Litige frontalier Burkina/Bénin : Positions toujours parallèles au 11e parallèleA Porga (Bénin) d’abord, où elles ont eu une séance de travail puis à Koalou, zone litigieuse, où elles se sont adressées à la population locale le vendredi 7 mars 2008, autorités burkinabè et béninoise en charge de l’administration du territoire ont exprimé leurs volontés réciproques de rechercher des solutions consensuelles dans la gestion du contentieux frontalier qui oppose leurs pays. Mais cette démarche « à l’africaine » survivra-t-elle aux velléités d’irrédentisme constatées lors de la rencontre ? Stupéfaction ! Alors que le ministre burkinabè de l’Administration territoriale et de la Décentralisation, Clément P. Sawadogo, venait d’entrer à Koalou, la zone litigieuse, il tombe, nez à nez, sur son homologue béninois, le général de devisions Félix Hessou, venu l’accueillir. Comme l’hôte accueille toujours chez lui le visiteur. Sous l’œil des caméras des journalistes. Déjà une manière pour les Béninois de marquer leur territoire ? Certains, dans la délégation burkinabè, veulent bien y croire. « Tout cela traduit un état d’esprit. C’est exactement au niveau du 11e parallèle, une de leurs revendications, que les Béninois sont venus se poster pour nous accueillir », souffle discrètement un officiel Burkinabé. A Porga, dernier village béninois avant le fleuve Pendjari (longtemps resté une frontière naturelle entre les deux pays), le déjeuner de travail entre les deux délégations se déroule dans une atmosphère de détente et de convivialité apparentes. Face à face, sur la grande estrade de l’hôtel, les deux parties s’emploient à jouer, comme on le dit, balle à terre. On pointe du doigt le colonisateur comme premier responsable du différend frontalier entre les deux voisins. « Qui parmi nos ancêtres étaient à Berlin au moment du tracé de nos frontières ? [En référence à la conférence de Berlin (nov. 1884-fév. 1885) au cours de laquelle les puissances européennes ont défini le plan de partage de l’Afrique], feint de s’interroger le général Félix Héssou, avant de toner : « Notre problème est venu du colonisateur, qui nous a imposé une ligne artificielle de démarcation au sein d’un même peuple ». Côté burkinabè, le discours est beaucoup plus nuancé : « Parfois, il vaut mieux ne pas commencer à délimiter les frontières. Dès qu’on commence l’opération, on arrive toujours à des points où les textes, que nous n’avons pas écrits nous-mêmes, sont complexes, flous et difficiles à interpréter » (Lire encadré), relève pour sa part le ministre Clément Sawadogo. Il a, pour cela, appelé à la sérénité et à la retenue dans la gestion de ce qu’il a toujours qualifié de « contentieux juridique » : « Au regard de ce litige juridique, il y a eu un climat de suspicion inutile, et des tentative de se livrer à une course frénétique pour le contrôle de la zone. Nous devons faire de la frontière un facteur de rapprochement et non une ligne de séparation. C’est la seule manière intelligente de gérer le contentieux », a-t-il prêché. Jusque-là, la concertation se déroule dans la bonne humeur. Les sujets qui fâchent sont soigneusement évités. Pas une seule fois « Koalou », le nom du village disputé, n’a été prononcé. Pas plus que n’ont été évoquées les tracasseries subies par les populations. Chacune des deux parties parle à mots couverts. Soudain, un incident protocolaire. Le gouverneur de la région de l’Est, le colonel Kilimité Hien, qui devait prendre la parole à la suite de son homologue, est oublié par le maître de cérémonie béninois. En dépit de la règle qui veut que l’ordre des interventions suive l’échelle de hiérarchie, le présentateur invite, contre toute attente, le gouverneur de l’Est à prononcer son speech après celui de son chef de délégation. Murmures de désapprobation dans la délégation du Burkina Faso. Le ministre Hiéssou réussit, par habileté de langage, à circonscrire l’incident. Mais quand le gouverneur Hien consent à parler, c’est pour ne pas mâcher ses mots. « Des agents vaccinateurs burkinabé ont été refoulés à Koalou. Est-ce que vacciner un enfant, c’est lui conférer une nationalité ? Certains de nos paysans ont été chassés de leurs terres. Est-ce qu’ils cultivent sur la tête de quelqu’un ? », s’interroge à n’en pas finir Caréca, comme on l’avait surnommé au temps où il était ministre des Sports. Réplique du préfet de l’Atakora et de la Donga, Paul Tawéma : « Il faut d’abord assurer la sécurité de cette zone devenue depuis longtemps un repaire de bandits. En cas d’exactions, nos hommes interviennent rapidement, ce qui donne l’impression d’une course à l’occupation ». Qui dénonçait plus haut, cette « course à l’occupation » ? Le chef de la délégation burkinabé, qui ne manque pas l’occasion de faire la mise au point suivante au préfet : « Il n’appartient pas aux forces de sécurité de gérer les questions de frontières. Seules les autorités administratives et politiques sont compétentes » pour le faire. Riposte du général Héssou : « Le problème dans tout ça, ce sont les civils. Ils s’accrochent trop aux textes ». Ambiance. A Koalou dans l’après-midi, les deux chefs de délégation ont tour à tour invité la population à la cohabitation pacifique. Ils y ont réitéré leur engagement à privilégier le dialogue permanent jusqu’à la résolution définitive et concertée du litige (une portion de terre de 68 kilomètres carrés) par la commission mixte paritaire de délimitation de la frontière, dont la reprise des travaux est prévue courant premier semestre de 2008 (lire communiqué conjoint). A la fin du meeting, les uns veulent croire à une fin des exactions qui ont aujourd’hui abouti à une rupture de ban entre Gourmatché (Burkinabè) et Bériba (Béninois), dont les liens multiséculaires avaient fini par effacer tout sentiment d’appartenance… Les uns, sceptiques, attendent pour croire. Sont de ceux-là Gérard Zongo, instituteur à Pama : « J’ai servi trois ans durant à Koalou. Suite aux exactions répétées, j’ai demandé une affectation. Le problème est sérieux et je ne crois pas qu’on puisse le régler à coups de meetings ». Alain Saint Robespierre Depuis 1980, date de sa création, la commission mixte chargée de la matérialisation de la frontière commune (258 km) est confrontée à un problème d’interprétations de textes à propos de l’appartenance territoriale de Koalou (68 km carrés). Selon le décret du 22 juillet 1914, la frontière entre le Burkina Faso et le Bénin est matérialisée par le cours du Pendjari. Ce qui signifie que Koalou relève de la souveraineté burkinabé. Le pont qui enjambe le fleuve a été construit par le Burkina. Mais du côté béninois, on brandit un autre texte, en l’occurrence un arrêté pris en 1938 par un administrateur colonial, pour faire prévaloir le droit béninois sur la localité. Les deux parties, qui ont renoncé jusque-là à tout recours à un arbitrage international, sont parvenues à délimiter, la quasi-totalité de leurs frontières sauf les 7 km que mesure la longueur de Koalou. A.S.R. Visite ministérielle conjointe d’information et de sensibilisation des autorités locales et des populations de la zone de Kourou/Koalou Communiqué conjoint Faisant suite à leur rencontre de travail tenue le 1er février 2008 à Cotonou (République du Bénin), le Général de Division, Félix Tissou Hessou, ministre de l’Intérieur et de la Sécurité publique de la République du Bénin, président de la Commission nationale des frontières et Son Excellence Monsieur Clément Pengdwendé Sawadogo, ministre de l’Administration territoriale et de la Décentralisation du Burkina Faso, ont effectué une visite de terrain le vendredi 7 mars 2008 dans la zone frontalière de Kourou/Koalou. Cette visite avait pour objet : Ils se sont, par ailleurs, félicités de l’appartenance des deux pays aux organisations sous-régionales d’intégration telles que l’UEMOA et la CEDEAO et de la volonté des présidents Blaise Compaoré et Boni Yayi d’œuvrer au renforcement de cette intégration qui, à terme, vise à faire disparaître tout obstacle à la libre circulation des personnes et des biens. Abordant la question de la frontière entre les deux pays, les ministres ont souligné qu’il s’agit d’un héritage colonial dont la gestion nécessite un dialogue fraternel, une concertation permanente et une intelligence exemplaire. A cet effet, ils ont déclaré leur attachement à la recherche de solutions pacifiques et ont exclu tout recours à des actes de violence sous quelque forme que ce soit dans la zone litigieuse. A l’issue des travaux, les deux ministres ont instruit les autorités administratives frontalières à : Dans leurs adresses aux populations fortement inspirées de la vision des deux Chefs d’Etat, les deux ministres ont une fois de plus rappelé les liens séculaires qui unissent les peuples burkinabè et béninois. De ce fait, la frontière, loin d’être une ligne de séparation doit au contraire être un trait d’union entre les populations frontalières pour des actions communes de renforcement de la coopération et pour un développement intégré. Aussi les deux ministres ont-ils invité les populations à vivre en parfaite harmonie en cultivant l’esprit communautaire et en bannissant de leur vécu quotidien les actions de division. Ils ont convenu que les termes du présent communiqué conjoint seront formalisés dans un Protocole d’entente qui sera élaboré et signé par les deux parties lors d’une rencontre dont la date sera fixée d’accord-parties. Au terme de la rencontre, les deux ministres se sont félicités du déroulement heureux de cette visite de terrain empreinte de convivialité et de compréhension mutuelle. Fait à Porga, le 7 mars 2008 Pour le Burkina Faso Clément P. Sawadogo Pour la République du Bénin Félix T. Hessou L’Observateur |