Burkina / Médias : « Chaque journal télévisé est un challenge pour moi », Ruth Bini OuattaraLEFASO.NET
jeudi 1er février 2024.Journaliste talentueuse et vedette de la présentation du journal télévisé (JT), chaque apparition de Ruth Bini Ouattara à la grande messe de 20h sur la télévision nationale du Burkina se termine avec une note de satisfaction. Juriste de formation, la présentatrice au charme irrésistible n’était pas prédestinée à faire du journalisme. Parcours professionnel, expériences, vie conjugale sont, entre autres, les questions abordées dans cette interview avec la fille de Diébougou, dans le Sud-ouest, devenue une icône du petit écran. Lefaso.net : Qui est Ruth Bini Ouattara ? Ruth Bini Ouattara : Ruth Bini Ouattara est une journaliste présentatrice à la Radiodiffusion télévision du Burkina (RTB) depuis 2007. J’ai commencé par le journalisme sportif au niveau du service des sports avant d’arriver aux actualités au niveau du journal télévisé (JT). Que peut-on savoir de votre parcours académique qui vous a conduit au journalisme ? Le journalisme était une aspiration et une passion pour moi depuis que j’ai quitté le lycée. Il faut dire que j’ai eu un parcours en droit. J’ai fait l’Unité de formation et de recherche (UFR) en sciences juridiques et politiques qui a été sanctionné par une maîtrise. C’est à l’issue de cette maîtrise en droit qu’il y a eu une opportunité de stage au niveau de la télévision du Burkina. Après le stage, certains ont été retenus pour commencer. Au cours de ce cheminement, je suis repartie sur les bancs pour chercher des connaissances dans le domaine du journalisme. Je suis allé préparer un master en journalisme à l’Institut panafricain d’étude et de recherche sur les médias, l’information et la communication (IPERMIC). Avec vos études en droit, vous auriez pu postuler dans les métiers de la justice. Pourquoi avez-vous basculé dans le journalisme alors que vous aviez un diplôme en sciences juridiques et politiques ? Après le baccalauréat, j’avais l’intention de faire du journalisme. Mes parents, à l’époque, avaient souhaité que je sois dans le domaine juridique. Ils voulaient que j’exerce des métiers de la justice comme magistrate, avocate et autre. Quand je prenais mes cours en droit, parallèlement, je faisais un stage en agence de communication parce qu’il me tenait vraiment à cœur d’entrer dans le domaine de la communication. Et c’est ainsi que, petit à petit, que je me suis débrouillée jusqu’à l’obtention de la maîtrise. Quand j’ai eu l’opportunité du stage et que je leur en ai parlé, ils n’y ont pas trouvé d’inconvénients. Pour eux, c’était beaucoup plus concret d’avoir un travail en attendant. J’ai donc profité de cette brèche pour entrer dans le domaine de la communication. C’était aussi à une époque où les autorités avaient souhaité féminiser le service des sports parce que l’expérience était déjà en cours au niveau de pays de la sous-région. Il y avait le Sénégal qui était très avancé, il y avait aussi la Côte d’Ivoire et bien d’autres pays. Elles ont souhaité dupliquer cette expérience chez nous au Burkina Faso. On nous a donc demandé si cela nous intéressait de nous essayer au journalisme sportif. C’est ainsi que nous, les dames, nous nous sommes retrouvées au niveau du service des sports. Quand vous êtes dans un domaine qui n’a pas été votre domaine de formation, à un moment donné vous pouvez être confrontés à des questions doctrinales ou à des questions d’écoles. Et ce sont des connaissances qu’on ne peut avoir que sur les bancs. C’est vrai qu’il y a des métiers qu’on apprend sur le tas, mais il y a des connaissances qui s’acquièrent uniquement sur les bancs. J’ai estimé qu’il était indispensable de retourner à l’école pour acquérir un certain nombre de connaissances. Je suis donc restée au service sport de 2007 jusqu’en 2015 où je suis arrivée au JT. Du service des sports, vous vous êtes retrouvée à l’information générale. Qu’est ce qui explique ce décrochage ou encore cette transition ? Je ne dirai pas que c’est un décrochage parce le sport, je l’aime toujours même si on ne me voit plus à l’antenne pour parler de sport. Cela reste une matière qui m’intéresse beaucoup. Parfois, quand j’ai l’occasion, je n’hésite pas à aller avec mes collègues du service des sports au niveau des terrains et des stades. Ma transition pour venir au JT est intervenue à une période où il y avait un flottement au niveau des dames dans la présentation. Initialement, c’était juste pour pallier cette période, le temps que les dames reviennent. Quand je suis venue, j’ai aimé et les responsables qui m’ont fait venir ont trouvé que c’était bien et on m’a proposé, si cela m’intéressait, de rester. Je n’y ai pas vu d’inconvénient parce que cette opportunité me permettait d’avoir une corde de plus à mon arc. Je suis restée jusqu’à ce jour. Comment s’est passé votre premier JT ? Mon premier JT, c’était dans les régionales de 19h. Cela m’a préparé parce qu’il y a moins de pression au niveau des régionales. Parce qu’on se dit qu’il n’est pas suivi par tout le monde au regard de l’heure à laquelle il passe. C’est une heure qui n’est pas de très grande audience. Donc, cela m’a permis d’entrer doucement dans la présentation du JT sans trop de stress. Il faut savoir aussi que chaque étape à son challenge. Si vous venez au niveau du 19h et que ce n’est pas concluant, ce n’est pas évident que vous puissiez aller au 22h15 qui est devenu 23h aujourd’hui. Et si là-bas aussi, ce n’est pas concluant ce n’est pas sûr qu’on vous amène au 13h et après au 20h. Donc chaque étape est un challenge et j’ai pu amorcer cela avec beaucoup de douceur et facilité. Ça n’a pas été trop difficile pour moi au niveau du JT. Maintenant, c’est le débit qu’il fallait adapter. Contrairement au sport qui est assez chaud, le traitement du JT est un peu plus froid. Donc il fallait adapter le débit au rythme du travail. On dit que le stress est le quotidien des journalistes présentateurs. Comment arrivez-vous à le dominer, puisque vous semblez être très à l’aise dans vos lancements ? Je ne sais pas si j’arrive à dominer le stress jusqu’à présent. Parce que chaque démarrage vous donne une certaine pression. Dès qu’on balance le générique, il y a une certaine pression que vous ressentez. Mais quand vous arrivez à faire une bonne entrée, ça vous donne de l’assurance pour la suite. Mais si vous titubez ou s’il y a un couac, vous êtes stressé pour la suite. Pour que ça passe, c’est vraiment difficile. Quand vous faites une très bonne entrée, la pression retombe. Je ne sais pas pour les autres présentateurs mais je ne suis pas sûre qu’il y en ait un seul qui puisse vous dire que comme il le fait depuis cinq ou dix ans, quand il monte sur le plateau il n’a pas de stress. Vous ne savez jamais qui est en train de vous suivre. Vous ne savez jamais aussi jusqu’où votre JT est suivi et puis vous ne savez pas comment les choses vont se passer. Donc chaque jour est un jour nouveau pour vous et chaque journal est un nouveau challenge pour vous. Y a-t-il un JT qui vous a particulièrement marquée ? Je ne dirai pas qu’il y a un JT qui m’a particulièrement marqué à priori ou que j’ai préparé d’une manière différente. Mais à postériori, ce qui s’est passé m’a amené à changer mon regard sur moi-même, ma façon de travailler. Il s’agit du JT du 19 décembre 2020 à l’époque du covid-19. J’ai parlé alors que j’étais en direct et je ne le savais pas. Je parlais de la lumière et je disais que ça éclate. Comme c’est le jargon qui est propre au métier, c’est une façon de dire que le sujet est surexposé, trop de lumière qu’il faut réduire. Quand j’ai dit ainsi, ça a suscité des interrogations mais je ne savais pas que j’étais en direct. Pour moi, je parlais aux techniciens. En plus, j’avais eu la malchance d’avoir une quinte de toux, les gens ont dit qu’elle n’a pas toussé dans le coude. Cela avait fait un certain tollé. Et les réseaux sociaux aidant, il y a eu beaucoup de critiques. Je dois dire qu’après cette expérience, cela m’a amené à revoir différemment ma présentation, la préparation du JT, à comprendre que chaque JT va avec sa sensibilité. Généralement, quand tout se passe bien, il n’y a pas de bruit. Mais quand il y a un petit couac, vous vous rendez compte que les gens font parfois semblant de ne pas vous suivre mais ils vous suivent. Il y a aussi le JT de 22h15 du 15 janvier 2016 au moment de la double attaque sur l’avenue N’Kwamé N’Krumah. L’information nous a trouvé au service et avec le chaos en ville, il fallait rester sur place pour gérer les choses. Il fallait faire des constats dans la ville, les hôpitaux, gérer les éditions spéciales. Je suis restée au service avec toute l’équipe et notre directrice générale (Danielle Bougaïré) à l’époque, jusqu’à 2h, 3h du matin, avant que Godefroy Bazié ne puisse se frayer un chemin pour venir nous prêter main forte. Vous êtes assurément une star de l’audiovisuel au Burkina. Comment arrivez-vous à gérer le regard des gens que vous croisez souvent dans les rues de Ouagadougou ? Je n’utiliserais pas le qualificatif de star. J’aime bien tout prendre avec humilité. Tout est grâce pour nous. On essaie de toujours donner le meilleur de nous-même. Les critiques du public nous permettent de nous améliorer au quotidien. Quand vous travaillez et que les gens vous apprécient et vous encouragent, cela vous donne une certaine satisfaction morale. Sans le savoir aussi, on vous met aussi au défi pour vous faire comprendre que vous n’avez plus le droit de régresser et qu’on a un regard particulier sur vous. J’essaie de donner le meilleur de moi-même. Pour le reste, on demande au seigneur de mettre sa main pour que les choses se passent bien. Votre habilité et dextérité dans la présentation du JT suscitent des comparaisons avec une de vos aînées qui a fait des beaux jours à la télévision du Burkina. Il s’agit de Mariam Vanessa Touré. Comment accueillez-vous cela ? Les gens le font dans un esprit d’appréciation, de critiques positives. Pour moi, chacun est dans un couloir. Chacun court dans son couloir, à son rythme et à sa manière. Ce qui est intéressant quand vous rentrez dans une maison de télévision, à la radio ou à la presse écrite, de façon générale, chaque journaliste vient avec son style. Je ne travaille pas forcément parce que je veux ressembler à quelqu’un. Ce n’est pas pour dire que je n’aime pas les comparaisons. Cela ne me dérange pas. Mais je dois simplement dire que j’essaie au maximum d’être moi-même et de faire les choses comme je le sens et si ça plait je ne peux que dire merci au public. Avez-vous des modèles dans le journalisme ? J’essaie de piocher un peu partout. Que ce soit au niveau des JT à l’international comme ici, j’essaie de regarder un peu comment les choses se passent. Je crois que c’est ce mélange de tout qui me permet d’avancer. A vos temps libres, que faites-vous ? J’aime la lecture, le cinéma et j’aime passer du temps avec ceux qui me sont proches. Je consacre une grande partie de mon temps à ma marche avec le Seigneur, j’y suis très attachée. Ce sont les choses qui sont essentielles pour moi. Ouattara est-elle mariée ou pas ? Comme cela relève du domaine privé, je préfère qu’on le garde. Mais je dois préciser que ceux qui exercent un métier public comme le nôtre n’ont pas des vies totalement différentes des autres. En tant que femme, il y a des pesanteurs socio-culturelles que nous essayons de surmonter au quotidien. Nos vies privées ne sont pas différentes de celles des autres mais c’est juste qu’elles attirent beaucoup plus de curieux. Les pesanteurs, elles sont liées à la mentalité. C’est ce que les femmes vivent en général dans la société qui se répercute dans notre profession. Quand vous arrivez dans ce genre de métier, il vous faut avoir un mental fort. Si vraiment vous êtes déterminés à réussir dedans, il faut que vous restiez fermes. Il n’y a pas ce métier qui n’a pas d’inconvénients. Des conseils pour vos jeunes frères et sœurs qui sont ou qui veulent faire le journalisme ? Lorsque vous venez par conviction, il vous faut faire les choses par conviction. Il faut toujours vous dire pourquoi tel autre a pu réussir et pas moi. Quand les obstacles se présentent, il faut chercher à les franchir. Il n’y pas de domaines sans difficultés. La vie est faite de challenges. Autant vous trouverez des gens qui travaillent à vous briser et à vous rabaisser, autant vous trouverez aussi des gens qui vont s’attacher à vous et veulent vous aider. Je le dis toujours parce qu’il est important d’avoir la foi en Dieu. Même quand je vais dans les écoles, les universités où on m’invite à échanger avec les étudiants, je leur dis toujours qu’il est important d’avoir la foi en Dieu. Ça va vous permet d’assainir votre vie et de vous fortifier face aux obstacles. Serge Ika Ki Vos réactions (3) |