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23e sommet Afrique-France : Le continent noir malade de sa jeunesse

mardi 6 décembre 2005.

 

La jeunesse africaine (sa vitalité, sa créativité, ses aspirations) était au centre des préoccupations du 23e Sommet Afrique/France, qui s’est tenu les samedi 3 et dimanche 4 décembre 2005 à Bamako.

Il y avait d’abord les habitués du précaré, qui ont rarement raté ce genre de rendez-vous à l’image de Denis Sassou N’Guesso, Blaise Compaoré, Idriss Déby, Abdoulaye Wade, Mamadou Tandja ou encore Omar Bongo Ondimba, le désormais doyen incontestable des chefs d’Etats africains.

D’abord incertain pour causes de troubles consécutifs à la présidentielle du 20 novembre 2005, le président gabonais a finalement fait un aller-retour Libreville-Bamako pour assister à l’ouverture de cette rencontre, et prendre, avec une concision extraordinaire (5 minutes chrono), la parole au nom de ses pairs.

Il y avait aussi les nouveaux venus dans le club comme Faure Gnassingbé, Ely Mohamed Ould Val ou François Bozizé ainsi que les "pestiférés" de l’Occident, tel le Zimbabwéen Robert Mugabe avec sa caractéristique démarche dandinante. Pour lui, toutes les rencontres sont bonnes pour sortir du ghetto dans lequel les Blancs veulent l’enfermer.

Il y avait également Thabo M’Beki, puis, dimanche matin, Olusegun Obasanjo, qui était retenu au Nigeria pour des raisons familiales.

Absent par contre, Laurent Gbagbo, qu’on annonçait pour le déjeûner de samedi, mais qui ne quittera finalement pas Abidjan. Est-ce à cause de l’attaque supposée ou réelle, la veille, de la gendarmerie d’Agban ? Est-ce parce qu’il n’avait pas envie de croiser son ami Chirac ? Est-ce parce qu’il a maintenant peur, comme on dit, de quitter son pays dont les portes pourraient se refermer derrière lui ?...

Toujours est-il qu’une absence aura rarement été aussi présente et bruyante. Il est vrai que depuis l’éclatement de la rébellion le 19 septembre 2002, la crise ivoirienne s’invite à toutes les conférences du genre, que Gbagbo soit là ou pas.

Standing ovation pour Sirleaf

Mais la star de ce Sommet aura sans conteste été Ellen Johnson-Sirleaf, la toute nouvelle présidente démocratiquement élue du Liberia et la première africaine à ce poste. Drapée dans son ensemble bleu, sa présence dans ce cercle jusque-là exclusivement masculin n’en a été que plus remarquable.

Quand elle fait son entrée sur le coup de 11 heures à l’amphithéâtre "Jeli Baba Sissoko" du Centre international de conférences (ex-palais des Congrès), c’est une standing ovation qui l’accueille. Toute la salle est debout, et Chirac, toujours aussi chaleureux et prévenant, lui fait un brin de causette marqué par un baise-main. Dans les usages protocolaires, il faudra désormais dire "Madame la présidente" avant d’ajouter "Messieurs les présidents".

Au total, et avant qu’ils ne soient rejoints le lendemain par Chief Olusegun, ils étaient 23 chefs d’Etat présents à l’ouverture de cette 23e conférence au sommet d’Afrique et de France.

Pour ce qui devrait être son dernier show du genre en terre africaine, c’est un Chirac visiblement radieux qu’il nous a été donné de voir dans "la ville des trois caïmans", un Jacques, ainsi que l’apostrophait Amadou Toumani Touré en le tutoyant, qui n’est jamais heureux que lorsqu’il est dans nos chaleureuses et hospitalières contrées. Qui plus est en ce moment avec cette atmosphère de fin de règne qui enveloppe l’Elysée, avec, comme corrolaire, l’impitoyable guerre de succession que se livrent le chef du gouvernement, Dominique Galouzeau de Villepin, et son ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy.

Si on ajoute à ses angoisses domestiques les bisbilles avec l’Amérique de sa jeunesse, les mésententes avec la perfide Albion au sujet notamment de la Politique agricole commune (PAC) de l’UE ou le récent départ de son ami Gerard Schröeder qui le rend orphelin, on comprend mieux cette cure de jouvence que pouvait représenter l’escapade sur les rives du Djoliba.

C’est donc à un grand chef blanc requinqué et à ses obligés africains que la jeunesse africaine, qui a parlé par la voix d’une jeune Camerounaise de 31 ans, Marie Tamoifo Nkom qu’elle s’appelle, s’est adressée.

Cette jeunesse africaine "généralement absente dans la prise de décisions et des grands débats de développement" et qui revendique "plus d’éthique et d’innovation à la tête des Etats" d’une Afrique malade de sa jeunesse.

Nous sommes dans l’urgence

"Nous ne voulons plus, martèle Marie Tamoifo, de déclarations et d’énièmes plans d’action, mais plutôt des mesures politiques structurées et opérationnelles, adoptées par les Etats en vue d’améliorer effectivement les conditions de vie de la jeunesse africaine", qu’il s’agisse de la formation et de l’emploi, des grandes questions environnementales et sanitaires (VIH/Sida, accès gratuit aux ARV), de l’insertion socio-politique et économique des jeunes ou de l’épineuse question des migrations.

"Le temps nous est compté... Nous n’avons pas l’éternité devant nous... Nous sommes dans l’urgence" , lance la porte-parole des jeunes. Puis, ce qui sonne comme une menace tombe : "Si les politiques ne s’occupent pas de la jeunesse, le vent du changement, en contexte démocratique, conduira la jeunesse à s’occuper des politiques afin que les engagements aient un sens". Eclats de rires et applaudissements dans la salle, sourire amusé des chefs d’Etat, qui diront plus tard avoir reçu le message 5/5.

Sur un continent où près des deux tiers de la population ont moins de 25 ans, "rien ne serait plus dangereux que de laisser les jeunes Africains sur le bord de la route", prévient en effet le président français, pour qui la seule question qui vaille est celle-ci : quel avenir l’Afrique va-t-elle offrir à sa jeunesse ? "La jeunesse africaine, renchérit l’hôte du Sommet, est notre plus grand atout et notre espoir, en vue de gagner la bataille du développement.

Seulement, nous ne devons pas aussi perdre de vue que ces dizaines de millions d’enfants, de jeunes, représentent une sérieuse menace pour l’équilibre de nos sociétés, en l’absence de réelles perspectives d’avenir".

Mais si tous dissertent à souhait sur les causes et les effets qu’elles peuvent produire, moins évidentes sont les solutions aux problèmes de la jeunesse, en matière par exemple d’emploi, leur préoccupation numéro 1.

Bongo Ondimba, qui règne depuis 38 ans sur un peu plus d’un million de Gabonais, n’est pas loin d’être fataliste quand il affirme que "le degré de développement de nos pays ne permet pas encore de satisfaire toutes les aspirations de la jeunesse", et qu’on ne peut pas tout faire "en un tour de passe-passe, en un jour". Et en 38 ans auxquels devraient s’ajouter 7 autres années ?

Invité du "Débat africain" dimanche matin sur RFI, son homologue malien, dont les contradicteurs étaient de jeunes Africains, finit par reconnaître la quasi-impuissance des Etats face aux difficultés qui assaillent cette frange de la population.

Amadou Toumani Touré a regretté qu’on ne parle pas, ou alors si peu, de cette autre immigration, celle légale, "dont nous ne tairons jamais les bienfaits... et qui permet à des millions de Maliens établis en Europe, en Asie, aux Amériques et en Afrique de financer des centaines de projets dans leurs vllages". Selon certaines statistiques, le montant annuel des transferts financiers de ces migrants en direction de leur pays d’origine est évalué à 120 milliards de francs CFA.

La grande nouvelle de ce jamboree franco-africain aura cependant été l’annonce faite par Chirac de faciliter la délivrance de visas de longue durée et à entrées multiples pour les entrepreneurs, les cadres, les chercheurs, les professeurs, les artistes (les journalistes aussi ?)... "C’est indispensable pour leurs activités" , a-t-il indiqué. Y a-t-il un agenda précis pour cela ? a demandé un confrère à la conférence de presse qui a sanctionné la fin des travaux.

"Il n’y a pas vraiment d’agenda puisque la mise en œuvre de cette décision sera immédiate. Il suffira que le ministre des Affaires étrangères donne aux consulats des instructions dans ce sens" , a-t-il répondu en substance.

Joli cadeau d’au revoir pour ses pairs africains même si on ne peut s’empêcher de remarquer que dans le même temps, l’impétueux Sarkozy promet des charters et la double peine aux émeutiers étrangers de la Courneuve et de Clichy-sous-bois, donne un tour de vis aux conditions d’accès à la nationalité française, bref se lépénise.

Rideaux donc sur cette grand-messe franco-africaine dont le grand absent aura tout de même été Alpha Omar Konaré, ancien président du Mali et actuel président de la Commission de l’Union africaine (UA). A-t-il voulu, comme on l’a entendu dans la capitale malienne, éviter de faire de l’ombre à son successeur ? La question reste posée.

Ousséni Ilboudo à Bamako
L’Observateur