend également aux volets de la santé, de la communication... Les deux pays veulent ensemble regarder vers l’avenir. Interview réalisée par Jolivet Emmaüs Sidwaya |