Document : L’appel du 19-Octobre 1987Peuple combattant du Burkina Faso, Lorsque le 4 août 1983 à la tête des forces populaires insurgées nous sommes entrés à Ouagadougou, nous étions tous animés, Thomas SANKARA et moi, de la ferme détermination de conduire notre vaillant peuple vers un avenir radieux. A l’époque, j’ai fait comprendre le fait d’avoir participé activement au renversement du régime de Jean-Baptiste OUEDRAOGO ne me conférait aucun droit particulier ; car en révolutionnaire, j’ai assumé mon devoir, exercé une tâche. C’est ainsi que Thomas SANKARA qui à l’époque semblait incarner à nos yeux les aspirations de notre peuple fut choisi. Peuple du Burkina Faso, Certains d’entre vous se demandent encore pourquoi le 15-Octobre ? Depuis plus d’une année, un conflit latent, puis ouvert a opposé deux conceptions antagoniques dans la révolution d’Août. Cette situation est née essentiellement de la question organisationnelle du processus révolutionnaire de laquelle découle logiquement une série de problèmes annexes non moins importants. La politique du fait accompli du Président du CNR, si elle était compréhensible au début du processus, devenait aventuriste et dangereuse au fil des ans, voire inadmissible du point de vue des grandes orientations politiques, économiques, sociales et culturelles définies. Plus d’une fois, la direction politique de notre pays s’est trouvée devant le fait accompli avec le déchirant et douloureux dilemme soit de désavouer telle ou telle mesure et désavouer publiquement par la même occasion le Président du CNR, soit d’être solidaire d’une mesure manifestement erronée au regard de la lutte de notre peuple. Face à l’obstination et en l’absence de toute évolution, nous avions tenté d’autres approches. Mais aussi sans succès. Camarades militantes et militants, C’est pour nous un rétrospectif douloureux, car nous avons usé personnellement de toute notre amitié, de toute notre disponibilité, de tous les arguments auprès de celui dont nous déplorons tous aujourd’hui la disparition. Nous avons à maintes reprises répété au camarade Président du CNR que notre barque était en train de chavirer, que les décisions étaient incomprises de notre peuple, que l’improvisation, la précipitation inutile, l’absence d’informations préalables des plus hauts responsables de l’Etat concernant les mesures les plus importantes expliquaient en partie ce naufrage. Dans sa conception, les meilleures décisions sont celles que l’on prend seul et dans la surprise générale. La crise atteint son paroxysme lorsqu’il décida au mois de juin dernier de dissoudre toutes les organisations de gauche. Je lui fis part de notre opposition à cette vision parce qu’étant une fuite en avant qui aurait pour corollaire la militarisation du pouvoir, la répression certaine des militants de ces organisations qui nécessairement opposeront résistance. Effectivement, l’ampleur des réactions a été telle que lui-même fut obligé de reculer pour revenir à la charge sous d’autres formes, sans résultat aucun. Pour lui, cela constituait un échec personnel, inadmissible et intolérable. En compagnon d’armes et ami, je lui signalais que tel n’était point mon objectif. Ma préoccupation était l’avancée de la révolution dans le respect des principes. J’estime, ajoutais-je, qu’il doit demeurer le chef de l’exécutif, mais qu’il lui appartenait de respecter un minimum de règles pour que nous accomplissions les nobles objectifs de la Révolution démocratique et populaire. L’apathie et l’indifférence des masses trouvaient leur origine dans les problèmes réels dont l’ignorance, à terme, allait liquider le processus révolutionnaire. Il fallait en tenir compte et la solution ne résidait nullement dans la nomination d’un Premier ministre. Peuple du Burkina Faso, Il est important que chacun de nous ait une claire compréhension de la nature politique des problèmes, car c’est loin d’être des problèmes de personne. Il s’agissait de l’avenir même de la révolution. C’est bel et bien deux tendances aux vues de plus en plus divergentes qui s’affrontaient :
Militantes et militants, Nous étions convaincus, malgré l’obstination inqualifiable, de la solution par le débat démocratique. Au pire des cas, tous les camarades du Front estimaient que la solution douloureuse était de le démettre de ses fonctions ou qu’il démissionne de son propre chef. Naïvement encore, nous allions nous rendre à cette réunion, toujours animés de la ferme volonté de faire triompher la vérité dans le débat contradictoire. Elle devait dégénérer dans l’après-midi lorsque les éléments de la sécurité du Conseil, opposés à l’exécution du complot de 20 heures, décidaient de prendre les devants. En effet, le Président du CNR et ses hommes n’avaient pas compté avec la vigilance du peuple, notamment certains éléments de la garde présidentielle elle-même et ceux affectés à la sécurité au siège du CNR. En tant que révolutionnaires, nous devons avec courage assumer nos responsabilités. Nous l’avons fait à travers la proclamation du Front populaire. Nous continuerons à le faire sans faille et avec détermination pour le triomphe des objectifs de la révolution d’Août. Aussi, pour nous, il reste un camarade révolutionnaire qui s’est trompé. En tant que révolutionnaires, nous lui devons une sépulture digne de l’espoir qu’il a suscité à un moment donné de sa vie. Le refus obstiné de tout débat démocratique, le pouvoir personnel et l’absence de toute critique avaient fini par rendre l’homme incontestable et incontesté. Pour nous, cette méthode de travail a eu trois conséquences principales et fatales pour le processus révolutionnaire :
Militantes et militants de la Révolution démocratique et populaire, Cette révolution, il faut le dire, avait fini par ne plus exister que dans le discours, vidant ainsi les structures insurrectionnelles de leur contenu. C’est pourquoi, il faut travailler à y faire renaître la révolution afin qu’elles puissent jouer pleinement le rôle qui leur est dévolu. En ces moments particulièrement difficiles où l’ampleur, la complexité et l’exigence des tâches à accomplir sont de nature à entretenir le doute quant à l’irréversibilité de notre victoire sur l’impérialisme, la réaction, la contre-révolution et l’opportunisme, je vous invite au travail, convaincu que vous saurez vous départir du défaitisme, de la capitulation, du sentimentalisme sans bornes et de la politique des bras ballants. Au nom du Front populaire, je lance un appel aux ouvriers, paysans, soldats, intellectuels révolutionnaires, démocrates et patriotes du Burkina, à toutes les organisations révolutionnaires et patriotes, à toutes les organisations de masse révolutionnaires et démocratiques (CDR, UFB, UNAB, syndicats, organisations de jeunesse, etc.) pour qu’elles participent à la tâche de rectification, d’approfondissement du processus révolutionnaire et à l’œuvre de construction de notre partie. La patrie ou la mort, nous vaincrons ! |