Chronique de la métamorphose du Burkina Faso de Blaise Compaoré (16)L’année 1996 avait débuté, au Burkina Faso, avec la recomposition des forces politiques qui soutenaient l’action du président Blaise Compaoré au sein du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP). Le CDP résultait de l’absorption par l’ODP-MT, le parti présidentiel, de huit groupuscules politiques plutôt gauchisants appartenant à la majorité présidentielle. Du même coup, avec 87 députés sur un total de 107, cette nouvelle formation marginalisait l’opposition. A Son premier gouvernement, formé le 9 février 1996, est d’ailleurs une reconduction du précédent cabinet à trois exceptions (mineures) près : Emploi, Travail et Sécurité sociale ; Agriculture et Ressources animales ; Transport et Tourisme. La nomination au poste de Premier ministre d’un homme tel que Kadré Désiré Ouédraogo, un homme neuf sur la scène politique burkinabè, éloigné des luttes politico-militaires de la Cette normalisation de la vie politique permet dès lors de donner la priorité à l’action économique. Economique et diplomatique car Compaoré se prépare à une échéance majeure : l’organisation à Ouagadougou du Sommet France-Afrique dont le thème ("gouvernance et développement") "est au coeur de nos préoccupations, le débat sur l’organisation de nos Etats, sur la manière d’obtenir de meilleurs résultats, sur la bonne gestion du secteur public, sur l’encadrement des activités privées [étant] central", soulignera Compaoré dans un entretien accordé à Jeune Afrique (20-26 novembre 1996) à quelques jours de l’ouverture du Sommet. Au printemps 1996, dans la perspective de la préparation de ce Sommet (et à la veille de la tenue, à Lyon, du G7 consacré aux politiques de développement), Compaoré est venu en visite à Paris. C’est aussi l’occasion pour lui de publier un papier dans Le Journal du Dimanche (30 juin 1996). Le JDD a, déjà, la qualité éditoriale qu’on lui connaît aujourd’hui mais pas encore la notoriété qui est désormais la sienne (et qui a obligé, depuis, les groupes de presse français à "sortir" le dimanche). Le papier de Compaoré va passer inaperçu. Ou presque. Dommage ; il était essentiel et il le reste. Avant d’en évoquer le contenu, il faut reprendre la présentation de l’auteur par le JDD. "A 45 ans, y est-il écrit, Blaise Compaoré est un des chefs d’Etat les plus écoutés de Le papier de Compaoré est intitulé "Mondialisation ou perdition ? ". Soulignant d’abord, que "les intérêts financiers de quelques mégagroupes [...] enserrant dans leurs mailles l’ensemble de la planète [...], il est vain de parler de systèmes économiques différents", le chef de l’Etat burkinabè constate que "tout se passe comme si le mot magique de la croissance devenait lui-même son objet et sa finalité". Or, nous dit-il, au Nord comme au Sud, dans les pays développés comme dans les pays sous-développés, il existe une "fracture sociale (chômage, exclusions, affaiblissement du système de sécurité sociale) ", "l’accumulation des des déficits budgétaires ", "une croissance aux antipodes de la justice et de la solidarité ". La responsabilté selon Compaoré, en incombe à l’absence de "projet de société tant à l’intérieur des Etats qu’entre les nations, étouffant le quart-monde dans les pays du Nord et élargissant le fossé Il affirme "que le monde est en état d’urgence économique en dépit, et surtout à cause de cette mondialisation ; le néolibéralisme, après plus de quinze a "triomphalisme ", a montré ses limites en soumettant sans sourciller la culture et la socié au joug de l’efficacié économique ". On le voit, Compaoré, malgré sa métamorphose, n’a rien perdu de sa capacité d’analyse et de révolte, dénonçant un néolibéralisme qui est, dans le tiers-monde, "plus prodigue de ses "La vraie mondialisation, écrivait Quand il a été publié, ce texte m’a emballé. Il a emballé également un de mes amis, Claude Laigle, ingénieur, ancien président du Beptom (qui avait en charge la coopération française l’outre-mer en matière de télécommunications et de services postaux) et de Satel Conseil, président du Groupement pour le développement des télécommunications rurales en Afrique(Gircom). Nous avons aussitôt alerté le directeur de cabinet de Compaoré, Sanné Topan, pour souligner l’intérêt qu’il y avait à promouvoir ce texte. Laigle en a fait une analyse dans Marchés Tropicaux (27 décembre 1996) considérant que "Mondialisation ou perdition ?" avait "ouvert le grand débat de notre temps" que Compaoré avait lui-même relancé à Ouaga, lors de la conclusion du Sommet France-Afrique. "Si l’Afrique devait rester en marge des préoccupations de de l’ordre mondial du 3ème millénaire, alors elle sera forcément une bombe et ses radiations se répandraient certainement loin ". Laigle écrivait alors : "Aussi le moment est-il venu que Nous sommes en 1996. Ce n’est qu’en janvier 2001 que sera organisé, au Brésil, à Porto Alegre, le premier Forum social mondial sur le thème : "Un autre monde est possible ". Nul peut nier que, déjà, plus de quatre ans auparavant, Compaoré et son équipe avaient engagé Une réflexion sous-tendue par une action permanente menée à la tête de l’Etat. Comme quoi les utopies peuvent devenir, parfois, des réalités. A condition, comme dirait Compaoré qu’il y ait tout à la fois "détermination et engagement collectif pour le travail" A suivre Jean-Pierre Béjot Lire aussi : |