Moustapha Kamara : Transfert de footballeurs : « Les Africains se font piéger par des agents véreux »Les amoureux du ballon vibrent depuis hier au rythme de la phase finale de la 26e édition de la Coupe d’Afrique des nations (CAN) qui se déroule du 20 janvier au 10 février 2008 au Ghana. En dépit de l’incertitude qui caractérise le sport et fait sa beauté, beaucoup d’observateurs n’ont pas hésité à faire des pronostiques sur les sélections susceptibles de remporter le trophée continental au soir du 10 février. Il s’agit notamment des sélections du Ghana, du Cameroun, de la Côte d’Ivoire, du Sénégal, de l’Egypte, du Nigeria… En regardant de près ces équipes, on s’aperçoit qu’elles ont toutes la particularité d’être composées presque totalement de joueurs évoluant à l’étranger. Aucun joueur du championnat national ne figure dans les 23 présélectionnés du Mali, du Sénégal et de la Côte d’Ivoire. Le Cameroun en compte 1, le Ghana 2, l’Angola 7 et le Bénin 5. Pour de nombreux footballeurs africains, l’expatriation, de préférence en Europe reste la seule alternative pour mener un belle carrière et gagner convenablement sa vie. Au Ghana, le spectacle n’attirera pas que des spectateurs, des recruteurs officiels et officieux vont également faire le déplacement dans l’espoir de détecter et recruter de jeunes talents. La formation et les transferts de joueurs sont devenus des activités très lucratives et qui constituent de substantielles sources de revenus pour les clubs. Mais aussi surprenant que cela puisse paraître, le football professionnel fonctionne sur des bases juridiques contestables. C’est ce que soutient Moustapha Kamara, auteur d’une thèse de droit sur le sujet et publiée aux éditions L’Harmattan (1). Qu’il s’agisse des transferts, de l’indemnisation des clubs formateurs, des clauses liant les joueurs aux clubs, du rôle des agents, l’auteur montre l’urgence de clarifier les règles du jeu afin d’assainir un secteur qui défraie régulièrement la chronique. Pour tous les footballeurs professionnels, particulièrement les africains évoluant en Europe, ce livre constitue un précieux outil dans la défense de leurs intérêts. Qu’est-ce qui vous a motivés à consacrer une thèse aux opérations de transferts des footballeurs ? Je me suis intéressé au sujet pour deux raisons : d’abord le nombre de footballeurs africains qui s’expatrient, notamment en Europe, augmente d’année en année. En 2006, on dénombrait ainsi près de 677 footballeurs africains professionnels dans les championnats européens sans compter les amateurs qui se comptent aussi par milliers. Justement, dans votre livre, vous dites que les transferts des footballeurs professionnels se font sur des bases juridiques assez floues… Tout a fait ! Et j’ai voulu dans ce livre donner une qualification aux transferts, leur donner une base juridique en évoquant les problèmes liés de l’indemnisation de la formation, aux conditions de transferts d’un club à un autre et les modalités de rupture du contrat. Il y a beaucoup de jeunes qui sont formés dans les centres de formation aussi bien européens qu’africains, et qui sont dépouillés par des recruteurs sans foi ni loi. Il faut donc bien trouver une solution pour que ces centres soient vraiment récompensés à la hauteur de leurs efforts. Quel est le coût moyen de la formation d’un joueur et comment rémunérer les centres de formation ? Il faut savoir qu’en moyenne, sur 40 jeunes qui entrent chaque année dans un centre de formation, seulement 2 deviennent des professionnels. Et en France par exemple, chaque centre investit en moyenne 6 millions d’euros (un peu moins de 4 milliards de F CFA) par an pour un formation qui dure en moyenne 4 ans, ce qui fait 24 millions d’euros pour assurer la formation complète un jeune footballeur. Quelles sont les règles qui encadrent les centres de formation ? Juridiquement, le problème se pose de la façon suivante : en Europe, les clubs sont constitués de deux structures : Il y a la société sportive qui s’occupe de tout ce qui est gestion professionnelle, participation au championnat professionnel, contrats de travail, puis il y a l’association sportive qui s’occupe des centres de formation. Cette dernière a un statut associatif. Dans la plupart des pays africains où il n’y a pas de championnat professionnel, il n’existe pas de société sportive, mais seulement des associations sportives qui ont les centres de formation. Pis, on a des personnes physiques qui créent des centres de formation dans les quartiers, sans agréments de la Fédération nationale de football et du ministère en charge des sporst. A Dakar, au Sénégal, des gens qui ont de l’argent créent des centres de formation dans les quartiers, forment des jeunes et essaient de les vendre dans les pays où existe un championnat professionnel ! Ces gens là créent des associations dont dépend le centre de formation et quand il y a transfert, les clubs acquéreurs de footballeurs discutent avec l’association. C’est l’anarchie totale…Pour mettre fin à ce désordre, un pays comme le Sénégal travaille actuellement à créer un championnat professionnel, ce qui obligera les clubs à avoir une société sportive et une association qui va s’occuper des centres de formation avec l’obligation de demander un agrément à la Fédération sénégalaise de football Parmi ceux qui assistent actuellement à la Coupe d’Afrique des nations (CAN) au Ghana, il y a des recruteurs, venus détecter des talents. Quelles précautions faut-il prendre face à certains vendeurs de rêve ? Premièrement, le joueur doit s’assurer que le contrat qu’on lui propose est écrit dans une langue qu’il comprend, car certains signent des contrats sans rien comprendre à la langue dans laquelle le contrat est écrit. Deuxièmement, quand on lui propose une période d’essai, qu’il exige un billet aller-retour car si le test ne réussit pas, le jeune n’intéresse plus le club et refuse de lui payer un billet retour. C’est comme ça qu’on fabrique des clandestins. Quand le test est réussie, il doit retourner au pays demander un visa longue durée. Il lui sera alors délivré une carte de séjour d’un an, et au bout de trois ans de renouvellement, il peut demander la carte de résidence de dix ans. Après cinq années, il peut demander la naturalisation et s’il est talentueux, le soutien du club et de la ville peut accélérer la procédure. Troisièmement, le joueur n’est pas obligé d’avoir un agent car la FIFA autorise les parents (frère, cousin) à le représenter sans avoir la licence. La FIFA prévoit également qu’un avocat peut l’assister car, si c’est un joueur qui est très talentueux, il n’a pas vraiment besoin d’agent ce dernier servant à chercher les clubs. Il peut donc se contenter d’un membre de la famille ou d’un avocat comme le font les footballeurs européens et brésiliens. Mais quant il doit traiter avec un agent, il faut s’assurer qu’il a la licence FIFA afin d’éviter de tomber dans de mauvaises mains. J’insiste sur un point qui me paraît important : il y a des agents qui débarquent en Afrique, contournent les centres de formation et vont traiter directement avec les parents en leur donnant par exemple 5000 euros (plus de 3 millions de F CFA). Dans ce cas, je recommande aux parents de ne se faire assister par un avocat qui va vérifier que l’agent est bien mandaté par un club avant de signer le contrat, car une fois signé, on ne plus rien faire. L’exemple le plus récent concerne Mustapha Bayal Sall, un international sénégalais qui est à St-Etienne. Dans un premier temps, il a signé un contrat avec un club norvégien sans rien comprendre du contenu des termes du contrat rédigé en norvégien. Par la suite, il a été transféré à St-Etienne par un autre agent alors qu’il est sous contrat avec le club norvégien, ce qui ne se fait pas sans l’accord de son club. Ce qui intéresse cet agent, ce sont les indemnités qu’il va toucher, peu importe que l’opération soit illégale. Conséquence, le joueur est aujourd’hui suspendu pour 4 mois par la FIFA pour rupture unilatérale de contrat suite à la plainte de St-Etienne. Mais pour le club c’est moins grave que pour le joueur, condamné à ne pas jouer pendant 4 mois. Pour un international, c’est sportivement dramatique La rémunération des agents est-elle réglementée ou est-elle laissée à la discrétion des joueurs ? Les règles de la FIFA sont claires là-dessus : l’agent doit toucher au maximum 10% du salaire brut par mois du joueur durant toute la durée du contrat. Si, par son intermédiaire un joueur signe dans un club pour deux ans par exemple, l’agent touche 10% du salaire brut du joueur, mais en pratique, les joueurs ne paient que 7%. Hélas, une fois de plus, pour les joueurs africains, certains agents, profitant de leur ignorance, touchent 10% du salaire, mais aussi des indemnités de transfert. Pis, il y a des clubs qui imposent des agents aux joueurs africains, ce qui est aussi illégal car il y a conflit d’intérêts. Comment un agent peut-il défendre convenablement les intérêts du joueur s’il est choisi par le club ? Un footballeur qui ne joue pas assez est-il fondé à rompre son contrat ? Oui, mais à certaines conditions. D’abord, la FIFA a institué deux périodes durant lesquelles les transferts peuvent s’opérer, l’objectif étant d’assurer l’équilibre de la compétition par la stabilité contractuelle. Ensuite, l’âge du joueur est important dans les opérations de transfert. Les entraîneurs des équipes nationales, particulièrement africaines peinent souvent à réunir à temps les éléments sélectionnés. Un club a t-il le droit d’empêcher son employé de rejoindre la sélection nationale ? Là également règle est claire : la sélection nationale est prioritaire sur le club. Dès lors qu’un joueur reçoit une convocation, il est obligé de répondre positivement, et s’il refuse tout en continuant de jouer dans son club, il est passible de sanction, de même que le club qui l’emploie. Le club est donc obligé de le libérer et le payer durant son absence. Le joueur aussi a l’obligation de rejoindre la sélection nationale, même s’il ne le veut pas. Interview réalisée Par Joachim Vokouma, (1) Les opérations de transferts de footballeurs professionnels, éd L’Harmattan |