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Ouagadougou : Une ville qui a mal à son patrimoine culturel

jeudi 2 avril 2009.

 

On l’entend très souvent : « Ouagadougou est une capitale culturelle ». Les arguments ne manquent pas. En effet, on va vous énumérer les manifestations de l’Etat (FESPACO, Salon de l’artisanat, Salon du livre, etc.) ou des privés (festivals de théâtre, de marionnette, carnaval dodo, fête de la bière et même un festival des festivals). « Et Pourtant ! ». C’est Galilée qui l’avait dit. Ouagadougou a mal, très mal à son patrimoine.

Sans préliminaires, nous commençons par quelques constats. Les Dogons sont de nos jours sur les falaises de Bandiagara dans l’actuelle République du Mali. Avant de s’y installer, ils auraient, au cours de leurs migrations, marqué une halte à Ouagadougou, où les inhumations en jarres-cercueils, qui sont si caractéristiques d’eux, leur ont été attribuées. Certains ont été déterrés accidentellement lors de la construction du barrage n°2.

Ceux qui avaient la responsabilité de la ville ont, à l’époque, pris le soin de suspendre les travaux pour faire quelques relevés et des photographies. Que reste-t-il de ces vestiges ? Rien ! Pis, depuis 1955, nous n’avons pas connaissance de travaux suspendus à Ouagadougou pour étudier le patrimoine qui dort sous nos pas et qui peut nous aider à mieux comprendre la ville.

La plus vieille construction de Ouagadougou

La ville de Ouagadougou à l’époque préconiale a été une capitale de cour. Les moogo nanamsé (pluriel de moogo naaba, chef suprême du royaume) y ont résidé soit bien avant qu’elle ne devienne leur lieu de résidence permanente (Yãndfo, Zoetrebusma, Zaana, Guirga, Wubi, Warga) ou après qu’elle le soit devenue (Zombré, Koom I, Saaga I, Rulgu, Sawadogo, Karfo, Baogo, Kutu, Sanem, Wobgo). Plusieurs palais y ont été construits pour les abriter.

Que reste-t-il de ces vestiges ? Rien. Le pire est à venir. En effet, personne, à ce jour, ne sait dans quelle partie de la ville, Wubri, son fondateur, a résidé. Ainsi, pour le commun des mortels, les moogo nanamsé ont toujours habité le palais actuel, d’ailleurs construit sans égards aucuns aux traditions architecturales des Moose.

A bien y réfléchir, c’est même bien que les « dapobi » (gardes) aient reçu l’ordre d’interdire des prises de vues. A Abomey au Bénin, les palais des rois (Hwegbaja, Akaba, Agaja, Tégbésu, Kpengla, Agonglo, Adandozan, Gézo, Glélé, Gbéhanzin, Agoli-Agbo) ont été conservés, choyés et sont même le seul site de la République du Bénin inscrit sur la liste du patrimoine mondial. Ils reçoivent des milliers de visiteurs, y compris les hôtes de marque de l’Etat.

Au cours du règne de Moogo naaba Rulgu (1776-1825), les Yarsé ont été autorisés à construire à Ouagadougou une mosquée pour les grandes prières musulmanes. Cette mosquée était naturellement l’une des places fortes de la ville, après le palais du Moogo naaba et Rood Woko, le grand marché de la ville. Cette mosquée a pratiquement le même âge que la Révolution française ; elle est présentement la plus vieille construction de la ville de Ouagadougou.

Nous devrions être fiers de la présenter, comme le font les Grecs (avec le temple d’Apollon), les Romains (avec le Colisée), les Sénégalais (avec la maison des esclaves de Gorée), les Maliens (avec les mosquées de Djenné et de Tombouctou). Mais elle est dans un état lamentable. Un bon médecin dirait même qu’elle est dans la phase terminale de sa maladie. Chaque passage, quasi quotidien, des locomotives assourdissantes lui envoie des ondes sismiques nocives ; à cela s’ajoutent les pluies, aussi ravageuses qu’une nuée de criquets dans un champ sahélien.

La chaîne de naaba Yandfo

Les rails de la Régie Abidjan-Niger (RAN) dans sa portion « chemin de fer du Mossi » sont arrivés le 23 octobre 1954 à Ouagadougou par le côté ouest, traversant les quartiers Rimkiéta et Wogdogo (secteur 19), Mankougdougou (secteur 9), Larlé et Roanghin (secteur 10), Bilbambili, Moembin et Norghin (secteur 3). Les travaux de terrassement, eux, ont pris fin en 1946. Qu’est-ce qui a été conservé comme biens culturels lors des travaux ? Rien. Il se dit, par contre, que ce sont d’ailleurs lesdits travaux qui auraient fait disparaître la fameuse chaîne de naaba Yandfo, que le Larlé naaba Anbga évoquait avec déférence et qui figurait symboliquement dans les anciennes armoiries de la ville de Ouagadougou.

Les recherches historiques et linguistiques sont unanimes : le toponyme Ouagadougou, tel qu’écrit, ne veut rien dire. Ainsi, la capitale de la Haute-Volta, aujourd’hui Burkina Faso, Pays des hommes intègres, est désignée par une fausse appellation. Qu’est- ce que chacun de nous ressent lorsqu’un quidam écorche son nom ? Le vocable doit être réécrit ; les linguistes ont fait des propositions concrètes.

En lieu et place des cités

Ouagadougou était divisée en quartiers spécialisés. En effet, il était donné de distinguer les quartiers du souverain, ceux des gardes, des serviteurs, des différents dignitaires, etc. De part le nom du quartier, on avait une idée de ses habitants et de leurs fonctions. Mais pendant la Révolution Démocratique et Populaire (1983-1987), il fut décidé paradoxalement, sans consultations populaires, que les différentes entités de la ville seraient appelées « secteurs géographiques » ; ces secteurs seront identifiés par des numéros de 1 à 25, puis à 30.

Les palais des chefs et leurs occupants furent interdits de fréquentation (ils étaient les symboles de la féodalité) ; les nouveaux points de rendez-vous étant la « Permanence », qui est le siège des Comités de défense de la révolution, ces fameux CDR. Ces organes supplantent désormais les chefs et gèrent les affaires des nouveaux territoires. A ce jour, le patrimoine que constituaient les noms (patrimoine immatériel) de la ville a pris le chemin qui conduit sûrement à la disparition.

Certains quartiers de la ville (Bilibambili, Tiendpalgo, Zangoétin) ont fait l’objet de déguerpissement. En lieu et place, il a été construit des « Cités » baptisées « 1200 logements », « Cité An 2 », « Cité An 3 » et « Cité An 4 A et B » ; en réalité, ce sont des bâtiments dont très peu, sinon aucun n’évoque notre passé architectural, qui y ont été élevés. Aucune réalisation ne porte un témoignage qui permet aux enfants du Burkina Faso en général, et à ceux de Ouagadougou en particulier de se référer à leur passé.

Sur le site Internet de « les 50 Afriques », nous lisons ce billet : « Selon le ministère des Infrastructures, 42 milliards FCFA seront investis dans des travaux d’embellissement et de réhabilitation des infrastructures de la capitale. Le financement sera assuré, en plus de l’apport du gouvernement, par le Japon, Taiwan et la Libye. D’importants travaux routiers sont prévus, dont la construction d’échangeurs, ainsi que la réhabilitation du grand marché Rood Woko, et l’extension de l’aéroport et le désenclavement des quartiers périphériques ». A ces milliards s’ajoutent ceux que le maire a mentionnés lors de son dernier bilan.

Ce que dit la loi

Ces travaux ont effectivement commencé, sans égard aucun pour le patrimoine : en effet, ni les historiens, ni les archéologues encore moins les techniciens de la Direction du patrimoine culturel n’ont été associés à ces grands travaux. Pourtant, la Loi n°24-2007/AN du 13 novembre 2007, portant protection du patrimoine culturel au Burkina Faso, en son article 38, stipule : « Le volet archéologique doit être inclus dans les frais d’études de grands travaux de construction et d’aménagement ».

Veut-on nous faire croire que l’échangeur de l’est, celui de l’ouest, le Projet zaca ne sont pas encore de grands travaux pour le Burkina Faso ? Si pour ces projets, le volet archéologique n’est pas pris en compte, qu’en penser pour le projet de l’aéroport Ouaga-Donsin ? Combien de ceux qui nous gouvernent savent qu’il y a une loi y relative ? Est-ce qu’après la loi, il a été proposé un décret d’application ? N’y a-t-il pas lieu que les professionnels du patrimoine se secouent un tant soit peu, au lieu de passer du temps à contempler les vieux calendriers sur leurs bureaux ?

A la fin de ces constructions, la commune de Ouagadougou sera certainement « développée ». On ne peut s’empêcher de penser à cette analyse d’Apollinaire Kyelem : « Quand on vient à l’homme, il serait préférable de remplacer le terme « développement » par épanouissement, bien-être ou mieux-être ». Ces termes en effet ont l’avantage de la précision.

Ils s’appliquent généralement à des êtres animés alors que le terme développement s’applique au bâtiment ou à l’usine en construction, à la technique, à la science, comme à l’économie et à la vie de la société. D’où une inévitable confusion qui peut amener à penser que le développement dans la vie en société est égal au développement des usines, de bâtiments, etc.

Le remplacement de ce terme confus par l’un ou l’autre de ceux ci-dessus mentionnés interpellera certainement, après la construction du bâtiment, de l’usine, de l’autoroute, après l’acquisition de la technique, l’homme se retrouvera face à lui-même pour se demander s’il ressent un certain bien-être ou un mieux-être.

C’est alors que, sans doute, il s’interrogera sur son être et son devenir. S’il n’a pas ainsi accédé au bien-être, il remettra beaucoup plus facilement en cause les moyens et les méthodes. Le changement de terminologie, toute proportion gardée, peut contribuer à résoudre les problèmes de mal développement.

La fanfare municipale

Depuis plus de 40 ans, la ville de Ouagadougou a lié amitié avec d’autres villes. C’est ce qu’on a appelé « jumelages » : Loudun, Leuze, Founzan, etc. Il existe même un comité de jumelage de la ville. Pour éviter le courroux de certains gourous, nous passons sous silence la vie de ce comité. Mais nous savons qu’à Loudun, il existe quelque chose qui ressemble à un musée de la ville de Ouagadougou. Y sont exposés, entre autres, des biens culturels que des délégations de Loudun en visite à Ouagadougou ont reçus.

Nous y avons vu des biens culturels des années 1960, qu’il est difficile de trouver à Ouagadougou présentement. Il me vient alors à l’idée cette question ? Où est-ce que la ville de Ouagadougou entrepose les souvenirs des jumelages avec les autres villes de 1966 à nos jours ? Il se tient depuis quelques années, un carnaval dans la ville de Ouagadougou ; d’autres villes du monde organisent les leurs.

Seulement, là-bas, ce sont les réalités culturelles et historiques qui sont mises en valeur. A Evora par exemple, qui est une ville classée sur la liste du patrimoine mondial, on voit des mises en scène de la vie au Moyen Age, de l’occupation romaine ; passons sous silence ce qu’offre le carnaval de Rio (Brésil) ; revenons à Ouagadougou pour chercher à connaître le contenu du festival. Les organisateurs vous diront que les majorettes de la ville sont merveilleuses, que la fanfare municipale est impeccable, que les dodos sont spectaculaires, etc. Et tout le monde est content. Interdit de rire.

De tout cela, seuls les dodos viennent d’un pays voisin (le Niger), du Burkina Faso ; les autres sont d’origine outre-mer. Et ce sont ces références culturelles que l’on offre aux Ouagavillois. Et on s’étonne que les grafitis sur les murs de la ville ne parlent que de Hong-Kong, de Babylone, etc. Quelle occasion est donnée aux Ouagavillois de connaître le fondateur de leur ville, ou son organisation de l’espace, ou encore le rôle et les fonctions de ses quartiers. Bref, quel background donne-t-on au Ouagavillois pour qu’il ne soit pas complexé quand son ami de Loudun lui parlera du Cardinal de Richelieu ?

Pas de bibliothèque municipale

Chercher un document sur la ville de Ouagadougou, sur quelque thème que ce soit : histoire, géographie, architecture, archéologie, santé, personnalités, etc. Vous en trouverez certes. Mais il faut attacher votre ceinture, comme on dit, pour sillonner les bibliothèques de la ville : Méliès, archevêché, CNRST, université, etc. on peut y aller, mais pas à la mairie. En effet, la commune de Ouagadougou n’a pas de centre de documentation vraiment spécialisé sur elle.

Par ailleurs, on ne sait pas qui veille et rassemble tout ce qui se produit sur elle. Autrement dit, personne ne maîtrise le potentiel documentaire sur la ville (que le « service » qui est au secteur 23, non loin de la mairie de Nongremassom et en face de l’hôtel Silmandé, nous en excuse beaucoup). D’où, des redites que l’on constate çà et là dans les bibliothèques et les librairies. On l’aurait su qu’on orienterait les recherches là où il y a déficit par exemple.

Sur la corde des ancêtres

Pour des contraintes de pagination, nous nous en tenons pour l’instant à ces constats. Qu’en retenir ? Le patrimoine a un rôle social important. Il permet à chacun d’une part de prendre conscience qu’il appartient à un groupe humain (passé commun, parenté,…) ; et d’autre part, de comprendre le présent (les événements, les modes de vie). Et cela, ce sont les Européens qui l’ont le mieux compris. Lisons ces mots de Joseph Ki-Zerbo : « Ce qui frappe dans les pays européens, c’est cet auto-investissement continu du passé dans le présent.

La continuité n’est pas rompue. Les hommes politiques citent les auteurs du XVIe siècle ou même les écrivains gréco-latins. Le nom des avions ressuscite les réalisations du passé ; caravelle, frégate, etc. Les navires et les bars font revivre les grandes figures ou batailles historiques : Richelieu, Pasteur, Jules Vernes, Trafalgar, etc. ».

Nous n’avons jamais dit de ramener le passé à la vie. Nous demandons de « créer un capital spirituel qui constitue une source multiforme et permanente d’inspiration... » pour les hommes politiques, les poètes, les écrivains, les hommes de théâtre, les musiciens, les savants de toutes sortes et, aussi, tout simplement pour l’homme de la rue. Un adage bien connu dit ceci : « C’est sur la corde tressée par les ancêtres que l’on tresse la nouvelle corde ».

Lorsqu’on laisse sombrer dans la nuit de l’ignorance des trésors culturels de notre capitale, n’est-ce pas là, vraiment, un exemple du manque de sens de la continuité dont parle Ki-Zerbo ? Quelle sera la trame de la nouvelle corde que les nouvelles générations doivent tresser ? C’étaient là, juste, quelques préoccupations et inquiétudes d’un gestionnaire du patrimoine immobilier.

Dr Lassina Simporé, Archéologue, gestionnaire de patrimoine culturel immobilier : Conservateur du site des ruines de Loropéni (lassina.simpore@univ-ouaga.bf)

L’Observateur Paalga



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