Analyse des principaux déterminants du choix de la carrière enseignante par les femmes/filles dans l’enseignement primaireDe nos jours, au Burkina Faso, le chômage des diplômés ne fait que s’accroître et la fonction publique jadis providentielle, n’arrive plus à les absorber. Par exemple, selon J. W. Doulkom et P. M. Ouédraogo (2019), le ministère de la Fonction publique a procédé au lancement officiel des épreuves comptant pour les concours directs de la fonction publique session 2019 et ce sont 1. 247. 751 candidats qui ont tenté leur chance pour 5. 892 postes. Ainsi, face à la dure réalité du chômage, plusieurs candidats se ruent vers l’enseignement qui reste le plus grand pourvoyeur des emplois publics. D’autres y sont poussés par leur famille, car, il n’est pas rare d’entendre de certains parents, ces propos : « Même si c’est dans l’enseignement, il faut y aller ». Tout porte donc à croire que l’enseignement est un choix par défaut. Or, comme l’affirme F. Macaire (1993, p.46), « la profession d’éducateur exige un engagement de l’être tout entier ; elle réclame le don de soi, et un don de soi librement consenti ». Le nombre de femmes/filles qui accèdent à la formation des enseignants du primaire s’est accru considérablement ces dernières années. Selon les statistiques des écoles nationales des enseignants du primaire, en 2010-2011, l’ENEP de Loumbila enregistrait un effectif de 696 stagiaires (394 de sexe féminin et 302 de sexe masculin). Par contre, en 2014-2015, 29 039 stagiaires dont 16 607 femmes étaient inscrites dans les ENEP et les Écoles Privées de Formation des Enseignants du Primaire (EPFEP). Quels sont les facteurs les plus déterminants dans le choix de cette profession enseignante ? 2. Méthodologie / Matériel et méthodes Notre public cible est constitué de l’ensemble des acteurs de l’ENEP de Loumbila. Il s’agit : des élèves-maîtresses, auprès desquelles nous avons cherché à identifier les facteurs les plus motivants de leur choix de devenir enseignantes, des formateurs qui restent les acteurs directs de la formation de ces futures enseignantes, des agents administratifs qui sont chargés de la gestion administrative, financière et pédagogique de l’école, des enseignants de l’école annexe, qui reçoivent chaque année les stagiaires qu’ils initient à la gestion des activités d’une classe. 3. Résultats Pour Marcel Postic & coll. (1990), le choix d’une profession ne provient pas toujours d’une décision rationnelle, dans la mesure où certaines décisions peuvent dépendre des circonstances extérieures comme les difficultés financières ou peuvent résulter d’obstacles, comme l’échec répété aux concours. Pour ces auteurs, trois facteurs de motivation entrent en interaction dans le processus de choix de la profession enseignante : les conditions d’exercice de la fonction (conditions matérielles, sociales, conditions de travail), les variables personnelles (histoire personnelle, valeurs) et les relations antérieurement vécues dans le milieu scolaire, avec les enseignants qui incarnent cette fonction. 3.1. De l’indépendance économique 3.2. De la reconnaissance sociale 3.3. De la vocation 3.4. Discussion des résultats Par contre, c’est la reconnaissance sociale telle que « la volonté de devenir fonctionnaire », « d’être utile aux autres », qui vient en deuxième position chez les stagiaires du Burkina Faso, avec 33,4% des réponses. Ce poids du statut social de notre point de vue, n’a pas été clairement exprimé par les enseignants français. Pour ce qui est de l’indépendance économique ou financière exprimée en termes de « sécurité de l’emploi », « refus du chômage », « désir d’avoir un salaire », les statistiques sont assez similaires, avec environ 22% de réponses des enseignants français et 25% de réponses des élèves-maîtresses burkinabè. Ainsi, contrairement à l’avis des agents administratifs, des formateurs et des enseignants de l’école annexe, interviewés, qui estiment que c’est surtout l’indépendance économique, ensuite la recherche d’un statut social et enfin, la vocation, qui déterminent la carrière enseignante des élèves-maîtresses, nous pouvons dire que l’ordre d’importance des facteurs, s’est révélé plutôt être la vocation (41,6%), suivie de la reconnaissance sociale (33,4%) et enfin l’indépendance économique (25%). Cependant, tout comme les agents administratifs, les formateurs et les enseignants de l’école annexe, dans le contexte socio-économique du Burkina Faso, marqué par le chômage des diplômés, ou tout porte à croire que l’enseignement est un choix par défaut, l’ordre d’importance des facteurs déterminants du choix de la carrière enseignante exprimé par les élèves-maîtresses est assez surprenant et nous interpelle. Aussi, poursuivant nos investigations pour mesurer le poids des différentes raisons dans le choix de la carrière enseignante, nous avons énuméré certaines motivations pour lesquelles nous avons demandé aux enquêtées de les classer par ordre d’importance. Les motivations matérielles comprennent le statut de fonctionnaire, le manque d’emplois et le refus de chômage, tandis que la vocation, se compose de l’amour du métier et du plaisir d’enseigner. Comme résultats, il apparaît que 52,70% des élèves-maîtresses imputent premièrement aux motivations matérielles leur choix de la carrière enseignante, contre 46,00% d’entre elles qui y voient la vocation. Quant à la jouissance des vacances, elle n’a reçu qu’un score très faible de 1,30%. Plus en détails, lorsque nous les avons interrogées précisément sur leur vocation, 46,00% des élèves-maîtresses ont réaffirmé avoir choisi l’enseignement par vocation, contre 29,33% qui disent n’y avoir aucune vocation et 24,67% qui disent qu’elles ne savent pas. Pour nous, cette dernière catégorie des enquêtées (24,67%) n’a pas en réalité une motivation vocationnelle du métier, puisque « la vocation innée », qui est une attirance naturelle vers un métier, exclut toute hésitation ou tout doute. En conclusion, ce sont donc les motivations matérielles (soit 54%) qui ont réellement, poussé les élèves-maîtresses de l’ENEP de Loumbila à opter pour l’enseignement ; elles constituent donc, les facteurs les plus déterminants dans le choix de la carrière enseignante (Ouédraogo, 2017, p.36). Ces résultats rejoignent ceux de Sessouma (2012) qui avait aussi analysé la recherche d’emploi comme un facteur déterminant du choix de la formation professionnelle dans les ENEP. Pour lui, « c’est l’accessibilité de la formation, l’échec répété aux concours directs, le besoin d’emplois, le souci d’accéder aux emplois publics qui mobilisent nombre de candidats pour la formation sur titre dans les ENEP ». Alors, quelles suggestions pourrait-on formuler en vue d’une meilleure sélection des candidates ou candidats ayant une forte vocation pour la profession enseignante ? 4. Conclusion Or, le métier d’enseignant commande de l’engagement, car, l’avenir et le développement socioéconomique du pays en dépendent ; d’où cet appel de F. Macaire (1993, p.45), que nous partageons : « le métier d’éducateur est une véritable vocation, c’est-à-dire un appel pour une tâche bien déterminée. Sa tâche […] est une œuvre de choix qui requiert un rare dévouement animé par un grand amour ». Il est donc souhaitable, que le comportement de certains enseignants exemplaires puisse susciter davantage de vocations dans l’enseignement au Burkina Faso. En outre, nous rejoignons Christian Guillevic (1999, p.219), qui déclare que « les tests d’aptitude sont très utilisés dans le domaine de la sélection et de l’orientation professionnelle. Cependant, le succès professionnel et l’adaptation à une tâche ne dépendent pas que des capacités cognitives et le recours à des tests de personnalité est parfois envisagé ». Il faudrait donc, en plus des tests d’aptitude, introduire dans le concours des ENEP, des tests de personnalité comme l’inventaire d’intérêts ou l’entretien de motivations, afin de sélectionner les candidats ou candidates qui manifestent une réelle passion pour l’enseignement. Auteurs : 5. Références bibliographiques BERNARD Jean-Luc et LEMOINE Claude, 2000, Traité de psychologie du travail et des organisations, Paris, Dunod, 56p. DOULKOM Judicael Wendbenedo et OUEDRAOGO Paul-Marie, 2009, Concours directs 2019 : 1 247 751 candidatures pour 5 892 postes, https://lefaso.net/spip.php?article92015, consulté en ligne le 02/04/2020, pp.1-3. DUCHESNE Claire, 2011, Effectuer une transition professionnelle pour donner du sens à la vie, Recherches en éducation, 11, pp.27-38. GUILLEVIC Christian, 1999, Psychologie du travail, Paris, Nathan, 255p. 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