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Recrudescence des attaques à l’Est : « Il pourrait y avoir un lien avec la mort d’Idriss Déby », selon Mahamoudou Savadogo, expert des questions d’extrémisme violent

LEFASO.NET
mercredi 5 mai 2021.

 

Ces derniers temps, les attaques des groupes armés terroristes (GAT) s’intensifient dans la région de l’Est. Le lundi 3 mai 2021, des attaques perpétrées contre la population de Kodyel, dans la province de la Komondjari, ont fait de nombreuses victimes. Le 26 avril, des journalistes occidentaux ont trouvé la mort dans la province du Kompienga. Qu’est-ce qui peut bien expliquer la recrudescence de ces attaques ? Pour comprendre la situation, Lefaso.net a approché Mahamoudou Savadogo, gendarme à la retraite et consultant sur les questions d’extrémisme violent au Sahel. Malgré un programme chargé (il était en route pour un voyage quand nous le contactions), il a accepté donner son analyse de la situation.

Lefaso.net : Qu’est-ce qui peut expliquer la recrudescence des attaques dans la région de l’Est ?

Mahamoudou Savadogo (MS) : La recrudescence des attaques à l’Est pourrait s’expliquer par plusieurs raisons. La première, nous sommes à un moment favorable pour les groupes armés terroristes (GAT), c’est-à-dire la mobilité. La saison sèche, c’est-à-dire le mois de mars, avril et mai, est une saison propice pour eux de mener des attaques car favorable à leur mobilité. Ils arrivent à se déplacer rapidement, d’aller d’un point à un autre et mener des attaques. Puisque la mobilité fait partie de leur stratégie, c’est cela qui leur permet d’avoir un avantage et d’échapper aux frappes des Forces armées régulières (FAR). Lorsqu’on fait le point depuis 2016, cette période est en quelque sorte une période de pic.

La deuxième raison est qu’il y a eu un certain temps, une pression du G5 Sahel et Barkhane dans la zone des trois frontières. Cela a entrainé une descente de ces groupes armés vers l’Est qui leur sert de zone de replis. Ils se servent du nord du Benin, du Togo et de l’Est de la zone de Kompienga comme base arrière. Vous avez dû constater aussi que dans la même période, le coté versant du Niger c’est-à-dire, Tilia, Téra, il y a eu ce type de la violence. Ce sont ces aspects qui peuvent expliquer la recrudescence des attaques dans la région de l’Est ces derniers temps.

Lefaso.net : Quelle analyse contextuelle de la situation dans la zone faites-vous ?

MS : La région de l’Est a toujours été une région troublée où les attaques sont assez régulières. Nous avons eu en moyenne en 2020, plus de 300 attaques dans ladite zone. C’est une zone où on a un faible maillage sécuritaire. En plus d’être boisée, ce qui réduit la mobilité des FDS (forces de défense et de sécurité). Elle échappe presqu’au contrôle des FDS. On peut dire que la région de l’Est est occupée par l’un des groupes radicaux les plus violents qu’on appelle l’Etat islamique (EI) au grand Sahara.

C’est un groupe assez radicalisé et qui est caractérisé par la violence de ces attaques. Il ne fait ni otage, il ne trie pas la population. L’autre explication, c’est que la création des VDP (volontaires pour la défense de la patrie) a exacerbé les violences en ce sens que les GAT ne font plus la différence entre les civils et les groupes combattants. Les civils sont donc de plus en plus visés.

Lefaso.net : Comment voyez-vous la capacité de l’armée burkinabè à réagir ?

MS : La capacité de l’armée burkinabè à réagir est réduite. Elle a su dans un premier temps s’adapter à la stratégie des GAT en utilisant les mêmes modes de déplacement. Nous étions dans une phase où l’armée a pu s’adapter progressivement par rapport à sa capacité d’intercepter les GAT. Nous sommes également à une phase où les FDS ont besoin d’une reconstruction, d’une redynamisation.

On doit recruter au maximum et instaurer une stratégie claire propre à l’armée. Ce n’est pas facile pour les FDS qui sont en nombre réduit. Mais elle est en train de s’adapter avec des équipements et des moyens logistiques qui sont mis à leur disposition. Cela nous donne l’espoir que dans les jours et les mois à venir, elle pourra être apte à faire face à ces GAT.

Lefaso.net : Est-ce qu’il y a des liens entre la mort de Déby et la recrudescence des attaques dans la région de l’Est, vu que les soldats tchadiens ont quitté la zone des trois frontières ?

MS : Oui, il pourrait avoir un lien entre la mort d’Idriss Déby et la recrudescence des attaques à l’Est. Sachez que la zone des trois frontières où étaient cantonnées les troupes tchadiennes est l’épicentre de la violence actuelle. Pourquoi les GAT s’intéressent à cette zone ? C’est le point final de leur couloir. Leur couloir commence depuis l’Est, le Nord du Togo et du Benin qui remonte depuis la zone de Matiacoali, Kompienga, Foutouri, le Yagha et se termine vers Markoye, c’est-à-dire la zone des trois frontières.

Si cette partie n’est pas contrôlée par les FDS, il est clair que le couloir créé par ces GAT devient plus fluide, ce qui leur permet de monter de l’Est jusqu’au Sahel ou vice-versa sans problème. Parce qu’ils ont créé des zones de confort pour relier et rallier les deux points. Puisque c’est au Sahel qu’ils se ravitaillent aussi bien en carburant, moto, qu’en armement. Etant donné que l’armée de Déby a replié vers Téra, cela a laissé un vide, leur couloir a été donc rétabli.

Lefaso.net : A Kodyel tout récemment (lundi 3 mai), on a vu un autre mode d’attaque : les assaillants ont ciblé les hommes qu’ils ont tués et laisser la vie sauve aux femmes, enfants et autres personnes invalides. Faut-il y voir le signe d’un autre groupe terroriste dans la zone ou c’est un message particulier ?

MS : Ce mode opératoire constaté à Kodyel est celui de l’Etat islamique (EI) qui s’en prend aux populations. Il faut dire qu’on a deux groupes terroristes qui écument le Burkina Faso. Il s’agi du groupe de soutien à l’islam et aux musulmans qui touche très rarement aux populations, et on a l’EI qui ne fait pas de tri entre la population civile et les FDS. Le fait aussi d’avoir armé la population civile (VDP) fait d’eux automatiquement des cibles.

Car pour eux, tout homme majeur est devenu un combattant potentiel donc susceptible d’être un VDP. Ce sont des représailles, c’est une stratégie qui consiste à détruire ou à étouffer les populations et l’aide que l’armée pourrait avoir des VDP. Pour arrêter cela, il va valoir que l’armée arrive à protéger la population, à mettre un cordon de sécurité, sinon cela pourrait décourager l’enrôlement des VDP.

Lefaso.net : D’après vous, qu’est ce qui manque aux FDS pour être plus efficaces ?

MS : Je pense que dans une lutte asymétrique, il y a une pièce maitresse, et cette pièce maitresse est la population. C’est ce qui manque aux FDS. La population doit être au cœur de la stratégie des FDS. Elle est la pièce maitresse dans une lutte asymétrique. De plus en plus, nous constatons que la population n’arrive plus à collaborer avec les FDS, du coup, ils n’ont pas le renseignement à temps réel pour leur permettre d’anticiper les attaques et les déplacements des GAT.

Quels que soient les moyens matériels et humains, cela va être difficile de venir à bout d’eux. C’est d’ailleurs ce que les GAT ont compris en harcelant les populations, en mettant la pression sur eux pour les dissuader de collaborer avec les FDS. C’est en conclusion, la collaboration avec les populations en temps réel qui manque à nos FDS. Bien sûr cette collaboration doit être complétée par des moyens logistiques, matériels adaptés pour le terrain.

Lefaso.net : Est-ce que la négociation avec les terroristes est une alternative ?

MS : Oui. C’est une alternative mais encore faut-il comprendre à qui on a affaire. Comme je l’ai dit, il y a deux grands groupes qui écument les Burkinabè. Le groupe avec lequel on pourrait négocier, c’est le groupe de soutien à l’islam et aux musulmans qui est moins radicalisé et a des ambitions moindres que l’EI qui ne négocient pas. A l’intérieur de ces groupes, il y a des groupes locaux qu’on qualifie de groupes insurgés. Avec eux aussi on peut négocier Pour moi, il n’y a pas de souci, on peut négocier avec les GAT.

Propos recueillis par Obissa Juste MIEN
Lefaso.net



Messages

  • Hum, déjà !!! on va entendre du tout.
    des spécialiste de tout genre.

    • Hum, pour prendre sa retraite de gendarme au Burkina, faut-il atteindre un certain age ou suffit-il de dépasser un certain poids ?
      Sinon, l’idée de négocier avec les terroristes semble de plus en plus présente dans l’esprit des burkinabè.
      Outre le fait que cela m’apparait comme une forme de reddition, un aveu d’impuissance, j’aimerais bien comprendre ce que l’on peut négocier ? Une partie de notre territoire, un libre passage vers les pays côtiers, un renoncement à nos mœurs, à notre liberté,...?

    • Kwiliga,
      ça me rapelle "Les Compagnons du Plumard" :

      La retraite à vingt ans,
      ça vient d’être décrété par le gouvernement,
      vive le président de la république des fainéants...

      Ne pensez-vous pas que cela est convenable au Burkina ? Notre pays est foutu à tous les niveaux. L’ex perd passe aussi pour un ex- gendarme à la retraite à vingt ans !

  • Quelle analyse limpide ! Monsieur SAWADOGO, votre analyse joint à celle de PALENFO. Quand je fais une synthèse, j’aperçois que le Burkina Faso a les ressources nécessaires pour élaborer une bonne stratégie de défense et de sécurité. Il ne suffit que les autorités nationales vous consultent. C’est en cela qu’une implication de tous les cerveaux est une impérative, afin de lutter efficacement contre le terrorisme. Soyez bénis !

  • Experts,spécialistes,mon œil. Avec des analyses pareilles,,du verbiage insensé,le bon sens aurait voulu que l’on la ferme. Point barre.

  • Comment se fait-il que durant l’annee 2015, c’etait quelques menaces et incursions a nos frontieres contre des postes de gendarmerie et sans possibilites de ces groupes terroristes de penetrer en profondeur ? Cela laisse penser qu’il y’avait bien sur un dispositif de renseignements, d’informations et qui disuadaient tant les groupes terroristes. Curieusement, en 2016 ils ont pu penetrer dans notre territoire et ont pu se creer des zones entieres ou ils tuent et font tout ce qu’ils veulent pour le malheur de nos populations paisibles. Des millions de deplaces internes et des milliers de morts civils nationaux, etrangers et des militaires tues. A l’evidence, notre strategie, nos informations et renseignements, nos hommes equipements et materiels securitaires doivent etre plus efficaces et efficients pour venir a bout de ces ennemis de notre peuple. Salut.

  • Mon cher Expert, tu es allé très loin.
    C’est le renvoi de blaise compaoré devant la JUSTICE burkinabè qui a dechainé la colère du sanguinaire blaise compaoré.
    Selon les informations, il aurait indiqué que c’était la derniere ligne droite dans son combat contre son pays qui lui a pourtant tout donné.

    • Mon cher Danga les fans de Blaise n’accepteront jamais cette analyse. Pourtant c’est clair et net. Il faut nommer Ablassé comme ministre chargé de la lutte contre les terroristes. Un mediateur hors serie mais a la Blaise

  • L’analyse de M. Sawadogo est claire et limpide, il s’agit pour le gouvernement de prendre cela en compte et revoir toute sa stratégie sécuritaire. Il faut aussi plus d’hommes au sein des FDS avec une meilleure formation et un matériel adapté. Il est évident que l’évolution sur le terrain démontre que nos FDS n’y arrivent pas et laissent souvent le travail aux pauvres VDP pourtant moins formés et équipés. Aussi longtemps que les FDS ne seront pas sur le terrain dans les zones rouges, les djihadistes occuperont le terrain et imposeront leurs lois aux populations qui ne peuvent que s’y soumettre. Il appartient au gouvernement de revoir les choses le plus rapidement possible. Après l’assassinat des journalistes le 26 avril, les djihadistes ont constaté qu’il n’y a eu aucune réaction des FDS et donc quelques jours après, le 3 mai, ils ont frappé encore se disant qu’ils ont le contrôle de la zone. Il faut aussi nécessairement couper les couloirs de ravitaillement des djihadistes qui va de la région de l’Est et qui remonte dans la zone des 3 frontières comme l’a dit l’Expert Sawadogo. C’est dans la zone des trois frontières que ces criminelles vont se ravitailler et revenir tranquillement à l’Est. Pourtant ce couloir traverse 2 ou 3 régions où sont basées des unités des FDS de la gendarmerie et de la Police donc nos FDS doivent être en mesure de couper ce couloir. Nous pensons que c’est une question de volonté et de stratégie.
    L’absence totale de l’Etat dans des zones reculées surtout de l’Est et du Sahel constitue le vrai problème e cette crise ! IL faut aussi craindre le fait que les VDP étant devenus clairement des cibles, le risque que les populations ne s’en éloignent rendant la situation beaucoup plus complexe ! Que Dieu nous vienne en aide.

  • Tout juste après le décès du maréchal du Tchad, un de ces spécialistes ( je pense que c’est le même Sawadogo.Si ce n’est pas lui, je m’en excuse) a déclaré sur la radio Oméga après une attaque à l’est que que cette attaque n’était pas liée à la mort du maréchal. Aujourd’hui il nous dit que l’attaque d’avant hier est liée à la mort du maréchal. On ne comprend plus rien avec ces spécialistes

  • Dépuis 2015 à maintenant on a l’impression que les effectifs de l’armée peinent à évoluer. Et pourtant si on veut un maillage sécuritaire conséquent il faut des récrutements conséquents, c’est la première des choses à faire, ensuite adapter la formation et l’achat d’équipements suivant les enjeux réels du moment et à venir.
    La question de secret défense ne devraient pas empêcher l’exécutif d’assoire des commissions pour analyser les besoins de l’armée, définir des objectifs SMART et les stratégies à élaborer pour les atteindre.
    Par exemple en 2020 le rapport de la cour des comptes à recommandé à l’exécutif et à l’armée de combler le retard de la France dans l’usage des drones stratégiques face à ce qu’elle qualifie de nouvelles ménaces. Mais chez nous tout est secret défense, il y a ambiguïté !
    Aujourd’hui les questions sécuritaires ne sont plus le simple fait des hommes en arme, la critique doit permet d’améliorer les capacités opérationnelles nos FDS au combat et de s’assurer de la bonnes gestion de la part du PIB alloué à la défense.
    Voyez-vous on évalue l’armée tchadienne entre 40 000 à 65 0000 Hommes pour un PIB qui est moins que celui de Burkina et pourtant nous somme très loin des effectifs du Tchad ; les données sont disponibles. Que se passe-t-il donc ? Il y a urgence à ce niveau.
    On parle de négociation lorsque vous disposez d’une force dissuasive dont l’ennemie en a conscience, sinon ça s’appelle de l’abdication et pas plus ! Nous savons que dans les cercles sécuritaires il faut du courage et de l’audace pour prendre certaines décisions, mais c’est ce qu’il faut.

  • Bonjour cher spécialiste, tu es parti trop loin, on dirait que vous ne faites pas suffisamment d’Analyse. C4est l’avancé du dossier SANKARA, c’est tout ;
    dEPUIS 2015, si le dossier SANKARA avance ces mécréants sortent avec des armes.

  • Belle intervention M Sawadogo mais le fasonet devait poser les mêmes questions à Monsieux le chef d Etat des armés et le ministre de la defence ...

  • Merci M. Sawadogo pour cette analyse limpide. Continuez comme ca.

  • Monsieur le spécialiste, à mon humble avis la mort de Deby n’a pas de relation avec le regain d’activité des groupes terroristes. Personnellement je ne vois pas le lien. Il faut gratter plus. Cependant il faut qu’on se rappelle que les élections se sont passées sans incidents. Pourquoi ? le gouvernement a t il conclu un deal avec quelqu’un. Il faut gratter. Tous les massacres de population civile ont une cause. Qu’est-ce qui s’est passé a Kodjel les jours avant le massacre. Il faut gratter. Seul conseil, tout acte criminel est justifié par les criminels.

  • Il ya des moments où la négociation s’impose pour mettre fin à la souffrance des populations rurales. Je ne parle pas de ceux qui passent la journée dans les bureaux climatisés et les bars des grandes villes. Mais pour négocier il faut être en mesure de se poser les vrais questions. Qui nous attaque (ceux qui sont devant et derrière) ? Pourquoi ? Pourquoi a-t-il gagné si facilement du terrain ? Négocier avec la parfaite connaissance des réponses à ces questions ; et de là, prendre des mesures pour construire un état nation sur toute l’étendue du territoire. Plutôt une véritable armée nationale (en nombre et en qualité) issue de tous les villages et hameaux, de toutes les ethnies. Dans cette affaire il n’y a pas de solution de facilité ; les vdp laissés à eux dans les villages est contre productif (risque de dérives, d’abus et de représailles, choses qui alimente la violence). Il faut réfléchir et bien réfléchir, aller vers la construction d’un état nation, égalitaire, de droit, de justice. Il n’y a pas de raccourcis. Nous aimons les raccourcis mais ici ça va pas marcher.