Quelques causes du rejet des écoles bi-plurilingues au Burkina FasoRésumé : Ce document de vulgarisation est tiré d’un article scientifique publié en juillet 2024 dans la Revue Africaine des Sciences de l’Education et de la Formation (RASEF) N°4, Juillet 2024, pp 217-229 par Docteur (CR) BATIONO Zomenassir Armand dont le titre est « Diagnostic du risque du retour probable de certaines écoles bilingues à la forme classique au Burkina Faso ». En effet, au Burkina Faso, il est de plus en plus courant que des écoles bilingues soient menacées de fermeture au profit d’écoles classiques. Pour la recherche de ces causes, notre étude s’est proposée de mener une enquête à ce sujet. C’est une étude qui s’inscrit dans plusieurs axes de recherche tels que la sociolinguistique scolaire, la socio-didactique, la politique linguistique et l’ethnolinguistique. Quatre-vingt (80) personnes ont été touchées pour cette étude. En termes de résultats, il ressort que les représentations sociales du français par rapport aux langues nationales dans le pays jouent un grand rôle dans ces prises de position. A cela, il faut ajouter l’absence de l’État sur le terrain. Ce qui favorise le manque de motivation des acteurs. Ainsi, comme solution à ce problème, nous portons l’espoir que la politique linguistique actuellement en cours, relative à l’officialisation des langues burkinabè, permettra, sans doute, de minimiser cet état de fait. Mots-clés : politique linguistique - sociolinguistique scolaire - socio-didactique – ethnolinguistique- école bilingue Introduction – les représentations sociales du français dans la société burkinabè et l’absence de l’État à travers une politique linguistique claire sont les principales causes du rejet à long terme, des écoles bilingue par certaines communautés au Burkina Faso ;
1. Clarification de concepts 1.1. Éducation bilingue/enseignement bilingue Selon une approche définitionnelle de Hamers et Blanc (1989, p. 301), « L’éducation bilingue désigne tout enseignement dans lequel, à un moment variable, pendant un temps et dans des proportions variables, simultanément l’instruction est donnée dans au moins deux langues dont l’une est généralement la première langue de l’élève ». Cette définition corrobore avec la pensée de Duverger lorsqu’il affirme « qu’un enseignement est appelé bilingue lorsque deux langues sont officiellement et structurellement présentes à l’école, parallèlement, pour communiquer et surtout pour apprendre » (Duverger, 2015 :15). Dans le système éducatif du Burkina Faso, deux types d’enseignement bilingue ont été expérimentés il s’agit du bilinguise additif en usage dans les écoles bilingues et le bilinguisme soustractif expérimenté dans les écoles satellites. « Les termes additif et soustractif sont définis selon le contexte d’acquisition du bilinguisme. Dans un contexte additif, les deux langues apportent des éléments constructifs et se complètent pour favoriser l’enrichissement linguistique et cognitif de l’individu » (Lambert, 1975). « Dans la situation du bilinguisme soustractif, les deux entités linguistico-culturelles sont plutôt compétitives que complémentaires » (Hamers, 1980) Pour le cas particulier du bilinguisme soustractif pratiqué dans les écoles satellites, Napon, et al. (2001 :386) affirment que « ces écoles favorisent le bilinguisme de transfert en commençant les apprentissages en langue et finir exclusivement en français à partir du sous-cycle Cours élémentaire (CE) » Selon Bationo (2021 : 228), « on peut parler de bilinguisme additif si les deux langues sont suffisamment valorisées ». Dans ce cas, l’enfant est capable de développer une plus grande flexibilité cognitive par rapport à l’enfant monolingue qui n’a pas cette expérience. Pour l’auteur c’est aussi, lorsque la langue maternelle et la langue officielle/langue étrangère sont utilisées comme supports d’enseignement tout au long de la scolarité. L’objectif est d’atteindre un très bon niveau de langue maternelle (L1) et un niveau élevé dans la langue seconde (L2). Elles favorisent l’apprentissage d’une langue seconde sans effet néfaste sur l’acquisition et le maintien de la langue première. Quant au Bilinguisme soustractif, (op.cit.), c’est lorsque la langue maternelle est dévalorisée dans le milieu socioculturel de l’enfant. Par conséquent, le développement cognitif de ce dernier risque d’être ralenti. Le bilinguisme dans ce sens est de type soustractif. C’est aussi, lorsqu’une des langues n’est pas considérée au même niveau par l’entourage ce qui entraîne une compétence limitée dans cette langue. L’objectif du bilinguisme soustractif est d’amener les apprenants à abandonner la langue maternelle et à employer la langue officielle/langue étrangère comme langue d’enseignement dès que possible. Il favorise surtout la diglossie. De nos jours, et dans le contexte du multilinguisme qui est devenu la norme, on parle de plus en plus d’enseignement ou d’éducation bi-plurilingue à l’effet de prendre en compte les autres langues en présence. 1.2. Ecole bilingue/école classique Par contre, pour une école classique, le français demeure la seule langue d’enseignement. Selon le Décret n° 2008-681/ PRES/ PM/MESSRS/ MEBA/MASSN/ MJE du 3 novembre 2009 portant adoption de la lettre de politique éducative, cette école a pour but de favoriser l’épanouissement de la personnalité, le développement des talents, les aptitudes mentales et physiques de l’enfant. De cultiver en lui le sens du respect des valeurs de la République, notamment les droits humains et les libertés fondamentales ainsi que le sens du respect de soi et des autres, de son identité, de sa langue, de ses valeurs culturelles et des valeurs nationales du pays. De le préparer à assumer les responsabilités de la vie dans une société libre, dans un esprit de compréhension, de paix, de tolérance, d’égalité entre les sexes et d’amitié entre tous les peuples. De lui faire acquérir les valeurs de l’éco-citoyenneté. Cette école ne prend pas en compte de façon spécifique les valeurs culturelles de l’enfant ainsi que ses besoins langagiers. Elle se contente de lui inculquer des valeurs linguistiques et culturelles importées. L’enseignement est subdivisé en trois sous-cycle qui comporte deux divisions chacune. A l’issue de six (06) ans de scolarisation, l’enfant passe le Certificat d’étude Primaire (CEP). 2. Cadres théoriques et méthodologique Comme l’indique son nom, la sociolinguistique scolaire s’intéresse au milieu purement scolaire. A ce titre, cette théorie nous permet d’identifier, d’analyser et d’évaluer les enjeux linguistiques et didactiques en milieu scolaire. L’intervention de cette théorie sur le terrain de l’école permet de faire des « synthèses indispensables à la recherche pédagogique sur l’interrelation verbale, les pratiques discursives en classe, les performances des enfants en relation avec leurs milieux familiaux/sociaux » (Marcellesi, 1985 :10). Aussi, la politique linguistique permet d’interpeler l’État et de situer ses responsabilités dans le processus de la valorisation des langues nationales. Elle invite les décideurs politiques à prendre plus d’engagement pour favoriser davantage la valorisation des langues nationale enclenchée depuis les années 70 au Burkina Faso. Ainsi, nous convenons avec Calvet et Boyer sur la clarification de ce concept. Pour le premier auteur, « la politique linguistique désigne un ensemble de choix conscients concernant les rapports entre les langues et la vie sociale » (Calvet, 1996 :11). Il ajoute que la planification linguistique souvent confondu à la politique linguistique, n’est que la mise en pratique concrète de cette dernière. C’est-à-dire le passage à l’acte en quelque sorte. Par ailleurs, l’expression politique linguistique est un sous-champ de la sociolinguistique, notamment de la sociolinguistique appliquée à la gestion des langues. Quant au deuxième auteur, il pense que « la notion de politique linguistique est appliquée en général à l’action d’un Etat. Il désigne les choix, les objectifs, les orientations qui sont ceux de cet Etat en matière de langue(s) » (Boyer, 2010 : 3). L’approche sociodidactique se situe au croisement de la didactique des langues et de la sociolinguistique. Elle étudie en particulier l’apprentissage des langues comme une modalité d’appropriation non dissociée des acquisitions en contexte social et des contextes sociolinguistiques. Elle utilise des méthodes de recherche sociolinguistique : observation participante, questionnaires et entretiens semi-directifs, biographies langagières, observation des pratiques sociales contextualisées. (Blanchet, 2011 : 463). Enfin, l’ethnolinguistique, est une branche de la linguistique qui étudie les liens entre les langues et les cultures. L’ethnolinguistique prend comme objet d’étude et la culture et la langue du groupe. La langue en discours, associée à l’observation ethnographique est la base même de l’ethnolinguistique. En effet, la langue est étroitement liée à la culture. Elle est le lieu privilégié pour saisir la culture. Étant donné que nous sommes dans le domaine des langues nationales, la théorie de l’ethnolinguistique nous permet d’étudier les relations entre langue, culture et société. C’est pourquoi « l’ethnolinguistique sera l’étude du message linguistique en liaison avec l’ensemble des circonstances de la communication » (Pottier, 1970 :1). La méthodologie de la présente étude se présentera comme suit : l’échantillonnage, la zone d’étude et le questionnaire. L’échantillonnage est de quatre-vingt (80) parents d’élèves. La zone d’étude est la province du Ziro qui est l’une des quatre provinces de la Région du Centre-Ouest du Burkina Faso qui abrite deux écoles bilingues. Celle des villages « Taré » et de « Lué ». Un questionnaire a été administré à cet effet. Il se compose comme suit : 3. Résultats de l’enquête Cette création vous a été imposé ou bien est-ce un choix de la communauté ? Avez-vous été associés pour le choix de la langue à enseigner ? Souhaitez-vous que l’on ramène ces écoles à l’ancien système ? Pourquoi ? 4. Discussions Aussi, « les langues nationales ne sont pas évaluer aux examens ce qui constitue une faiblesse dans le dispositif d’évaluations des apprentissages en langues nationales » (Ilboudo, 2009 :17). De plus, la promotion des écoles bilingues est essentiellement assurée par les ONG, les associations et par certains projets. A titre d’illustration, on peut dire que ce sont les ONG Solidar/Suisse (ex OSEO) et Tin-tua qui ont permis à l’enseignement bilingue de connaître sa gloire. C’est pourquoi il est légitime d’affirmer que « le manque d’engagement clair de l’État sur les questions de langues nationales augmente la méfiance des populations dans ce domaine » (Napon 2000). C’est sans doute ce qui pousse certaine population à renoncer à ce type d’enseignement même après la création des écoles bilingues. Car, l’absence réelle de l’État sur le terrain finit par convaincre les parents que les écoles bilingues sont des écoles au rabais. Aussi, le manque de matériel de production fait perdre aux séances de cours sur le volet pratique de production. Cela transforme du même coup les séances de classe en des séances purement théoriques. Les élèves qui sont alors formées dans ces conditions ne sont plus capables de s’auto employer. Ce qui est contraire aux objectifs visés par l’enseignement bilingue. Enfin, en guise de solution, nous souhaitons que l’État accélère sur la suite des autres politiques en matière de valorisation des langues. En effet, au plan politique le gouvernement a pris un certain nombre de textes pour la valorisation des langues nationales. Il s’agit de la loi N°033-2019/AN du 23 mai 2019 portant loi d’orientation sur les modalités de promotion et d’officialisation des langues nationales du Burkina Faso et du décret N°2019-0600 du 5 juin 2019 et du décret N°2022 0016/PRES/PM/MATDS/MENAPLN/MESRI/MCRPCAT du 20 janvier 2022 portant adoption de la politique linguistique. Il est attendu un engagement politique réel de la part de l’État. Cette politique en cours est la seule voie qui peut permettre à l’État de s’impliquer pleinement dans la gestion de l’enseignement bilingue au Burkina Faso. Car, « Pour qu’une politique linguistique (comme toute politique publique : éducative, sanitaire, environnementale...) ne s’arrête pas au stade des déclarations et passe à l’action, il faut qu’elle mette en place un dispositif et des dispositions : on passe à un autre niveau, celui de l’intervention concrète, et c’est alors qu’on peut parler de planification, ou d’aménagement ou de normalisation linguistiques » (Boyer, 2010 : 6). Conclusion Nous avons fait le constat que les écoles bilingues sont de plus en plus menacées de fermeture pour des raisons diverses. Ainsi, une enquête menée à ce sujet a confirmé davantage cet état de fait. En effet, il est ressorti de cette étude que certaines écoles bilingues ont de forte chance d’être transformé en écoles classiques sur demande expresse de quelques communautés. Car, la démotivation se fait sentir à tous les niveaux. L’enquête a relevé que les enseignants sont mal préparés pour l’implémentation du système. Ils manquent de matériel et d’une insuffisance de formation. Aussi, la politique linguistique en vigueur ne permet pas d’évaluer les acquis des langues nationales aux examens scolaires. Quant aux parents, ils se sentent délaissés par l’Etat. Certains pensent qu’ils ont été trompés dans la mise en œuvre de l’enseignement bilingue et dénoncent le manque de soutien de l’Etat. Certains envisagent la transformation des écoles bilingue en écoles classiques. Cependant, les seules solutions en cours restent la politique linguistique enclenchée par le gouvernement. Sa mise en œuvre pourrait faciliter l’intégration des écoles bilingues dans leurs milieux. Zomenassir Armand BATIONO Références bibliographiques Bationo Z. A.et al. (2021). « « Langues nationales et éducation de qualité par le bi- Blanchet, P. et al. (2011), Principes transversaux pour une socio-didactique dite ‘de terrain’ Décret n° 2008-681/ PRES/ PMlMESSRS/ MEBAlMASSN/ MJE du 3 novembre 2009 Hamers, J. F., (1980), Le rôle du langage et de la culture dans les processus d’apprentissage Lambert, W. E. (1975), « Culture and language as factors in learning and education », In a Napon, A., (2000), « La problématique de l’introduction des langues nationales dans |