Manifs contre la vie chère : C’est quoi, ce cirque ?Après la forte poussée de fièvre qu’a connue la capitale burkinabè le jeudi 28 février 2008, l’heure est au bilan. Les casseurs d’une matinée ayant accompli leur mission, Ouagadougou présente aujourd’hui sa laideur à la face du monde. Comment en est-on arrivé là et à qui peut profiter le crime ? Iterre Somé répond. Jeudi 28 février, le spectacle qui s’offrait dans les rues de Ouagadougou avait des allures d’intifada. Après leurs homologues de Bobo-Dioulasso, de Ouahigouya et de Banfora, les « crève-la-dalle » de la capitale du Pays des hommes intègres sont violemment entrés à leur tour dans la danse, pour protester contre ce qu’ils appellent la vie chère. Ventre creux n’ayant point d’oreille ni de raison, ils ont investi les artères du centre-ville et des quartiers environnants, manifesté bruyamment leur ras-le-bol, brûlé et cassé tout ce qui sur leur passage appartient à l’Etat, ressemble aux symboles du pouvoir ou est suspecté d’appartenir à ceux qui le détiennent. Résultats des courses (au propre comme au figuré), après que les manifestants eurent été, avec plus ou moins de violence, dispersés par les forces de l’ordre, fortement déployées à cet effet, il était difficile ce jeudi midi de se frayer un chemin sur les voies goudronnées de Ouagadougou, cibles privilégiées des insurgés de l’estomac. Pneus en flammes par-ci, barrières de pierres et barricades de fortunes par-là. Et derrière un écran de fumée noire, à hauteur de l’église de Kologh-Naaba, un petit groupe de jeunes à fière allure m’interceptent. « Grand frère, on demande 25 francs pour acheter de l’eau et boire. Ne vous inquiétez pas, le prix de l’essence va baisser... », ont-ils dit. Qu’ils aillent donc se faire foutre Tenez donc ! Vu que je suis à bord d’une guimbarde qui "boit" l’essence comme de l’eau (encore que le prix de ce liquide non plus ne soit pas donné dans ce Faso dépourvu de tout), voilà donc une bande de "soldats" bénévoles qui se battent pour ma cause. Et que pensez-vous que je fis ? Lâchement, comme bon nombre de mes compatriotes l’auraient très probablement fait, je mis ma main dans la poche et leur tendis l’unique pièce de 250 francs CFA que j’avais sur moi. Dire qu’en sortant du bureau, j’avais voulu m’acheter quelques cigarettes avec. Heureusement, si je puis dire, toutes les boutiques du quartier étaient fermées et il n’y avait pas l’ombre d’un tablier dans les environs. Lâchement, disais-je donc, je lâchai mon fond de poche à cette bande d’énergumènes. Que se serait-il passé si je n’avais pas voulu ou si je n’avais tout simplement pas été en mesure de leur trouver le moindre kopeck ? Je vois d’ici se former après lecture de cette banale anecdote des camps en vue de l’unique sport où les Burkinabè à coup sûr eussent été sacrés champions du monde toutes catégories si ce sport avait été reconnu par le CIO et inscrit aux jeux olympiques : les débats de troquets, à la fois éminemment intellectualistes et lamentablement stériles du point de vue de l’émergence et de la formation d’une conscience nationale citoyenne. Et toc ! Devoir d’anticipation Voilà résumée ma vision des choses. Y en a marre à la fin du cinéma qui tient lieu de mode de gestion des crises sociales dans ce « foutu » pays. Titre de la manchette événementielle de l’Observateur paalga du lendemain : « commerce mort, ville chaude ». De quoi se demander ce qu’a pu faire le Gouvernement pour anticiper et désamorcer la crise, échaudé et prévenu qu’il était par les échauffourées de Bobo, de Banfora et de Ouahigouya. Rien. Ou pas grand-chose d’efficace, si l’on s’en tient à ce qui a fini par survenir. Sans doute les forces de sécurité ont-elles été mises en alerte quelques jours auparavant. A l’arrivée, on a vu ce qu’elles ont été capables d’empêcher, face à une manifestation à caractère apparemment anarchique et anarchiste, durant laquelle chaque manifestant est sorti brûler et casser ce qui à côté de chez lui incarne à ses yeux la cause de sa misère et alimente sa colère. Frapper à la mauvaise porte Le Mogho Naaba, roi des Mossé, est sans aucun doute une noble et éminente personnalité sociale. Il peut et doit à l’occasion représenter une institution de médiation, très respecté et écouté qu’il est auprès de l’ethnie ultra- majoritaire dans notre pays. Mais que diable a-t-il à voir dans une affaire de prix de riz, de lait, de sel ou d’huile ? Si dans le cadre d’une gouvernance apaisée de notre chère patrie l’on peut se réjouir que nos traditions nous aient donné la chance d’avoir ce type de personnages, gardons-nous par une sorte d’abus opportuniste et vicieux d’avoir recours à eux autrement qu’en ultimes recours. Le risque évident est de décrédibiliser ces précieuses et utiles personnes-ressources. Pour un oui ou un non, évitons alors à l’avenir de courir chez le Mogho. Il est gardien des traditions mossé, pas garant de l’équilibre social dans un pays par ailleurs (et ce n’est pas inutile de le rappeler) fortement multiethnique, dont Ouagadougou est un concentré représentatif du peuplement. Initiative tard venue On a aussi vu des membres du Gouvernement, face au corps diplomatique et consulaire en poste auprès de notre pays ainsi qu’un joli parterre de représentants d’institutions internationales et sous-régionales, expliquer et convaincre à peu de frais que les commerçants ont tout faux de dire que la camisole fiscale est trop serrée. Dont acte. Sauf que la docte arithmétique fiscale n’est pas forcément ni aisément accessible à la compréhension du boutiquier de Karpala Yaar. Last but not least, quand le même Gouvernement rencontrait enfin les partis politiques (pourquoi au ministère des Affaires étrangères pour une question intérieure ?), Ouagadougou avait déjà commencé à brûler. J’ignore sans doute moult autres tractations plus ou moins officielles qui ont très certainement été entreprises, dans le but d’essayer de tuer la fronde dans l’œuf et d’éviter à Ouagadougou de connaître les affres, de triste mémoire, qu’elle a vécues ce jeudi 28 février. Mais à quoi tout ce cirque aura finalement servi, dites-moi ? A qui profite le crime ? Ma réponse est catégorique, c’est non. Le bilan cumulé de Bobo, de Banfora, de Ouahigouya et de Ouagadougou sera sans doute très lourd et la facture à payer pour les réparations et autres réhabilitations bien salée. Et ce sera pour la gueule de qui ? Nous, pardi ! Pendant ce temps, quelques pêcheurs en eau trouble (suivez mon regard...) se frottent encore les mains, rient de façon moins en moins voilée des déboires réels ou supposés du pouvoir face à ce climat social pourrissant. Ils n’hésitent guère à sonner déjà l’hallali et réclament rien moins qu’une... refondation. C’est toujours bon à prendre faute de Tékré n’est-ce pas ? Pauvre Burkina ! Les héros de ce jeudi noir qui, à mains nues s’il vous plaît, ont arraché des poteaux de feux tricolores, plié des panneaux publicitaires comme du papier, arraché des kiosques téléphoniques ou de loterie, "caillassé" les véhicules de l’Etat et parsemé les goudrons de trous et de taches noires, je souhaite d’être fiers et contents de ne plus pouvoir traverser certains grands carrefours sans risquer de me faire écraser. Nettoyer les écuries d’Augias Pour faire écho à l’arrogance de plus en plus affichée de certains repus du système, que tout le monde se complaît à critiquer dans les gargotes, mais que personne n’ose dénoncer publiquement, je dis pour conclure qu’il y a urgence pour Blaise Compaoré de nettoyer enfin ses écuries d’Augias, suspectées à tort ou à raison d’accointances dangereuses et compromettantes avec les milieux d’affaires. Les gens comme moi ne sont pas forcément des « aigris », contrairement au refrain des hérauts du palais. Y a feu dans la maison, pour paraphraser la Cour suprême. Le choix est simple. Donnons-nous la main pour éteindre l’incendie, s’il est vrai que nous sommes conscients que nous n’avons qu’une patrie et que notre avenir individuel et collectif est lié au devenir de cette nation. Si tel n’est pas le cas, alors ensemble et courageusement, brûlons et cassons tout une bonne fois pour toutes ; car Dieu peut sauver le Burkina de tout, sauf des incohérences et des inconséquences des fils de ce pays. Iterre Somé L’Observateur |