30 ans de l’université Aube Nouvelle : La régulation des réseaux sociaux numériques au coeur d’un panelLefaso.net
mercredi 22 février 2023.Dans le cadre de la célébration de ses 30 ans, l’université Aube Nouvelle a organisé ce mardi 21 février 2023, à Ouagadougou, un panel sur les réseaux sociaux numériques. La modération, elle, a été assurée par l’enseignant-chercheur en journalisme et communication, Pr Serge Théophile Balima. Pour aborder le sujet sous divers angles, trois spécialistes du secteur de la communication ont été choisis. Ce sont Dr Cyriaque Paré (chercheur au CNRST et fondateur du média en ligne Lefaso.net et de l’institut supérieur de la communicationet du multimédia) , Daniel Bonzi (directeur de la règlementation, de la médiation et contentieux du Conseil supérieur de la communication) et Sié Maxime Da (directeur de l’expertise technique et du contrôle de la Commission de l’informatique et des libertés). Le principal thème retenu pour ce panel est intitulé : « Enjeux de la régulation des réseaux sociaux numériques face aux mutations technologiques des systèmes d’information ». Chacun des experts du domaine des réseaux sociaux numériques a eu neuf minutes pour présenter sa communication à l’assistance. Et le premier à se prêter à cet exercice, a été le Dr Cyriaque Paré sous désignation du Pr Serges Théophile Balima, modérateur du panel. L’angle traité par Dr Paré s’intitule « Incidences des usages citoyens des médias sociaux sur les pratiques des rédactions de presse » Les incidences malheureuses de l’usage des médias sociaux Durant sa communication, Dr Paré a rappelé que le Web 2.0 a permis au citoyen ordinaire de faire irruption dans le champ de la production et de la diffusion de l’information. Ce phénomène de desintermédiation remet en cause les prérogatives des professionnels de l’industrie des médias. La primeur de l’information aujourd’hui est le fait de citoyens ordinaires qui sont sur le terrain, qui sont témoins des événements et qui, avec les nouveaux outils de communication, collectent et diffusent l’information.
Tout le monde veut être aujourd’hui le premier à diffuser une information sans toujours prendre le temps de la vérifier, a-t-il déploré. Ce qui a bien entendu comme incidences malheureuses, la diffusion d’informations non vérifiées, voire de Fake news. La crise de l’identité journalistique Toute chose qui engendre selon le chercheur à l’Institut des sciences du Centre national de la recherche scientifique et technologique, une crise de l’identité journalistique. Ce, d’autant plus que l’on note avec la montée de l’usager communicant, une certaine perte de crédibilité des professionnels des médias au profit d’amateurs qui n’ont jamais exercé le métier. « Aujourd’hui, quand vous observez le compte Facebook d’Ibrahima Maïga ou d’Aminata Rachow, vous verrez qu’ils ont plus d’audience que beaucoup de médias professionnels. Et lorsqu’il y a un évènement d’envergure nationale, le citoyen a tendance à se précipiter sur les pages de ces “activistes’’ pour voir d’abord ce qu’ils ont dit avant de se référer aux médias conventionnels », souligne Dr Paré. À la crise de l’identité journalistique, s’ajoute celle du modèle économique des rédactions de presse. Le produit “information’’ qui se vendait aisément autrefois, est devenu de plus en plus difficile à écouler. Cela, du fait de la dévalorisation de l’information, a-t-il confié. « La surabondance de l’information a accentué ce que l’on appelle la substituabilité, qui dit que ce que vous voulez vendre, on peut le trouver gratuitement ailleurs ». L’impact du syndrome de la titrologie sur la qualité des articles Selon Dr Paré, le phénomène de “la titrologie’’ (expression couramment employée en Côte d’Ivoire qui caractérise le fait que des personnes préfèrent se contenter des titres des journaux sans s’intéresser aux contenus), entraîne des rédactions à produire des articles de basse qualité. « On voit certaines rédactions qui tombent dans ce piège-là, en produisant des articles sommaires, lapidaires qui sont plus ou moins contraires aux règles de la profession. Si cela fait le bonheur de ceux qui veulent seulement être au courant, il n’est nullement avantageux pour ceux qui veulent véritablement s’informer. Parce qu’un bon article doit être contextualisé et suffisamment documenté », a-t-il interpelé.
Le journalisme participatif Cependant, le fondateur de Lefaso.net ne dépeint pas toute la situation en noir. Parce qu’il n’y a pas que des incidences malheureuses, dit-il. En cela, le paneliste fait allusion au journalisme participatif à travers une co-production de l’information par des journalistes et des experts de divers domaines. Du point de vue de Dr Paré, le journalisme participatif permet aux rédactions de disposer de contenus bruts alimentés par les citoyens qui sont sur le terrain. Ce qui leur permet donc de bénéficier de milliers de reporters à travers le monde. Après l’intervention de Dr Cyriaque Paré, la parole est cédée à Daniel Bonzi, directeur de la règlementation, de la médiation et contentieux du Conseil supérieur de la communication. Lui, s’est appesanti sur le modèle de régulation que l’on pourrait envisager sur les réseaux sociaux au Burkina Faso. Contexte de la pertinence de régulation des médias sociaux C’est donc ainsi qu’il analyse le sujet sous l’angle : « Réseaux sociaux numériques, quel modèle de régulation pour une saine utilisation ? ». De prime à bord, Daniel Bonzi a tenu à rappeler que les médias sociaux occupent aujourd’hui une place de choix dans l’espace médiatique. En témoigne, indique-t-il, les publications diverses soit d’activistes politiques, d’institutions publiques ou privées, de lanceurs d’alerte ou de simples internautes, observées de plus en plus sur la toile. « L’encadrement de cette communication foisonnante qui ne répond souvent à aucune norme juridique ou professionnelle constitue donc un enjeu important pour la sécurité, la gouvernance électorale, la paix sociale, et le contexte de transition que nous poursuivons actuellement », a-t-il introduit.
Avant d’ajouter que l’appropriation massive des réseaux sociaux par les populations a contribué à augmenter considérablement les espaces d’expressions, jadis limités aux médias classiques dont la télévision, la radio et la presse écrite. Le juriste de formation se pose par conséquent, les questions suivantes : « Mais comment contrôler ces espaces de liberté sans verser dans la censure ou attenter à la liberté d’expression ? Ou comment contrôler et contraindre les plateformes numériques dont l’influence et l’hégémonie dépasse de loin nos États voire le continent ? ». Le champ de régulation du CSC « Le champ de régulation du Conseil supérieur de la communication (CSC) étant balisé et ne portant que sur la communication adressée au public. Comment donc réguler ces espaces de liberté qui de par leur format donnent l’impression de la correspondance privée ? Car tout ce qui relève de la correspondance privée est inviolable selon nos textes. Il apparaît donc nécessaire de définir donc la frontière entre ce qui est privé et ce qui relève du public », préconise M. Bonzi. En vue d’éclairer les participants sur cette interrogation, l’homme averti des questions juridiques s’est fait le plaisir de définir ce qu’est une communication publique. « La loi prévoit à son article 3 que la communication publique, c’est toute mise à disposition du public ou de catégorie du public, de signes, de signaux, d’écrits, d’images, de sons, de messages de toute nature qui n’ont pas le caractère de correspondance privée. Ce qui veut dire que tout ce qui ne relève pas de la correspondance privée, que nous avons à travers nos messages que nous nous envoyons entre nous, relève donc du champ de compétence de l’instance de régulation du CSC », a-t-il présenté. L’autorité du CSC selon la loi, s’exerce sur les activités audiovisuelles, de presse écrite ou en ligne, de publicité qui sont par excellence des domaines clés de la communication au public. En outre, cette même loi prévoit que l’instance de régulation a autorité sur toute mise à disposition du public d’informations sur tout support physique ou électronique ainsi que sur tous les médias nationaux et étrangers, diffusés sur le territoire national, quelles que soient les modalités, renchérit Daniel Bonzi.
Les modèles de régulation de l’Egypte et de la Côte d’Ivoire Dans le développement de ses idées, M. Bonzi en vient à partager l’expérience de deux modèles de régulation des médias sociaux actuellement en vigueur dans les pays d’Egypte et de Côte d’Ivoire. Le modèle de régulation adopté en décembre 2022 en Côte d’Ivoire, lui, prévoit que la diffusion de contenus audiovisuels de tout site, de blogueur, d’activiste, d’influenceur disposant d’au moins 25 000 abonnés n’a plus le caractère de correspondance privée, relève M. Bonzi. « Associer tous les acteurs à la question de régulation… » À l’entendre, ces deux exemples qu’il vient de partager avec l’auditoire, fournissent le plein pouvoir au régulateur d’ordonner par décision à tout fournisseur d’internet ou d’hébergeur de site, de suspendre immédiatement l’accès à un service qui diffuse un contenu malveillant. Cependant, le directeur de la règlementation, de la médiation et contentieux du CSC estime que ces lois ne suffisent pas à elles seules pour aboutir à une véritable régulation. Car il est pour lui, difficile que les États africains de façon individuelle puisse ordonner à Facebook, la suspension immédiate d’un compte.
Contribuant au développement de l’Afrique en général et du Burkina Faso en particulier, par la formation de nouvelles compétences, Aube Nouvelle commémore son 30e anniversaire sous le thème : « Résilience et gouvernance en Afrique subsaharienne ». Plusieurs pays participent à cet important événement pour l’université internationale, née en 1992 sous la dénomination « ISIG International ». Ces pays sont notamment le Cameroun, la Guinée Bissau, la Centrafrique, le Congo, la Pologne, le Comore et bien d’autres États voisins. Lefaso.net |