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El hadj Ahmed Tiemtoré, imam burkinabè à New-York

« Les musulmans sont plus libres aux Etats-Unis qu’en Arabie Saoudite »
lundi 14 août 2006.

 
El hadj Ahmed Tiemtoré

El hadj Ahmed Tiemtoré est un imam burkinabè qui a immigré aux Etats-Unis il y a six ans. Sidwaya l’a rencontré au cours du Symposium sur les migrations tenu du 12 au 14 juillet à Ouagadougou. Il évoque dans cet entretien, les raisons qui l’ont conduit à aller à l’aventure, sa vie aux USA et ses investissements dans son pays natal.

S : Pourquoi avez-vous décidé d’aller à l’aventure ?

A.T : J’ai effectué mon premier voyage à l’extérieur dans le cadre de mes études. En effet, j’ai fait l’école franco-Arabe jusqu’en 3e où j’ai eu mon BEPC. Mais comme vous le savez, à l’ époque , il n’ y avait pas de possibilités de poursuivre les études franco-arabes après le BEPC au Burkina Faso. Donc je suis allé à l’ambassade de la Syrie où j’ai pu obtenir un visa. C’est ainsi qu’en 1986, je suis allé en Syrie pour poursuivre mes études. En 1992 je suis revenu au pays. Une année après, c’est-à-dire en 1993, je suis reparti, cette fois-ci en Arabie-Saoudite.

Là-bas, j’ai obtenu le titre d’Imam après quatre ans de formation. De retour au pays en fin de l’année 1996, j’ai commencé à enseigner dans une école dénommée Masoud à Tanghin. Deux ans après, j’ai créé une association dénommée Communauté du Saint Coran (CSC). L’objectif était de vulgariser au sein des fidèles, l’Ecriture Sainte à travers une traduction dans les langues nationales.Mon ambition était donc de construire une mosquée et une école franco-arabe, afin de mieux réussir la mission que nous nous étions assignées au sein de l’association, à savoir l’appel des fidèles.

Pour pouvoir réaliser tous ces rêves, je me suis dit alors qu’il me fallait aller à l’aventure. Vous savez bien qu’ici au pays, ce n’est pas facile. C’est ainsi qu’en septembre 2000, j’ai pris la route des Etats -Unis.

S : Dans quelles conditions êtes-vous parti en clandestin ?

A.T : (rires !). J’avais obtenu un visa de l’ambassade des Etats-Unis. Je ne connais que la voie légale pour aller à l’aventure. J’ignore comment les autres partent et je ne cherche même pas à le savoir. Il paraît que des Burkinabé vivant à l’étranger, promettent à certaines personnes de les faire sortir moyennant des fortes sommes. Cela fait six ans que je suis là-bas mais cette idée ne m’a jamais effleuré l’esprit. Ça ne m’intéresse pas.

Moi j’ai eu la chance d’avoir un bon curriculum vitae. En effet, j’ai été retenu comme imam officiel lors du Sommet de l’Organisation de la conférence islamique en 1999. Cela a beaucoup contribué à l’obtention de mon visa.

S : Avez-vous pu vous intégrer facilement ?

A.T. : Sans problème. Dès mon arrivée je me suis présenté à la communauté musulmane de la localité. On m’a aussitôt demandé de diriger la prière de Ramadan. Tous les fidèles, ont apprécié et m’ont aussitôt adopté. Depuis lors, j’ai été reconnu comme imam officiel par l’administration américaine.

S : Comment la communauté burkinabé vivant aux États-Unis est-elle organisée ?

A.T. : Vous savez, les USA, c’est de plusieurs Etats. Donc le regroupement n’est pas facile. De plus, les gens sont très occupés . Vu les opportunités qui sont offertes, plusieurs Burkinabé exercent deux métiers à la fois.Certains travaillent le jour comme la nuit. Mais cela ne nous empêche pas d’être solidaire et de nous entraider en cas de besoin. Lorsque quelqu’un d’entre nous est malade, nous l’assistons jusqu’au bout. En cas de décès, nous nous occupons du rapatriement du corps ou de l’enterrement sur place. Les mariages et les baptêmes sont également des occasions qui nous permettent de nous rapprocher davantage les uns des autres.

S : Généralement quel genre de métier exercent les Burkinabè vivant là-bas ?

A.T. : En Amérique c’est facile . Il y a tous les métiers. Par exemple, il y a des Burkinabè qui travaillent dans des hôpitaux, d’autres dans les banques et d’autre encore dans les aéroports... surtout quand on a les papiers, on fait tous les travaux que les Américains font.

S : Mais est-ce que vous avez une idée approximative du nombre de Burkinabé qui sont là-bas ?

A.T. : Connaître le nombre ce n’est pas facile parce qu’il y a des Burkinabé dans les autres États. Ce n’est donc pas aisé de donner le nombre, mais on peut estimer à 2 000 ou 3 000 Burkinabé.

S : Vous êtes imam aux Etats-Unis, alors que les gens pensent que ce sont les musulmans qui sont des terroristes. Au même moment où les Etats-Unis sont en train de lutter contre les terroristes, n’avez-vous pas de problèmes là-bas ?

A.T. : J’étais là-bas avant le 11 septembre 2001, lorsque les attentats survenaient, j’y étais également. Mais les musulmans africains n’ont pas de problèmes. Si vous êtes musulmans arabes là, c’est autre chose. C’est d’eux dont a peur et qu’on considère comme des terroristes. En plus si vous n’êtes pas mêlés à des problèmes administratifs, vous êtes tranquilles dans votre mosquée, vous priez sans problèmes. Même à l’aéroport John-Kennedy, il y a une mosquée. Quand vous voyagez, vous priez là-bas. Donc dans la ville de New-York, nous n’avons aucun problème. Je suis officiellement reconnu imam et professeur d’arabe même à l’ambassade.

Alors quand on ne se mêle pas de politique et qu’on ne fait pas de dégâts on n’a aucun problème avec l’Amérique. Par exemple, moi je suis là-bas, je viens deux ou trois fois par an. Depuis que je suis aux Etats-Unis, je suis venu 10 ou 11 fois. Je n’ai vraiment aucun problème. Je suis toujours en boubou. Je ne change pas de tenue, je laisse ma barbe. Aux heures de prières, on peut prier n’importe ou même dans le métro. Les musulmans sont un peu plus libres là-bas que dans certains pays arabes. Moi, j’étais en Arabie Saoudite, les musulmans ont beaucoup plus de difficultés là-bas qu’aux Etats-Unis. La question de voile dont on parle en France n’existe pas aux Etats-Unis. On n’est libre de se voiler ou pas. Des fois, je me voile moi-même pour aller enseigner. Il y a des femmes qui se voilent totalement en noir et travaillent dans des bureaux là-bas sans problèmes.

S : Que pensez-vous du terrorisme . Est ce qu’il y a une relation entre islam et terrorisme, selon vous ?

A.T. : Le terrorisme c’est quoi ? quelqu’un qui veut détruire un pays est un terroriste. Le nom terrorisme est venu avant l’islam. Voyez-vous, le problème entre Israël et les Arabes ne date pas de maintenant. C’est un très ancien problème. En Afrique ici au Soudan, au Rwanda, il y a le terrorisme. Par exemple, le président dit que le rebelle est un terroriste. C’est vrai parce qu’il veut gâter. Mais celui qui veut au nom de l’islam faire le mal n’est pas de l’islam. L’islam veut dire la paix. Je ne me mêle pas de politique. Même quand le prophète est venu à La Mecque, il a sensibilisé les gens à se convertir sans violence.

Mais à chaque fois qu’il y a une chose nouvelle, elle suscite toujours des réactions. Et en voulant se défendre, on t’accuse d’être le fauteur de trouble. Sinon ce ne sont pas les musulmans qui sont des terroristes de notre monde actuel. Parmis les terroristes il y a des musulmans comme il y a des chrétiens et même des gens qui ne pratiquent aucune religion.

S : En tant qu’imam, comment avez-vous accueilli les caricatures que les journlistes européens ont fait du prophète Mahomet transportant une bombe ?

A.T. : A vrai dire, nous étions étonné parce qu’il n’est pas bon que des gens provoquent d’autres. En exemple, je dis que nous croyons au prophète. Il existe Moïse, Jésus et Mahomet dont parle le Saint Coran. De même qu’un musulman ne doit pas mal parler de Moïse ou de Jésus, un chrétien (catholique , protestant) ne doit pas mal parler du prophète des musulmans.

S : Gagnez-vous bien votre vie là-bas ?

A.T. : En tout cas, je ne me plains pas. Grâce à mon travail, en tant qu’imam et enseignant d’arabe, j’ai construit une mosquée de vendredi à Ouaga 2000, une école franco-arabe de neuf classes. A vrai dire, je pense que les conditions de travail sont meilleures aux Etats-Unis qu’ailleurs. Ceux qui acceptent de travailler s’en sortent toujours bien.

S : A combien estimez-vous le montant de vos investissements au pays ?

A.T. : Il y a en réalité plusieurs types d’investissements. Il y a le soutien que l’on envoie à la famille pour s’alimenter, se soigner etc. Il y a également la création d’emploi pour les parents (frères, soeurs, ...)Il m’est un peu difficile d’évaluer ce qui a été investi, surtout en ce qui concerne la construction de l’école franco-arabe et de la mosquée. Mais de façon générale on peut estimer la construction de l’école à 24 millions de FCFA . Si l’on prend en compte la prise en charge des enseignants et de quelques enfants sans omettre l’imam, cela fait beaucoup d’argent. En six ans, le montant investi dépasse 40 millions. Approximativement ça fait 10 millions par an soit en moyenne 900 000 FCFA par mois. Je n’aurais pas pu réaliser tout cela si j’étais resté au pays.

S : Que pouvez-vous dire à ceux qui veulent aller aux USA pour tenter leur chance ?

A.T. : j’encourage ceux qui peuvent s’y rendre. Seulement il faut toujours aller par la voie normale. C’est-à-dire avec un visa. Il suffit de se convaincre de ce que l’on veut aller faire. Il y a des gens qui vendent tous leurs biens pour chercher le visa. Ce n’est pas bien du tout de prendre un tel risque. De toute façon, chacun a son destin. Allah seul sait où se trouve le bonheur de chacun de ses enfants.

Fatouma Sophie OUATTARA

Sidwaya



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