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« À travers l’objectif » : Ezechiel Nanéma, un talent qui émerge dans la photographie

dimanche 13 octobre 2024.

 

Ezechiel Cosmos Nanéma est un jeune photographe burkinabè qui trace son chemin à la tête de Capture Event, une structure qu’il a créé en 2022. Même si le métier nourrit son homme, le jeune homme a déjà vu des vertes et des pas mûres. Loin de se laisser dérouter par les épreuves, il croit en l’avenir de ce métier qui attire de plus en plus de jeunes. Portrait.

Son premier contact avec un appareil photo remonte à 2008. « Il y avait un petit appareil photo à la maison. Avec les événements familiaux, j’ai commencé à l’utiliser. C’est ainsi que j’ai développé cette passion pour la photographie », explique Ezéchiel Nanéma, qui définit la photographie comme l’art de figer le temps.

C’est en 2016 qu’Ezéchiel Nanéma décide de faire de cet art un métier. Comme tout apprenant, il accompagne toujours l’un de ses amis photographe sur le terrain. Son rôle d’assistant lui va comme un gant, mais le jeune veut franchir le pas, effectuer le grand saut. Il décide de se donner les moyens nécessaires pour vivre sa passion. Mais il doit faire face à un obstacle : ses parents qui voient d’un mauvais œil le métier de photographe.

Contre vents et marées

« Ils étaient assez réticents parce que les gens avaient une très mauvaise image de la photographie au Burkina. Pour beaucoup, le photographe était juste un débrouillard, qui n’arrivait pas à joindre les deux bouts. Le fait que certains photographes exposent les photos après une cérémonie a aussi contribué à banaliser le métier », explique le jeune Ezechiel.

Bien décidé à braver les obstacles, il puise dans ses économies réalisées grâce à de petits boulots d’informaticien et de développeur d’applications et sites web. Avec son premier appareil photo, il décroche ses premiers contrats en 2018 dans la couverture d’anniversaires. Mais ce n’est qu’en 2020 qu’il commence véritablement à couvrir les mariages. « Mon plus gros contrat à ce jour m’a rapporté entre 400 et 500 mille francs CFA. C’était un événement qui s’étalait sur une longue période. Le client avait besoin à la fois de photos et de vidéos. », confie Ezéchiel Nanéma, qui a toujours eu pour modèle l’entrepreneur audiovisuel David Armel de Destiny Pictures.

Toutes ses prestations n’ont pas toujours été facturées. Ezechiel Nanéma avoue avoir pris des photos gratuitement à des événements afin de se faire connaître, acquérir de l’expérience et enrichir son portfolio. « Ce qui est bien en photographie, note-t-il, c’est que ce n’est pas un métier où l’on te demande le nombre d’années d’expérience que tu as. Si quelqu’un a besoin d’un photographe, il va demander à voir ses photos, son travail tout simplement. »

Entre le marteau et l’enclume

Aujourd’hui, le jeune photographe est de plus en plus sollicité. Il confie d’ailleurs avoir couvert quatre activités en une journée. Une journée marathon qu’il n’est pas près d’oublier de sitôt. « Je devais sortir avec mon assistant pour couvrir des événements. Malheureusement, la veille, il a eu un accident et on ne pouvait pas déprogrammer. Seul, je devais donc couvrir quatre événements dans des lieux assez éloignés dans la ville de Ouagadougou. Le premier, c’était une formation qui devait se dérouler à Nagrin, à la sortie sud de la ville. La formation s’est déroulée de 6h à 7h 45. Après, j’ai continué à Saaba pour couvrir un mariage. J’ai fini de prendre les photos autour de 11h. Puis, il y avait des gens qui voulaient faire un clip promotionnel pour leur événement. C’était à Bangr-weogo. Mais c’était un clip assez rapide. J’ai passé environ 2h sur les lieux. À 14 h, c’était déjà fini. Enfin, la quatrième activité était une cérémonie de dot au quartier Gounghin suivie d’une petite cérémonie organisée après au quartier Pissy. À la fin de cette journée, j’étais vraiment épuisé ».

La couverture de mariages

La photographie de mariage est l’une des spécialités de Ezechiel Nanéma, bien que cela soit complexe et épuisant. C’est un parcours de combattant où le photographe n’a pas droit à l’erreur : aucun détail ne doit être laissé au hasard.

La veille d’un mariage, le photographe n’a le droit de se reposer que quelques heures. Après, il doit contacter le marié pour les derniers réglages. Vérifier que les engins sont opérationnels, que les batteries des appareils sont bien chargées et que les cartes mémoires sont vides est également une autre étape de cette préparation avant le départ le jour J entre 3h et 4h du matin, pour le salon de coiffure.

« Mais, regrette le jeune photographe, il peut y avoir des imprévus. La maquilleuse peut accuser un retard. Le véhicule devant transporter la mariée du salon à l’espace dédié aux prises de photos peut également traîner en chemin », explique Ezechiel Nanéma.

En fonction du mariage, l’équipe du jeune photographe peut aller soit directement à la mairie, soit à l’église, ou dans le cas d’un mariage musulman, aller à la mairie uniquement et se retrouver le soir à la mosquée. Le photographe doit être capable de filmer de jour comme de nuit dans les moindres détails, car les cérémonies s’achèvent généralement tard.

Ezechiel Nanéma affirme toujours s’impliquer de manière personnelle dans la couverture photographique des évènements qu’on lui confie. « Quand je photographie, je m’applique comme si c’était ma propre photo. Je ne veux pas donner aux clients une photo où les gens ne regardent pas l’objectif ou sont flous ». La photographie de mariage est certes passionnante pour le jeune Ezéchiel, mais pas sans difficultés. Il affirme redouter l’étape de prise de photos des parents et amis avec les époux.

« Quelle que soit la bonne organisation d’un mariage, il y a toujours des problèmes à ce niveau », regrette-t-il. Et de poursuivre « Par exemple, il y a eu un cas où, la veille du mariage, nous avons élaboré une fiche avec le marié sur l’ordre de passage. Le marié et la mariée d’abord, ensuite le marié, la mariée et les témoins. Après, les parents du marié, puis ceux de la mariée avant que les deux parents ne soient réunis. Jusque-là, tout allait bien, mais c’est après les choses se sont compliquées ».

Bien qu’il soit encore jeune dans le domaine de la photographie, Ezéchiel Nanéma ne se plaint pas. La photographie nourrit bel et bien son homme quand on sait s’y prendre. « Chaque client a des besoins, chaque client vient avec son budget. C’est au photographe de savoir répondre à ses demandes. Par exemple, quelqu’un ne va pas venir avec un budget bas et dire qu’il a besoin de prises de vue aériennes de drone. C’est compliqué à gérer. C’est au photographe de trouver la bonne formule pour faire comprendre au client qu’il est obligé de mettre le prix s’il veut la qualité. C’est à lui de bien détailler les choses et si le client est vraiment convaincu, il ne va pas hésiter à mettre le prix. »

Galère…

Des difficultés ? Ce n’est pas ce qui manque dans ce métier qui attire de plus en plus de jeunes. « Tu peux aller couvrir un événement gratuitement et revenir avec du matériel endommagé à cause d’une bousculade, par exemple. Pourtant, le matériel coûte cher. Les plus petits appareils tournent autour de 500 000 F CFA. Certains appareils atteignent le million et même plus, sans objectifs », confie Ezechiel Nanéma.

Des anecdotes sur les galères que vivent les photographes, Ezéchiel Nanéma en a à la pelle. Un jour, une personne le contacte pour la promotion de son événement. Il décide d’y aller avec son assistant et deux appareils photos. « Nous avons pris les photos de départ, mais nous devions monter sur ce qu’on appelle un camion publicitaire. Moi, j’étais du côté droit du camion et mon assistant était à gauche. Malheureusement, les barres fixées sur les bords du camion ne tenaient pas. Dès le départ, quand la barre a cédé, mon assistant est tombé. Il a su maîtriser sa chute et l’appareil n’a pas subi trop de dégâts. Il y a eu plus de peur que de mal, juste quelques égratignures. Le camion a avancé un peu et quand nous étions sur le goudron, l’autre barre de l’autre côté du camion a également lâché et cette fois-ci, c’est moi qui suis tombé. Quand je suis tombé, j’ai su maîtriser ma chute. Malheureusement, le flash et l’écran de l’appareil se sont rayés ».

Contre toute attente, le camion ne s’est pas arrêté aux dires de Ezechiel Nanéma. Il décide donc de le rattraper. « J’ai dû poursuivre le camion sur une distance d’environ un kilomètre jusqu’à ce qu’il arrive à un feu tricolore. Quand il a ralenti, j’ai pu remonter. Après l’activité, nous avons été parmi les premiers photographes à livrer notre travail. Nous n’avons même pas eu l’argent du carburant. Ce sont de petites choses qui démotivent. En rentrant à la maison, je me suis fait une réflexion : " Et si mes deux appareils photos avaient été endommagés ? Ma carrière dans la photographie aurait été compromise". Après cet épisode, j’étais assez réticent à faire des photos lors de certains événements. », regrette Ezechiel Nanéma.

…et le manque de considération

À cette difficulté, le jeune photographe ajoute le manque de considération de certaines personnes qui veulent profiter du travail des chasseurs d’images sans y mettre le prix.

« Il y a certaines choses à savoir, surtout dans la photographie événementielle. Quand tu y vas pour prendre des photos, les gens pensent qu’ils t’aident en faisant ta promotion. Et dès lors qu’ils considèrent cela comme une aide, ils ne vont pas te payer, quelle que soit la qualité de ton travail. Malheureusement, c’est ce que j’ai remarqué, et c’est dommage parce que beaucoup d’acteurs de l’événementiel sont dans cette logique. Dans un événement normal, il y a un budget pour les médias qui inclut les photographes. Mais généralement, c’est dans ce budget que les gens trouvent le moyen de faire des économies. Ils trouvent un simple photographe. Et maintenant, comme ils savent que de nombreux photographes seront présents à l’événement, ils s’approchent de ceux-là pour avoir les photos. Et dès qu’ils reçoivent les photos, c’est fini. »

Les photographes aux smartphones

Une autre difficulté agace la plupart des photographes et des journalistes, ce sont les personnes qui utilisent leurs smartphones pour prendre des photos. Ezechiel Nanéma avoue avoir été maintes fois confronté à ce genre de situation. « Tant que tu n’as pas trouvé un moyen de mettre tes photos en ligne le plus rapidement possible, voire même l’heure qui suit, c’est compliqué. Et quand tu arrives avec ton matériel de deux millions de francs CFA et qu’il y a quelqu’un avec son smartphone qui te bouscule, entre dans ton champ et te parle mal. Tu es souvent obligé de rester calme. Mais très souvent, tu n’as pas le choix parce que tu dois te défendre, car on t’a payé pour un travail. Et ce n’est pas à la fin du travail que tu vas dire au client que c’est parce que des invités t’ont bousculé que tu as rendu un travail médiocre », note Ezechiel Nanéma.

« Organisation et ponctualité »

Pour réussir dans la photographie, trois qualités sont essentielles. « Il faut être organisé, ponctuel et méticuleux », soutient le jeune Ezechiel qui a dû innover pour être réactif dans la livraison des photos aux clients. « Si nous prenons les photos le matin, par exemple à 9 h, et que le client nous dit qu’il a besoin des photos à 12h, il les aura à l’heure parce que nous allons traiter les photos sur place », explique le responsable de Capture Évent, satisfait des rapports qu’il entretient avec les autres photographes.

« Nous ne sommes pas des concurrents, car le marché est assez vaste pour tous. Il y a des jours à Ouaga où il y a des centaines de mariages. Même si tu as les moyens, tu ne peux pas couvrir tous ces mariages. Donc, il est toujours mieux d’avoir de bons rapports avec les autres photographes. Par exemple, nous avons créé l’association des photographes dont je suis membre. Cela nous permet de partager nos expériences. Et quand il y a un problème entre deux membres, nous essayons de les réunir et de discuter pour régler le problème ».

Le passage à l’ISCOM

Ezechiel Nanéma est en année de licence en communication numérique à l’Institut supérieur de la Communication et du Multimédia (ISCOM). Il garde de bons souvenirs de son passage dans cette école créée en 2018 par le fondateur du journal Lefaso.net, Dr Cyriaque Paré. « Ce qui m’a beaucoup plu à l’ISCOM, c’est que c’était un institut qui correspondait aux réalités du terrain. Ce n’était pas théorique. Par exemple, dès la première année, nous avons manipulé des caméras et des caméscopes. Nous avons aussi manipulé des appareils photo. Pour ma part, j’avais déjà manipulé ces équipements, mais pour certains étudiants, c’était leur première fois. Et c’était bien. Dès la deuxième année, il y avait un système d’intégration à travers certaines entreprises partenaires de l’Institut. Nous avons travaillé pour gérer la communication de ces entreprises pendant un certain temps. Ensuite, nous avons fait notre présentation et notre travail a été noté. À travers cela, certains ont obtenu des contrats et d’autres ont gardé de bons rapports », raconte Ezechiel Nanéma.

Conseils d’aîné

Et s’il a un conseil à donner aux jeunes qui aimeraient embrasser le métier de photo comme lui, c’est bien d’être patient et de ne pas brûler les étapes. « Il ne faut pas s’endetter en achetant des appareils chers en pensant que l’on va forcément rentabiliser rapidement. Il faut du temps avant de commencer à être rentable en photographie. Si tu peux déjà fonctionner sans local pendant un moment, c’est toujours mieux. Les petits contrats que tu vas gagner ne seront pas suffisants pour couvrir les charges », conseille Ezechiel Nanéma qui reste convaincu que les jeunes ne doivent pas se laisser influencer par les préjugés. « La photographie est un métier d’avenir », dira celui qui souhaite se spécialiser dans la photographie de paysage, et aussi devenir cinéaste.

Fredo Bassolé
Lefaso.net