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Accès à l’eau à Ouagadougou : Entre défis résidentiels et charge féminine

jeudi 25 septembre 2025.

 

Par Dr Tenee Angèle NABALOUM 1 ; Dr Sidiki GUELBEOGO 2, Dr Tongnoma ZONGO 3 ; Pr. Georges COMPAORE 1.

1. Laboratoire Dynamiques des Espaces et Sociétés / Département de Géographie, Université Joseph KI-ZERBO, 01 BP 85, Ouagadougou 01, Burkina Faso

2. Laboratoire d’Études et de Recherches sur les Milieux et Territoires, Département de Géographie, Université Joseph KI-ZERBO, 01 BP 85, Ouagadougou 01, Burkina Faso

3. Laboratoire d’Études et de Recherches sur les Milieux et Territoires, Institut des Sciences des Sociétés, Centre Nationale de la Recherche Scientifique et Technologique, 01 BP 85, Ouagadougou 01, Burkina Faso.

Résumé

L’accès à l’eau potable est un indicateur essentiel de la qualité de vie en ville. À Ouagadougou, la majorité des ménages dépendent du réseau de l’Office National de l’Eau et de l’Assainissement (ONEA), bien que des alternatives comme les bornes fontaines et les forages existent, surtout dans les zones périphériques. Les femmes, responsables majoritaires de l’approvisionnement en eau domestique, sont particulièrement exposées aux difficultés liées à ces alternatives, révélant des inégalités sociales et spatiales. Les distances plus longues à parcourir dans les périphéries et le partage des points d’eau collectifs montrent que l’accès à l’eau est un marqueur de précarité résidentielle et de vulnérabilité féminine dans la ville.

Introduction

L’eau potable est un besoin fondamental et un élément central de la qualité résidentielle. Son accès ne dépend pas seulement de la présence d’infrastructures urbaines, mais reflète aussi les inégalités sociales et territoriales qui structurent la ville. À Ouagadougou, capitale du Burkina Faso, l’approvisionnement en eau repose essentiellement sur le réseau formel de l’ONEA, complété par des bornes fontaines et des forages privés.

Mais l’eau est aussi une question profondément genrée. Dans la plupart des ménages, ce sont les femmes qui assurent la collecte et la gestion quotidienne de l’eau. Elles subissent directement les contraintes liées à la distance, à la disponibilité et à la qualité des points d’eau. L’objectif de cet article est de montrer comment l’accès à l’eau potable reflète la qualité résidentielle et met en lumière les disparités liées au genre et à l’espace urbain à Ouagadougou.

1. Méthodologie

1.1 Présentation de la zone d’étude

Ouagadougou, capitale du Burkina Faso, est également le chef-lieu de la région du Centre et de la province du Kadiogo. Avec une population estimée à 2 453 496 habitants, soit près de la moitié de l’ensemble des citadins du pays (INSD, 2020), elle constitue la plus grande agglomération nationale. (Carte 1Elle est subdivisée en douze arrondissements et compte cinquante-cinq secteurs.

1.2 Collecte des données

La recherche repose sur une approche mixte, combinant méthodes quantitatives et qualitatives, afin de croiser les chiffres et les récits d’expérience. L’enquête de terrain a concerné 400 personnes, femmes et hommes, réparties dans les 12 arrondissements de Ouagadougou. Les participants ont été sélectionnés aussi bien dans les quartiers centraux, relativement mieux équipés, que dans les périphéries où les difficultés d’accès à l’eau sont plus marquées.

Différents outils ont été mobilisés pour la collecte des informations. Des questionnaires ont permis de recueillir des données chiffrées sur les modes d’approvisionnement en eau et sur les contraintes rencontrées par les ménages. Des entretiens semi-directifs ont ensuite donné la parole aux habitants, en particulier aux femmes, afin de comprendre leurs stratégies et leurs difficultés quotidiennes liées à l’accès à l’eau. Ces données ont été complétées par des observations directes réalisées dans plusieurs quartiers, ce qui a permis de documenter concrètement les situations, comme les longues files d’attente aux bornes-fontaines, les distances parcourues ou encore les coûts supportés par les familles.

Enfin, une recherche documentaire s’est déroulée tout au long de l’étude. Elle a permis de mobiliser des données cartographiques, statistiques et bibliographiques afin d’affiner l’analyse et de replacer les résultats de terrain dans un cadre plus large.

2. Résultats

2.1 L’accès à l’eau potable à Ouagadougou

L’enquête menée auprès des ménages des 12 arrondissements révèle que la grande majorité dépend du réseau ONEA, avec un taux moyen de 78,3 %. Parmi eux, 80 % sont des femmes et 77,5 % des hommes, montrant une forte dépendance au réseau formel. Pour ceux qui ne disposent pas d’un branchement direct, les bornes fontaines constituent la principale alternative, suivies des forages privés, solution nécessitant des moyens financiers plus importants. L’usage des puits traditionnels reste quasi inexistant.

Les distances à parcourir pour accéder à l’eau varient selon la localisation des logements. Les habitants du centre-ville se déplacent en moyenne sur 460 mètres, tandis que ceux des périphéries non loties parcourent 490 mètres et ceux des périphéries loties près de 790 mètres. Ces différences traduisent un accès inégal aux services urbains et mettent en évidence le fossé entre les zones centrales bien desservies et les périphéries plus éloignées, où l’accessibilité économique se fait souvent au détriment du confort résidentiel en particulier l’eau potable. Cette opposition entre centre et périphérie rend visible les inégalités d’accès à l’eau, qui touchent particulièrement les femmes, principales responsables de la gestion domestique.

Le taux d’accès aux services de base reste globalement bas dans la ville de Ouagadougou. L’accès aux réseaux, que ce soit sous forme de branchement privé ou collectif est un critère déterminant de confort et de la qualité de vie des ménages dans le logement et particulier pour la femme qui s’occupe de l’approvisionnement en eau du ménage.

En ce sens, l’accès à l’eau devient un marqueur spatial de l’inégalité de genre dans l’espace urbain.

Ainsi, seul moins de 23 % des ménages ouagalais disposent de l’eau courante, dont un tiers doit partager un robinet commun placé dans la cour avec 4,8 ménages, soit 16 personnes en moyenne.

2.2 Genre et précarité résidentielle

Les femmes apparaissent légèrement plus nombreuses que les hommes à utiliser des bornes fontaines ou des forages, ce qui traduit leur exposition particulière aux contraintes liées à l’accès à l’eau. Cette situation est directement liée à leur rôle central dans la gestion domestique de l’eau et à la localisation des logements périphériques, souvent moins desservis par les infrastructures publiques.

Selon Coulibaly (2011) et Diallo (2016), le recours à des alternatives comme les bornes fontaines ou les forages reflète une certaine précarité et un accès limité aux services urbains. Ces constats s’inscrivent dans une perspective plus large, où les femmes subissent une double exclusion économique et territoriale dans les villes d’Afrique de l’Ouest, comme l’ont montré Marie (2001) et Bako-Arifari et Le Meur (2003). L’eau devient ainsi un indicateur tangible des inégalités genrées et de la vulnérabilité féminine dans l’espace urbain.

2.3 L’eau comme indicateur de la qualité de vie

L’accès à l’eau ne se limite pas à sa simple disponibilité. Il inclut aussi la proximité des points d’eau, leur capacité à desservir plusieurs ménages et la régularité de l’approvisionnement. Dans notre étude, un tiers des ménages partage un robinet commun avec près de cinq autres ménages, soit environ seize personnes en moyenne, ce qui accroît la charge domestique et accentue les contraintes d’approvisionnement, particulièrement pour les femmes.

Ainsi, la disponibilité et la qualité de l’eau potable constituent des indicateurs fiables de la qualité résidentielle et des inégalités socio-spatiales dans la ville. L’eau ne se limite pas à un service de base : elle révèle la structure des inégalités et permet de mesurer la vulnérabilité des populations, en particulier des femmes.

Conclusion

À Ouagadougou, l’accès à l’eau potable met en évidence les liens étroits entre genre, logement et inégalités urbaines. Les femmes, principales gestionnaires de l’eau domestique, sont particulièrement exposées aux contraintes des quartiers périphériques, où les distances à parcourir sont plus longues et les infrastructures moins nombreuses. Ces constats soulignent l’importance d’une planification urbaine inclusive, capable de renforcer l’accès aux services essentiels tout en tenant compte des besoins spécifiques des populations vulnérables. L’eau devient ainsi un miroir des inégalités urbaines et un marqueur de la précarité résidentielle à Ouagadougou.

Références bibliographiques
INSD, 2020. Cinquième Recensement Général de la Population et de l’Habitation du Burkina Faso — Résultats préliminaires. Ouagadougou : INSD. https://www.scirp.org/%28S%28czeh4tfqyw2orz553k1w0r45%29%29/reference/referencespapers?referenceid=3657329
NABALOUM T. Angèle, 2025. Approche géographique de l’accès des femmes aux logements urbains au Burkina Faso : Ouagadougou, ville capitale, thèse de Doctorat unique en Géographie, Université Joseph KI ZERBO, Burkina Faso,300 p.