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Faso Digital 2025 : La santé mentale, un défi majeur de la transformation digitale pour les travailleurs

samedi 25 octobre 2025.

 

Si les outils numériques optimisent la productivité, ils génèrent aussi du stress, une surcharge cognitive et brouillent la frontière entre vie privée et vie professionnelle. En clôture des conférences du Faso Digital 2025, Sounkalo Djibo, docteur en ergonomie et en psychologie cognitive du travail, a alerté sur l’augmentation des risques psychosociaux, lors d’une communication livrée ce samedi 25 octobre.

« Transformation digitale au travail et santé mentale au travail : comment rendre les technologies soutenables ? ». C’est le thème de la dernière conférence organisée par le Faso Digital, à quelques heures de la clôture de l’événement débuté le 18 octobre 2025. La session a été animée Sounkalo Djibo, docteur en ergonomie et en psychologie cognitive du travail, et modérée par le journaliste Boukari Ouoba.

D’entrée de jeu, le conférencier a indiqué que la transformation digitale redéfinit les modes de production, d’organisation et de collaboration, mais que les avancées technologiques telles que l’intelligence artificielle, la robotisation, le télétravail cachent des défis touchant à la santé mentale des travailleurs.

« Le train est en marche… »

« La digitalisation et l’intelligence artificielle rebattent complètement les cartes, non seulement en matière d’emploi, de connaissances et d’organisation du travail, mais également dans la manière dont nous abordons ces nouvelles technologies », a indiqué Dr Sounkalo Djibo. Ces mutations s’accompagnent d’un véritable choc générationnel. Tandis que la génération Z s’adapte naturellement aux outils numériques, les générations plus âgées peinent parfois à suivre le rythme soutenu des innovations. Pourtant, comme l’a souligné le conférencier, « le train est en marche, on ne peut pas ne pas le suivre. »

Les exemples concrets abondent, selon Dr Sounkalo Djibo. Dans le domaine de la santé, les opérations chirurgicales assistées par robot se généralisent. Dans l’industrie automobile, les véhicules connectés enregistrent chaque geste du conducteur afin d’améliorer les modèles futurs. Cette automatisation croissante bouleverse le marché de l’emploi, notamment dans les usines où les robots remplacent progressivement les ouvriers, simplifiant certaines tâches mais supprimant également de nombreux postes.

Entre performance et pression

Si les outils numériques favorisent la gestion des tâches, la communication et la collaboration à distance, ils modifient aussi profondément le rapport au travail. Le télétravail, accéléré par la pandémie de Covid-19, a introduit une flexibilité appréciée de beaucoup de salariés, mais il a aussi généré de nouvelles formes de fatigue et d’isolement. Plusieurs études citées par le conférencier montrent que de nombreux travailleurs, notamment en France, se disent stressés au moins une fois par semaine, en raison des objectifs de performance, de la charge mentale et du manque de déconnexion.

Les risques psychosociaux connaissent ainsi une progression inquiétante. L’Institut national de recherche et de sécurité (INRS) identifie six facteurs principaux, selon conférencier. Il s’agit de l’intensité et du temps du travail, des exigences émotionnelles, du manque d’autonomie, de la dégradation des rapports sociaux, des conflits de valeurs et de l’insécurité de la situation de travail.

Selon Dr Sounkalo Djibo, qui a déjà formé plus de 600 médecins du travail, la digitalisation accentue plusieurs de ces risques en favorisant la surcharge cognitive due à l’usage intensif des outils, la surveillance accrue des salariés par les logiciels de suivi et la déshumanisation progressive des échanges. Les frontières entre vie professionnelle et vie privée deviennent donc floues, entraînant une augmentation du stress et de la fatigue.

Face à cette situation, souligne le conférencier, certaines entreprises européennes ont mis en place des mesures pour réduire la charge mentale, notamment des journées sans réunion, la suppression des réunions récurrentes impliquant plus de trois personnes. Il dira également que le droit à la déconnexion est désormais inscrit dans le code du travail en France.

L’importance de la prévention et de la formation

Pour Dr Sounkalo Djibo, la clé réside dans la formation et la prévention. Les managers et responsables des ressources humaines doivent apprendre à repérer les signaux de détresse tels que la démotivation, l’épuisement ou l’absentéisme répété. Le modèle « STOP » développé par Healthy Workplace, propose d’agir à plusieurs niveaux. Il s’agit de substituer les processus numériques nocifs par des alternatives plus humaines, de protéger techniquement les salariés à travers une meilleure ergonomie des interfaces, d’organiser des règles claires d’usage et d’horaires, et de soutenir individuellement les employés grâce à des programmes de bien-être et de gestion du stress.

Le conférencier a cité quelques applications, comme Respire ou Relax, qui offrent des exercices de respiration et de méditation et qui contribuent à réduire la charge mentale et à améliorer la concentration.

Remettre l’humain au centre

La prévention passe aussi par la communication. L’instauration de numéros verts, de cellules d’écoute ou d’enquêtes internes sur le climat de travail peut encourager les employés à s’exprimer librement, selon le conférencier pour qui également parler demeure l’un des meilleurs remèdes contre le mal-être.

« Lorsqu’une personne est en détresse psychologique, elle éprouve un mal-être et a besoin de parler, de s’exprimer. Parler permet d’expulser ce qu’on ressent, c’est une forme de thérapie. On se soigne par la parole, et c’est très important. La communication joue ici un rôle essentiel. Pourquoi ? Parce que la digitalisation tend à enfermer l’être humain dans une communication avec une machine plutôt qu’avec ses collègues. Or, le bien-être d’une personne repose aussi sur les interactions physiques avec autrui : partager des émotions, échanger des sourires, des rires, des gestes. C’est essentiel », a déclaré le conférencier.

Éviter la sédentarité

Il a également laissé entendre que la réflexion doit également porter sur l’environnement physique de travail. La sédentarité induite par le numérique favorise les troubles musculosquelettiques, selon lui.

« Rester figé devant un ordinateur pendant de longues heures augmente d’autres risques, notamment les Troubles musculosquelettiques (TMS), liés à la sédentarité. Passer plus de sept heures d’affilée à son poste de travail, sans se lever, sans s’étirer, favorise les maux de tête et la fatigue. On me demande souvent : ‘‘Docteur, j’ai des problèmes de dos au bureau, ma chaise n’est pas ergonomique, j’aimerais un fauteuil ergonomique.’’ Non, le fauteuil n’est pas toujours la solution. La véritable solution, c’est de rompre avec la sédentarité. Appliquez une méthode bien connue dans le monde anglo-saxon : au bout de chaque heure de travail, obligez-vous à vous lever. Allez prendre un café, ou simplement un verre d’eau. Faites quelques pas, étirez-vous, puis revenez à votre poste de travail », a détaillé le conférencier.

Pour Dr Sounkalo Djibo, la co-conception des outils numériques est essentielle et les ergonomes doivent être associés dès la phase de conception des outils digitaux, afin de s’assurer que les innovations respectent les capacités et les limites humaines. La luminosité, la lisibilité et l’agencement visuel des interfaces sont autant de paramètres déterminants pour préserver la santé mentale et physique des utilisateurs, à l’en croire. Comme l’a rappelé le conférencier, « le travail doit être adapté à l’homme, et non l’homme au travail ».

HFB
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