Gaston Kaboré : « J’ai le sentiment que mon futur en tant qu’africain, ce sont mes racines »C’est l’un des plus talentueux cinéastes africains et burkinabè ; le seul a avoir été couronné d’un césar du film francophone en 1985 pour son premier film Wend Kuuni. Né en 1951, Gaston Kaboré est diplômé de l’Ecole d’études cinématographiques et d’histoire, a enseigné à l’Inafec, a été directeur du cinéma du Burkina et secrétaire général de Fédération panafricaine de cinéastes (Fepaci). Créateur de Imagine en 2003, une école de formation permanente de cinéma à Ouagadougou, Gaston Kaboré a été invité fin janvier à donner, fin janvier, une leçon de cinéma à la Cinémathèque française à l’occasion d’Africamania, une rétrospective du cinéma africain. Cette manifestation qui a commencé le 17 janvier et qui durera deux mois, offre l’occasion de découvrir ou redécouvrir près de 80 films africains de 25 pays, et de revisiter l’histoire du 7e art sur le continent africain. Qu’est-ce qu’une leçon de cinéma et en quoi consiste t-elle ? Il s’agit tout simplement d’une occasion offerte au cinéaste d’expliquer son rapport avec le cinéma, sa démarche en tant que cinéaste, mais ce n’est en aucun cas une leçon magistrale. C’est aussi une occasion pour ceux qui l’interviewent de lui faire revisiter les différents films qu’il a faits, d’aborder les thématiques et de parler peut-être de certains aspects techniques de la mise en scène, du travail de la caméra, du jeu des acteurs, du choix de la musique… En fait, c’est une tradition anglophone qui s’appelle Master Class que les Québécois traduisent par Leçon de maître. Pour mon cas, des extraits de mes films ont été présentés et des questions posées sur la manière dont je suis venu au cinéma et comment j’envisage mon rapport à ma culture à travers mes films. L’intérêt d’un tel exercice, c’est que ça permet à l’auditoire de comprendre un peu le lien qu’il y a entre tous les films d’un cinéaste parce que tout compte fait, comme dans tous les secteurs de création, on constatera souvent que les auteurs ont une sorte de leitmotiv dans leurs œuvres, il y a des choses sur lesquelles ils reviennent souvent et c’est en cela qu’on peut voir une certaine unité dans l’œuvre de quelqu’un. J’ai déjà fait quatre longs métrages, sans parler des autres films, non pas qu’ils n’ont pas d’intérêts, les documentaires ou les films de fiction courts métrages, mais c’est surtout dans les longs métrages qu’on peut voir un peu les constances dans la façon de faire son travail et ça fait 25 années depuis mon premier film Wend Kuuni, jusqu’au dernier, Buud Yam il y a 10 ans. Donc la période est longue même si le nombre de film est relativement modeste, mais dans mon cas, j’ai quand même mené un certain nombre de combats dans le domaine du cinéma en tant que directeur du Centre national du cinéma pendant 12 ans, le même nombre d’années à la tête de la Fédération panafricaine des cinéastes…toutes ces actions font partie de mon travail en tant que cinéaste. La constance dans vos films semble être la quête d’identité, la recherche de ce que nous pouvons être. Avez-vous le sentiment que le message est compris ? Il faut poser la question au public, mais je pense que les gens comprennent ce que j’essaie de faire et c’est déjà une première satisfaction pour tout auteur quelque soit le domaine. Ca été le cas de Wend Kuuni et de Buud Yam parce que dès la première projection de ces films à Ouagadougou, les gens les ont appréciés et j’ai eu le sentiment que pour eux, c’est une histoire qui les appartenait et que je ne suis qu’un instrument accessoire qui a mis cette histoire sur l’écran. Et ça, c’est un bonheur pour un réalisateur car si on fait une œuvre qui est personnelle et fictionnelle, et tout d’un coup, il y a comme une sorte d’appropriation instantanée par les gens avec lesquelles vous vivez et partagez la culture, ça veut dire que vous avez pu établir quelque chose d’important et que vous êtes allés toucher des fibres particulières, singulières dans leur mémoire et leur désirs. Vous arrive t-il de vous sentir dépossédé de votre film ? Pas du tout ! Mais il est vrai qu’une fois terminé, le film appartient autant aux spectateurs qu’au réalisateur parce que chacun regarde le film à partir de sa propre histoire. Certains mêmes vous apprennent des choses sur votre film, car il y a des choses qu’on articule de façon quasi-inconsciente parfois, on a pas soi même tout temps l’explication absolue. Je suis d’ailleurs très réticent à expliquer mes films car ils doivent être autosuffisants pour permettre aux gens de prendre ce qu’ils ont à prendre à l’intérieur. Bien entendu selon les individus, les publics, ça peut être différent, mais il y a un noyau de signification et d’émotion, de sentiment qu’un film propose en quelque sorte et si ce noyau arrive à être compris et récupéré par le public, le contrat d’un auteur est déjà rempli. Si après, il y a encore des gens qui sont capables d’aller faire des analyses ou qui comprennent quelque chose de très subtil et vous l’expliquer, c’est extraordinaire. Quand on marche dans la rue, on rencontre des gens, c’est très fugace, mais il y a des pensées, des idées qui naissent tout simplement parce qu’on a rencontré quelqu’un qui vous rappelle quelqu’un d’autre. On passe le temps à recevoir et à renvoyer des choses, à se raconter des histoires dans le sens dramaturgique. Fondamentalement, nous nageons dans le drame puisqu’on naît, évolue, rencontre des obstacles et puis un jour voilà, les choses s’arrêtent, du moins pour ce qui concerne la vie physiologique. Et cette trajectoire est en soi dans le drame parce qu’on ne parvient que très rarement à être là où on voudrait au moment qu’on souhaiterait et dans l’accomplissement qu’on voudrait. Votre dernier film, Buud Yam remonte à 1997. Pourquoi une si longue absence sur les écrans ? C’est une question qu’on me pose régulièrement et l’explication est simple. En fait, j’ai créé un Institut de formation, Imagine dont la mise en place m’a pris beaucoup de temps et m’a empêché d’aller vers mon prochain long métrage. Moi-même j’ai faim de tourner, mais c’était important que je mette sur pied cette structure car c’est l’expression de mes autres convictions, à savoir que c’est important de transmettre quelque chose aux jeunes générations et il était difficile de conduire les deux choses à la fois. Justement, qu’est-ce qui vous a poussé à créer cet Institut et quels sont les métiers qui y sont enseignés ? Cet Institut est né du constat que j’ai fait quand j’étais en charge à la fois du cinéma national, de la Fédération panafricaine des cinéastes et de tous les colloques, symposiums auxquels j’ai assisté. On insistait inlassablement sur l’importance de la formation. Et de fait, c’est vrai qu’on ne fait pas assez de films, mais on en fera encore moins si on ne s’occupe pas de former des hommes et femmes qui vont faire ce cinéma là et aussi cette télévision qui a pris une place prépondérante aujourd’hui et qui permet de toucher le public le plus large. Donc faire des films, c’est important car ça finit par passer à la télévision, mais produire des œuvres audiovisuelles pour la télé, c’est quelque chose qui me préoccupe aussi. Par conséquent si on forme à la création documentaire, à l’écriture pour faire des films, c’est important car il s’agit pour l’Afrique de pouvoir se refléter sur ses propres écrans, et aussi pour le public de se reconnaître dans ces images. Imagine est l’aboutissement de tous les combats que j’ai mené à différentes échelles et ma conviction que je devais faire le maxi pour contribuer à ce que des professionnels parfois formés et qui ne pratiquent pas souvent ne perdent pas leurs compétences. Je sais que nous n’avons pas le choix, il faut que nous inventions notre propre économie, parce que ce serait un dommage incalculable si l’Afrique renonçait à produire ses propres images. Cela voudrait dire que beaucoup de choses iraient de moins en moins bien alors que nous avons besoin de préserver et revitaliser nos langues et le cinéma en est un moyen en racontant des histoires. Et puis, il y a aussi tout un imaginaire pluriel, nous avons des mythes, des légendes et contres fabuleux qui, portés à l’écran vont nourrir, au sens spirituel l’âme de nos publics. Imagine veut en quelque sorte apporter une capacité de faire supplémentaire, ça ne peut pas résoudre tous les problèmes qui existent, mais en prenant l’exemple de ce qui se fait au Mali, j’espère que l’Afrique n’abdiquera jamais de son destin de productrice d’images, parce que nous en avons besoin car c’est une nourriture vitale à l’instar de toutes les autres formes de création : musique, peinture, littérature, poésie… Il se trouve que le cinéma a besoin plus de moyens que les autres formes d’expression et Imagine entend contribuer à renforcer les corps de métiers qui existent au niveau du cinéma, de la télévision et du multimédia car de nouvelles formes de communication nous parviennent et c’est important d’essayer de faire quelque chose. Dans le dernier atelier organisé à Imagine, il y avait par exemple un atelier sur l’infographie et les effets spéciaux, toutes choses qui contribuent à raconter une histoire et il faut qu’il y ait des gens au niveau du montage qui soient bien outillés pour utiliser ces différents effets pour aller plus loin dans les histoires que nous racontons. Donc nous couvrons tous les métiers. En somme, la philosophie de votre Institut, c’est que les Africains doivent se raconter dans leurs propres histoires… C’est ma conviction ! Mais pour que l’Afrique se raconte, il faut que nous formions des gens dont le métier est justement de mettre en forme ces histoires. Il faut des talents des scénaristes, des réalisateurs qui vont porter à l’écran ce qui a été écrit, des techniciens doublés de créateurs pour nous permettre d’investir dans la télévision nos propres fibres artistiques et notre propre esthétique. Car, il ne peut pas se faire que nous n’ayons pas une perception particulière du temps et de la durée, etc. C’est pourquoi je suis un peu perplexe quand je vois comment la critique occidentale classifie les films, les range dans les tiroirs et essaye de figer une expression cinématographique qui n’est qu’à ses débuts. Je le fais avec responsabilité en me disant que d’autres font d’autres choses ailleurs et toutes les petites choses que nous faisons finissent par pousser. Quand les gens apprennent quelque chose, c’est une conquête aujourd’hui qui va renforcer le patrimoine mémoriel de l’Afrique, car les films que nous faisons ne sont pas seulement importants aujourd’hui pour nous. Si l’on résout les problèmes de conservation avec les nouvelles méthodes, dans 100, 200 ans, c’est ça que des générations futures vont regarder pour comprendre qu’elles-mêmes ne sont pas le produit du hasard, qu’elles viennent de quelque part et sont en connexion avec un héritage qu’ils ont reçu pendant qu’eux-mêmes sont en train de construire quelque chose qu’ils vont léguer aux autres générations. Le cinéma comme moyen de réappropriation de notre histoire… Bien sûr ! Parce que, il faut le souligner, la colonisation a été une séquence véritablement traumatique et sans le vouloir, nous nous enfermons nous-mêmes dans ce carcan comme si les millénaires que l’Afrique a vécus avant sa rencontre avec l’Occident ne comptaient pas, comme si nous venions de naître de cette rencontre ! Nous devons explorer tous les segments de nos existences, le passé le présent comme le futur et tant que nous ne recouvrons pas notre capacité d’imaginer, on aura des problèmes. Vu la faible production de films burkinabè et leur absence dans les festivals internationaux, Ouagadougou est-elle encore la capitale du cinéma africain ? Ne vit-on pas sur un mythe ? Je ne crois pas, parce que faire ce que le Burkina a fait, ce n’est pas aussi simple et aussi évident que ça. D’ailleurs ce sont les gens qui nous observent et qui nous attribuent cette place singulière parce que le Fespaco a fait bouger énormément les choses dans la perception que les Africains ont du cinéma. Quelques semaines avant l’ouverture du dernier Fespaco, on a quand même craint qu’il y ait des problèmes des salles … Mais n’oubliez pas que nous vivons le problème des salles 25 ans après les autres ! Pourquoi ? Parce qu’il y a une volonté politique et des professionnels dans notre pays de faire vivre le cinéma. Et puis, le public est là, attaché au festival, ce qui n’a pas été le cas ailleurs où des festivals n’ont pas pris. Chez nous, chez nous, ce n’est pas seulement la fête des professionnels, mais le public le plus large a compris l’importance du festival et qui en a fait avant tout sa réputation. Quand les gens viennent à Ouagadougou, ils voient les films puis vont dans les bars discuter avec le public, découvrent qu’untel est ingénieur, l’autre mécanicien, ils savent que le Fespaco c’est quelque chose de particulier au Burkina, eux qui voyagent dans le monde. Propos recueillis à Paris par Joachim Vokouma |