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2e compact du Millenium Challenge Corporation au Burkina : La levée de la suspension conditionnée par le retour d’un gouvernement « démocratiquement élu », selon Dr. Michael J. Simsik

LEFASO.NET
mercredi 20 avril 2022.

 

Le récent coup d’Etat militaire du 24 janvier 2022 a conduit le conseil d’administration du Millenium Challenge Corporation à suspendre ses opérations au Burkina Faso, à travers un vote de son conseil d’administration, le 31 mars dernier. Le pays est également suspendu d’un compact original dont l’objectif est d’accroître les échanges énergétiques avec la Côte d’Ivoire. « Ces restrictions légales ne seront levées qu’après le retour d’un gouvernement démocratiquement élu au pouvoir », a laissé entendre Dr. Michael J. Simsik, directeur général du MCC au Burkina. Dans un entretien qu’il nous a accordé, lundi 11 avril dernier, il est revenu sur les conséquences de cette suspension, qui n’est pas une première en Afrique.

Lefaso.net : Le Millennium Challenge Corporation a suspendu le Burkina de ses activités, le 31 janvier 2022. La décision a été entérinée par un vote du conseil d’administration le 31 mars dernier. Quelles sont les conditions désormais pour lever la suspension ?

Dr. Michael J. Simsik : Je vous remercie pour votre question et pour l’opportunité que vous m’offrez d’échanger avec vous. Permettez-moi de vous donner un peu la chronologie des événements. Le 31 janvier 2022, le MCC a suspendu ses activités relatives au second compact après le coup d’Etat du 24 janvier. En vertu de la loi fédérale des Etats-Unis, le MCC a l’obligation d’être en partenariat uniquement avec les pays qui respectent les principes fondamentaux de la gouvernance démocratique, y compris les droits politiques et l’Etat de droit.

Le coup d’Etat n’est pas en accord avec les critères établis par la loi. Initialement, le MCC avait décidé de mettre en pause temporairement ses opérations au Burkina Faso afin de déterminer si le retour à la gouvernance démocratique se produirait dans des délais relativement rapides après le coup d’Etat. Comme cela ne s’est pas produit, le 31 mars 2022, le conseil d’administration du MCC a voté la suspension des activités du compact.

La dégradation de la situation sécuritaire (justificatif utilisé par les nouvelles autorités pour le coup d’Etat), n’aurait-elle pas pu constituer une circonstance atténuante pour le Burkina ?

L’aspiration du peuple burkinabè à la paix, à la sécurité et à la prospérité est importante et nous espérons que ces objectifs seront atteints par le gouvernement de transition. Cependant, le MCC n’est pas autorisé par le gouvernement des Etats-Unis à apporter son assistance à un gouvernement qui arrive au pouvoir par des moyens non-démocratiques, y compris un coup d’Etat militaire, quelles que soient les préoccupations qui ont pu motiver les responsables du coup d’Etat. Ces restrictions légales ne sont levées qu’après le retour d’un gouvernement démocratiquement élu au pouvoir au Burkina Faso.

Quel était le niveau d’avancement de ce second compact au Burkina qui, rappelons-le, vise à renforcer le secteur énergétique ?

Selon les estimations, 8 millions de Burkinabè sur une population de 21 millions, allaient bénéficier de ce second compact consacré au développement du secteur de l’énergie au Burkina Faso, à travers l’amélioration de l’accès à l’électricité, le renforcement de sa fiabilité et la réduction des coûts. Nous n’étions qu’à huit mois du lancement de ce compact. Ce lancement aurait marqué le début de la phase de mise en œuvre qui devrait couvrir la durée de cinq ans et s’achever en septembre 2027. Cependant, la suspension du compact signifie que nous sommes maintenant dans l’impossibilité de commencer la mise en œuvre du Compact comme prévu.

Il convient également d’ajouter que plus la durée de suspension du compact est longue, plus elle renforce la probabilité que le MCC ne puisse continuer de garder les fonds initialement alloués au Burkina Faso. Une telle situation va mettre davantage en attente les bénéfices pour le peuple burkinabè.

En plus du second compact, le Burkina Faso avait été sélectionné pour développer un compact original visant à accroître le commerce de l’électricité avec la Côte d’Ivoire voisine. Malheureusement ce compact original a été également suspendu. Nous poursuivons une étude de faisabilité qui est en cours en ce moment. Et une fois, qu’elle sera terminée en octobre de cette année, nous partagerons les résultats de cette étude avec le système d’échanges d’énergie électrique ouest africain. Cette institution pourra ensuite chercher un soutien potentiel auprès des bailleurs de fonds qui interviennent dans le secteur de l’énergie.

Quelles sont les conséquences d’une telle suspension pour le Burkina Faso et les Etats-Unis d’Amérique ?

La suspension de ce compact représente une très grande perte pour le peuple burkinabè. Les compacts du MCC sont conçus pour favoriser la croissance économique, réduire la pauvreté dans les pays partenaires. En collaboration avec le gouvernement burkinabè, nous avons mené une analyse des contraintes de la croissance économique et à l’investissement du secteur privé au Burkina. Cette étude a révélé que les contraintes à la croissance économique dans le secteur de l’énergie représentaient l’obstacle le plus important de la croissance économique. Notre collaboration pour la mise en œuvre dudit compact avait pour objectif d’injecter des fonds pour dynamiser véritablement le secteur en apportant des améliorations aux infrastructures énergétiques, à la capacité de production et à la diversification des sources d’énergie.

Le MCC est extrêmement fier du succès que nous avons eu avec le premier Compact au Burkina Faso. Grace à ce compact, nous avons pu construire plus de 418 km de routes primaires et secondaires pour améliorer l’accès aux marchés locaux. Nous avons également octroyé 2,8 millions de dollars aux petits exploitants à travers des prêts aux collectivités territoriales. La réussite historique de notre partenariat avec le Burkina Faso a justifié la décision du MCC de sélectionner le pays pour un second compact en décembre 2016 et plus tard le choix du pays pour le potentiel compact original. Nous continuons d’espérer que des mesures seront prises pour que nous puissions travailler à nouveau ensemble dans un avenir proche.

Depuis la suspension, le MCC a-t-il rencontré les nouvelles autorités burkinabè ? Si oui, de quoi avez-vous parlé ?

Oui. La semaine dernière (4 au 10 avril, NDLR), une délégation du MCC a rencontré des représentants du gouvernement de transition, y compris le Premier ministre et le président du Faso, pour leur communiquer la décision du MCC de suspendre le second Compact avec le Burkina Faso ainsi que le Compact original. La délégation en a profité pour remettre la lettre de la directrice générale du MCC au gouvernement afin de communiquer officiellement ce changement. Malgré cette situation, le MCC attache de la valeur à son partenariat de longue date avec le Burkina Faso et le gouvernement des Etats-Unis reste fermement engagé à soutenir le peuple burkinabè. L’immense majorité des aides humanitaires et de développement du gouvernement des Etats-Unis au Burkina Faso n’a pas été interrompu suite au coup d’Etat.

De la suspension, qu’est-ce qui pourrait amener le MCC à résilier complètement le contrat avec le Burkina ?

Il est vrai que le MCC attache de la valeur à son partenariat de longue date avec le Burkina Faso et reste engagé à soutenir le peuple burkinabè, mais le conseil d’administration du MCC ne peut envisager de reprendre l’assistance avec le Burkina qu’après le retour d’un gouvernement démocratiquement élu au pouvoir. Le MCC résilie le contrat de mise en œuvre du Compact avec le pays qui ne respecte pas les conditions dudit contrat qu’il s’agisse de non-conformité constants aux critères d’éligibilité ou de non-respect des termes du compact.

Est-ce la première fois que le MCC suspend un pacte avec un pays africain ?

Le MCC a déjà suspendu le Compact avec des pays pour des raisons similaires notamment le Mali en 2012, Madagascar en 2009. Dans les deux cas, les transferts de pouvoirs non démocratiques ont eu lieu et les deux nations ont perdu l’éligibilité à l’assistance du MCC. Lorsque le MCC s’est finalement rendu compte que les nouveaux gouvernements ne partageaient pas les principes fondamentaux de la gouvernance démocratique, dont le droit politique et l’Etat de droit, il a résilié les contrats et arrêté les travaux de ces compacts qui étaient en cours. Cela signifie que les investissements n’ont pas pu être achevés. En conséquence, les Maliens et les Malgaches n’ont pas eu la chance de bénéficier pleinement de ces investissements.

Votre mot de fin…

Le MCC accorde une grande importance à son partenariat de longue date avec le Burkina Faso et reste engagé à apporter son assistance au peuple burkinabè. Nous sommes bien conscients des nombreux défis auxquels le Burkina est confrontés tels que le terrorisme, le déplacement de 1,8 million de personnes qu’il a causé. A ce défi s’ajoutent le niveau élevé de la pauvreté, l’insécurité alimentaire, la faiblesse de la gouvernance et d’autres défis inhérents au développement de toute zone de démocratie. Malgré toutes ces difficultés, les Burkinabè ont toujours fait preuve de résilience et d’une attitude positive en ce qui concerne l’avenir. Par conséquent, le MCC nourrit l’espoir de pouvoir relancer son partenariat avec le Burkina Faso et le renforcer dès qu’un gouvernement démocratiquement élu sera de retour au pouvoir.

Propos recueillis par Fredo Bassolé
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