
Monnaie : « Les quatre principes qui régissent le FCFA dépouillent l’Afrique de toute possibilité d’investissement solide et souverain », dit Larba Israël Lompo, analyste géopolitiqueLe débat sur la monnaie en Afrique, notamment dans les pays de la zone Franc (CFA), a repris du poil de la bête avec la naissance de la Confédération Alliance des États du Sahel (AES). Dans cet entretien, Larba Mathieu Israël Lompo, analyste géopolitique, président de l’ONG Œil D’Afrik et évangéliste de Jésus Christ, explique les contours de la monnaie et situe sur ses enjeux. Quelle définition donnez-vous à la monnaie ? En économie, le mot monnaie désigne tous les moyens de paiement mis à la disposition des agents économiques. C’est un bien économique, car il possède une utilité et il doit être produit par un agent économique spécifique. Ce n’est donc pas un produit de la nature. « La monnaie, c’est la liberté frappée », dit Irving Fisher. Vous venez de dire que la monnaie a plusieurs fonctions, lesquelles ? Il existe trois fonctions courantes de la monnaie :
– C’est un instrument de transaction, un intermédiaire, qui permet d’acheter tous les autres biens ou services. Elle n’a de valeur pour elle-même mais pour ce qu’elle donne la possibilité de se procurer : des biens et des services.
Quelles sont ces différentes formes ? La monnaie prend différentes formes :
On entend parler de souveraineté monétaire, pour vous, c’est quoi la souveraineté monétaire ? La souveraineté monétaire, c’est la capacité réservée à un peuple de battre monnaie et d’en déterminer la valeur en fonction de ses réalités socio-économiques sans diktat d’une puissance étrangère. La monnaie appartient au peuple qui décide à travers ses représentants de son émission, de sa valeur, son régime de change et de la masse monétaire à injecter dans l’économie. Elle a cours légal à travers le monde, elle s’impose au-delà des frontières du pays et contrôle le marché international. Elle impose une culture de consommation et une mode de vie au reste de l’humanité. Elle dicte la loi du marché. C’est le cas du dollar américain. La monnaie est la propriété du peuple, il contrôle son émission, son régime de change, présent sur le marché international, définit et impose les prix des matières premières au reste du monde exemple : la livre sterling de l’Empire Britannique. La monnaie est émise par le peuple, elle est présente sur le marché international mais ne domine pas la loi du marché, elle ne définit pas les prix des matières premières, elle n’impose aucune règle au marché ; C’est le cas de l’euro, du dollar canadien, du Franc suisse… La monnaie est la propriété du peuple, il contrôle son émission, sa valeur et sa masse monétaire. Elle n’a pas de pouvoir à fixer les prix des matières premières, elle n’a pas cour légal sur le marché international, elle ne s’impose pas et elle n’a de valeur que sur sa zone d’émission. Elle n’a aucune influence sur le marché où sont dictées les lois commerciales. Le Cedis ghanéen, le Yuan chinois, le Yen japonais, la roupie indienne, le rouble Russe, le Naira nigérian… La monnaie est émise par une puissance étrangère. Le peuple ne contrôle pas sa politique monétaire. Elle ne sort pas de sa zone de cours légal, elle n’est pas reconnue sur le marché international. Elle est appelée monnaie de sujétion. C’est le cas du franc comorien et des Francs CFA. Il peut arriver que des nations décident de s’unir pour former une zone monétaire optimale ( ZMO) selon les termes de Mundel (1961), afin de créer leur monnaie. Elle peut être une monnaie unique ou une monnaie commune. Là, on parle d’observation de critères de convergence, car pour les pays dont les économies sont en déphasage, il est difficile d’avoir une monnaie unique fiable. Les chocs exogènes sur les prix des productions peuvent être diversement appréciés. Les pays producteurs de pétrole brut et les pays importateurs de pétrole brut, la hausse du prix du baril ne sera pas apprécié de la même manière. Il faut donc mettre des mécanismes de compensation pour que les différents pays membres d’une ZMO aux économies hétérogènes, puissent se compléter face à ces chocs exogènes. Voilà pourquoi, on parle de critères de convergences. D’aucuns disent que l’AES pourra créer une monnaie unique qui sera adossée à l’or et pourra même contrebalancer le dollar américain. Êtes-vous de cet avis ? J’écoute et lis beaucoup de théories sur la monnaie et la souveraineté monétaire. Malheureusement, nous dénombrons plus de gens qui fantasment sur la monnaie que de connaisseurs réfléchis qui proposent de vraies solutions qui puissent réussir dans les conditions des économies africaines. Les gens parlent des richesses naturelles des pays de l’AES, notamment de l’or, pour avoir une bonne monnaie ou une monnaie forte. Nous aurons une monnaie souveraine vis-à-vis de la France et de l’Europe, mais rien ne garantit qu’elle aura plus de valeur que le FCFA sur le marché international. Ce n’est même pas évident qu’elle puisse s’internationaliser. Toutes ces théories sur la monnaie par rapport à la démographie, la superficie, aux richesses naturelles, à l’industrialisation par la transformation des matières, à l’union monétaire etc., pour avoir une monnaie forte sont fausses et je veux vous le démontrer. La Russie fait 17 075 400 km² soit 6,20 fois la Superficie de l’espace AES (2 751 300 km²). La Russie fait partie de deux continents. Le continent asiatique et le continent européen. Sa population est estimée à 144 000 000 d’habitant. Contre 70 millions pour l’AES. En termes d’industrialisation et de puissance militaire et géopolitique, la Russie est la deuxième puissance mondiale. La Russie a plus de matières premières que tous les pays de l’AES réunis. Mais le Rouble russe n’a pas la valeur du FCFA. Sans le dollar, les Russes ne peuvent franchir leur frontière. On nous dit que la démographie de l’AES sera un atout. La Chine et l’Inde sont les plus peuplées de la planète. Elles sont riches et industrialisées. Ni le Yuan chinois, ni la Roupie indienne ne sont une référence monétaire sur le marché de international. Que dire des unions monétaires ? Nous avons l’Euro et le Franc CFA, aucune de ces unions monétaires ne voit la poussière du dollar américain. Pourtant, ces unions monétaires détiennent les plus grandes réserves d’or monde.Le seul système monétaire fiable, c’est celui qui régit le dollar américain. La monnaie n’est pas que logarithme, elle a une autre dimension que notre génération n’est pas prête à entendre. Personne ne peut renverser le dollar américain, si ce ne sont les américains eux-mêmes. J’ai confondu toutes les théories sur la monnaie, rendues publiques ou enseignées dans nos universités, il n’y a pas une seule théorie jusqu’à ce jour qui a pu produire de résultats sur le terrain comme celle qui régit le dollar américain géré depuis des siècles par une organisation opaque. En suivant les traces de la force du dollar américain, elles m’ont conduit à une école de haut niveau qui n’enseigne que la monnaie, la finance et le maintien du leadership américain dans le monde. Ne rentre dans cette école que les successeurs désignés pour assurer la pérennité de la gestion du dollar américain. Elle se trouve dans le Colorado aux USA. Il n’y a pas une autre école ailleurs dans laquelle une filière est dédiée entièrement à la monnaie. Dans nos universités, c’est en 4ème année qu’on voit quelques notions sur la monnaie. Un professeur agrégé en macro-économie a les mêmes notions sur la monnaie qu’un étudiant en année de maitrise. L’impératif pour vous, c’est de prendre notre indépendance vis-à-vis de la France et de l’Euro en quittant le FCFA ? Le FCFA, c’est le pire niveau de la sujétion monétaire. Il a été conçu dans le seul but de soumettre les Africains au péonage. Il nous oblige à travailler pour payer une dette qu’on n’a pas contractée. C’est une chaîne d’esclavage avec laquelle on ne peut aller nulle part. Les quatre principes qui régissent le FCFA dépouillent l’Afrique de la Zone Franc de toute possibilité d’investissement solide et souverain. C’est la France qui définit la valeur du FCFA et contrôle la masse monétaire à injecter dans l’économie. Elle contrôle les inflations et les déflations avec ces quatre principes : – le principe de la libre convertibilité : le franc CFA est facilement accessible à d’autres monnaies comme le franc français hier, aujourd’hui l’Euro, mais uniquement sur la Zone Monétaire concernée. C’est-à-dire sur les territoires des quinze pays africains répartis en trois zones monétaires
– le Principe de la libre transférabilité : au nom du principe de la libre transférabilité, les investisseurs étrangers, notamment européens, sont non seulement autorisés à transférer leur bénéfice, mais aussi leurs capitaux initialement investis. Toute chose qui rend impossible de constituer une épargne nationale et continentale sans lesquelles on ne peut pas parler d’investissement solide et véritable. Il est impossible dans ces conditions de constituer le capital indispensable pour maitriser l’économie. En un mot, on ne peut pas créer une classe d’hommes et de femmes opérateurs économiques à même de porter l’économie.
« Dans n‘importe quel pays, celui qui contrôle la masse monétaire est le maître absolu de l‘industrie et du commerce. Si vous comprenez que ce système est ainsi très facilement contrôlé par une poignée de personnes, alors vous n‘avez pas besoin que quelqu‘un d‘autre vous explique les causes de l‘inflation et du resserrement (monétaire). » James Garfield, le vingtième président des États-Unis. Lefaso.net Vos réactions (58) |