Actualités :: Khadim Sylla : Les langues africaines sont aptes à véhiculer les sciences (...)

Khadim Sylla, docteur en informatique et diplômé en économie est spécialiste de programme à l’Institut international de planification pour l’éducation (IIPE) de l’UNESCO. Dans cet entretien à bâtons rompus, Sidwaya Plus évoque avec M. Sylla, le rôle et les enjeux de la maîtrise des systèmes d’information dans le développement de l’éducation en Afrique.

Pourquoi et comment les langues nationales doivent-elles être le moteur du développement du système éducatif africain ? Khadim Sylla qui se dit passionné des problématiques relatives à l’éducation en Afrique répond sans détour...

S.P : Quelles sont les attentes de la rencontre de Ouagadougou du 12 au 16 septembre sur la problématique de la gestion de l’éducation ?

K.S. : C’est une initiative qui a été prise par l’Institut international de la planification de l’éducation (IIPE) consistant à développer un réseau des institutions de formation en planification de l’éducation , dont le but est de mettre en relation d’une part, les planificateurs et techniciens du ministère de l’Education et d’autre part, des institutions en formation dans le même domaine. C’est dans cette perspective qu’a été organisée la rencontre de Ouagadougou sous le thème : "Le système d’information et de gestion de l’éducation".

S.P. : Est-ce qu’on peut savoir les enjeux d’une telle problématique pour le développement de l’éducation en Afrique ?

K.S. : L’enjeu est de taille. Les systèmes éducatifs africains d’une manière générale, enregistrent des progrès significatifs. De très grandes réalisations ont été faites pour ce qui concerne l’expansion quantitative. Mais pour accompagner cette évolution, il est important de disposer de cadres formés et d’institutions d’excellence qui conjuguent leurs efforts pour le développement de l’éducation en Afrique. Notre objectif est de créer les conditions d’un développement des capacités institutionnelles des centres de formation qui pourraient accompagner les ministères dans leur effort de développement des compétences.

.D. : En quoi la maîtrise du système d’information peut contribuer à développer notre système d’éducation ?

K.S. : Le système d’information constitue un élément essentiel du développement de l’éducation, dans la mesure où pour planifier, définir des stratégies éducatives, élaborer des politiques d’éducation pertinentes, on a besoin que l’information soit disponible : sur les élèves, les infrastructures scolaires, les enseignants etc. Cet ensemble de données de bases est indispensable au pilotage du système éducatif. Mais disposer de l’information n’est pas en soi, suffisant, encore faudrait-il qu’elle soit fiable et pertinente, précise et actuelle. Ce séminaire penche sur les méthodes et procédures nécessaires à la production d’une information de qualité.

S.D. : Quel bilan peut-on déjà faire de ces types de rencontre ?

K.S. : Il est prématuré de faire un bilan. La constitution d’un réseau est une entreprise de longue haleine. Mais d’ores et déjà, il y a des affinités, des relations interpersonnelles qui se sont tissées entre les acteurs des différentes institutions et ministères. Cela augure des évolutions satisfaisantes. La constitution et la survie des réseaux. Les réseaux d’une manière générale, reposent sur la confiance mutuelle entre les membres. Et cette relation se développe avec le temps. Je pense que les relations entre les différentes institutions qui ont participé à nos différentes rencontres et ainsi qu’avec les directions de la planification des pays invités, sont excellents.

.D. : L’Afrique pourra-t-elle atteindre les objectifs du millénaire pour le développement dans le secteur de l’éducation à l’horizon 2015 ?

K.S. : De nombreuses études démontrent que cet objectif ne sera pas atteint par tous les pays. Seul un nombre infime atteindra cet objectif. Mais le plus important est moins de respecter strictement le calendrier que de poser des bases solides d’une évolution durable et irréversible. Parmi ces bases, figurent le volontarisme des Etats et les moyens dont ils se dotent pour y parvenir, le système d’information fait partie incontestablement de ces moyens. Il permet, en effet, de mesurer, à chaque instant, les réalisations effectuées, le chemin donc parcouru, mais aussi ce qui reste à faire.

S.D. : Le Burkina Faso se situe dans quelle catégorie ?

K.S. : Le niveau de scolarisation au Burkina Faso est relativement faible. Mais l’évolution constatée en 2004 est assez encourageante.

On peut espérer que la dynamique impulsée par le Programme décennal de développement de l’éducation de base (PDDEB) permettra au pays de rattraper son retard en matière de scolarisation.

S.D. : Il est question de plus en plus de l’éducation pour les populations rurales, quelle information faut-il donner à cette population qui représente plus de 70% pour l’aider à s’affranchir de la pauvreté ?

K.S. : On a l’habitude de dire que l’éducation est un bon tremplin pour sortir de la pauvreté. Je le pense aussi. Pour cela, il faudrait une éducation de qualité qui réponde aux attentes, aux aspirations des populations, c’est-à-dire qui soit adaptée aux besoins des communautés locales. Sur ce plan, je crois qu’il y a à réinventer une forme d’éducation plus conforme aux réalités des Etats. Je ne suis pas sûr que le système formel dans son mode de fonctionnement actuel puisse satisfaire les nombreuses attentes des populations rurales. Dans les conditions actuelles, il y a des efforts à consentir par les Etats pour répondre à la demande des populations rurales, notamment en termes de formation professionnalisante.

S.D. : Selon des études récentes menées par la FAO, 80% de la nourriture est produite par les femmes. Quelle lecture faites-vous de cette situation ?

K.S. : Cela montre tout simplement le dynamisme des femmes dans la production des richesses au niveau national. Cela rappelle, au besoin, la nécessité de lutter contre toutes les formes de discrimination dont elles sont victimes.

En outre, sachant l’impact de la scolarisation des femmes sur l’ensemble de la population et en particulier sur leurs enfants, il ne reste plus qu’à mobiliser les moyens pour accélérer leur accès au système éducatif.

S.D. : Quelles sont les attributions de l’IIPE ?

K.S. : L’IIPE est une émanation de l’UNESCO qui a pour mission essentielle de travailler au renforcement des capacités institutionnelles des Etats en matière de planification de l’éducation. L’essentiel de nos activités peut se résumer à 3 points : la formation dans les différents domaines de la planification de l’éducation destinée aux cadres des ministères, les activités opérationnelles, c’est-à-dire des activités d’appui-conseil sur le terrain à la demande des Etats ou de certains organismes. Enfin, nous faisons de la recherche appliquée qui sert également à illustrer le contenu de nos enseignements à l’Institut à Paris.

S.D. : Vous avez écrit un ouvrage sur l’éducation en Afrique : "l’Education en Afrique, le défi de l’excellence". Parlez-nous de cet ouvrage...

K.S. : Cet ouvrage est le condensé d’une expérience personnelle sur les questions éducatives en Afrique. J’ai essayé de porter un regard critique sur l’éducation en Afrique à partir d’un diagnostic que j’ai voulu comme objectif et non complaisant. Ma formation scientifique, aidant, j’ai abordé les aspects aussi bien théoriques que pratiques relatifs à cette problématique au demeurant assez vaste. L’idée maîtresse qui ressort des différents chapitres est que l’Afrique doit se doter d’un système éducatif endogène et qui s’approprie sans aucun complexe, les sciences et les technologies remarquables encore d’actualité. J’ai eu également le privilège d’être préfacé par un de vos illustres compatriotes : le Professeur Ki-Zerbo, qui a bien voulu porter une réflexion assez profonde sur cet ouvrage et en même temps, dégager des perspectives pour le développement de l’éducation en Afrique de manière générale.

S.D. : Qu’est-ce qui a poussé l’informaticien que vous-êtes à éditer un livre sur l’éducation ?

K.S. : Ce n’est pas du tout nouveau qu’un scientifique de formation s’intéresse à l’éducation. Je vous rappelle que Abdou Moumouni, physicien nigérien, avait publié dans les années 60, un ouvrage remarquable encore d’actualité qui s’appelle "L’éducation en Afrique". C’est pour dire qu’il n’y a pas de frontière étanche entre les disciplines. Il n’y a essentiellement que l’intérêt personnel qu’on peut avoir pour tel ou tel domaine. Par ailleurs, le fait de travailler dans un institut de planification de l’éducation est un privilège pour moi, car j’ai toute l’information disponible à ma portée, il suffisait de vouloir l’exploiter à bon escient.

S.D. : Quelle est votre remède pour que l’Afrique parvienne à l’éducation pour tous ?

K.S. : Je pense que l’éducation pour tous est important mais le plus important est une éducation de qualité, qui permette aux Africains de sortir du marasme socioéconomique dans lequel ils se trouvent. Parallèlement aux efforts que consentent les Etats pour développer leur système éducatif, il est important et impératif que ceux-ci portent une attente d’importance au moins égale sur la qualité de l’éducation. Il faudrait donc que les problématiques fondamentales qui concernent l’Afrique, à savoir la revalorisation de l’image du continent, la lutte contre les complexes nées de la colonisation et de l’esclavage, toutes ces problématiques qui me semblent essentielles dans le retard de l’Afrique, fassent l’objet de réflexions et de débats pour être intégrées dans les curricula. Dans le même temps, il est indispensable d’avoir des compétences techniques de très haut niveau. L’Afrique ne peut pas être à la marge des innovations technologiques. Et tant que l’école sera en dehors de ces problématiques, je doute fort que le continent noir puisse sortir de son sous-développement. Regardez par exemple : l’Afrique noire est le seul endroit de la planète où les enfants sont enseignés au niveau de l’éducation de base en langue étrangère. Et pourtant, cette singularité ne semble émouvoir personne.

S.P. : Les pays africains manquent d’argent pour éditer des ouvrages en langues nationales. Quelle solution préconisez-vous ?

K.S. : Ce n’est pas une question de moyens financiers mais de volonté politique. En vérité, beaucoup d’élites du continent africain ne croient pas à la pertinence de ce choix. Or si l’élite politique et intellectuelle était acquise à la cause, je suis persuadé que les moyens suivront. Enseigner en langues nationales ne demande pas plus de moyens qu’enseigner en langue étrangère. Au Burkina, des études remarquables ont été faites pour montrer la pertinence de l’enseignement des langues nationales. Paul T. Ilboudo démontre dans le cas du Burkina, l’efficacité supérieure de l’enseignement en langues nationales par rapport à la langue française par exemple. Des résultats similaires sont constatés dans d’autres pays : Niger, Mali, Sénégal, etc. Il est franchement difficile de comprendre toute cette hésitation qui caractérise les décideurs. Ceci dit, il est important de veiller à ce que certaines conditions soient réunies par l’introduction des langues nationales. Mais ces conditions ne doivent pas servir d’alibi pour retarder cette réforme. Le Mali par exemple, pourrait généraliser l’expérience de la pédagogie convergente expérimentée depuis plusieurs années maintenant. Ils ont suffisamment "d’inputs", d’éléments qui pourraient permettre de développer le système bilinguiste dans ce pays.

S.P. : Dans ce cas, comment enseigner les mathématiques la physique-chimie en langues nationales ?

K.S. : Les travaux des pionniers africains tel que Cheick A. Diop ont montré les capacités des langues africaines à véhiculer les concepts scientifiques les plus élaborés. La question aujourd’hui ne se pose plus tant les expériences d’autres pays ont fini par convaincre qu’il est possible de développer une langue dans tous les domaines.

C’est cet effort qu’il faut faire dans toutes les langues en Afrique. En Chine, les populations apprennent aujourd’hui en chinois, ils envoient des satellites, des fusées dans l’espace en se servant d’une science enseignée en langue chinoise. Il y a des ingénieurs qui ne travaillent rien qu’en chinois, ils ne parlent pas un mot d’anglais. Les langues africaines sont aptes à véhiculer les sciences les plus modernes. Le problème est de se donner les moyens d’y arriver.

Je vous donne un autre exemple, l’Etat d’Israël. L’hébraïque était une langue morte. Et en l’espace d’une cinquantaine d’années, ils ont réussi à ressusciter cette langue et aujourd’hui, l’enseignement est dispensé en hébraïque jusqu’à l’université. Si ce qui est fait en Israël est possible, pourquoi ne le serait-il pas en Afrique ? Il suffit d’y croire et de se donner les moyens d’y parvenir.

S.P. : Vous êtes dans le monde de l’éducation, faites-vous de la politique au Sénégal ?

K.S. : Non (rires). Je n’ai jamais fait de la politique au sens trivial du terme. Mais je suis préoccupé par les questions de l’éducation en Afrique, qui forcément ont des implications politiques.

S.P. : De nombreux Sénégalais travaillent dans les institutions et organismes internationaux. Qu’est-ce qui explique cela ?

K.S. : J’ignore s’il y a au niveau du l’Etat sénégalais une planification pour placer les ressortissants du pays dans les institutions internationales. Personnellement, je suis arrivé à l’Institut international de la planification par mes propres moyens à la suite d’un stage. J’ai y fait mes preuves et pense avoir la reconnaissance de mes pairs. La présence des Sénégalais dans les institutions internationales pourrait s’expliquer par le dynamisme de la diplomatie sénégalaise qui remonte à l’ère Senghor.

S.P. : Après votre premier ouvrage, est-ce qu’on peut s’attendre à une seconde parution ?

K.S. : Oui. Je suis en train de travailler sur un ouvrage portant toujours sur l’éducation et plus exactement sur la relation éducation-développement. Je me pose notamment les questions de savoir : pourquoi l’Afrique est en retard ? Bien entendu, il y a une explication afro pessimiste dont les motivations idéologiques sont suffisamment connues. Mais je pense qu’il y a des explications plus objectives et qui ont trait à la faillite des systèmes à apporter les réponses aux défis à relever.

S.P. : Dans cette perspective, quelle éducation préconisiez-vous ?

K.S. : Une éducation endogène conçue par les Africains, mise en œuvre par eux et, au besoin, appuyée par la communauté internationale. Mais le leadership doit impérativement revenir aux Etats africains. Cela suppose beaucoup de responsabilités des Etats, une volonté claire, nette, de prendre en main leur propre destin. Mais la revendication d’un leadership ne peut s’accommoder d’une dépendance financière. C’est en ce sens que la mise en commun des ressources et des expériences au niveau sous-régional voire continental, apparaît indispensable.

S.P. : Malheureusement, ce n’est pas encore le cas...

K.S. : Il y a des balbutiement très encourageants qu’on observe ici et là. Il ne faut pas désespérer. Chaque génération apporte sa pierre et on espère que les générations actuelles et futures pourront définitivement mettre le continent sur les rails du développement.

S.P. : Avec le piège de la dette, l’Afrique peut-elle s’en sortir ?

K.S. : C’est une question sérieuse et vitale qui se pose au continent. Mais là également, c’est par la responsabilité et le refus des diktats de domination que des solutions pourront être trouvées. Il ne suffit pas de demander l’annulation d’une dette remboursée au quintuple, encore faudrait-il s’attaquer aux mécanismes qui la produisent.

S.P. : Concrètement, y a-t-il lieu de garder espoir ?

K.S. : Je voudrais exprimer l’espoir qu’un jour, l’Afrique puisse émerger grâce à l’éducation. Je pense que cette idée a longtemps été véhiculée, mais aujourd’hui, on a plus de raisons d’y croire. Le vrai problème de l’Afrique n’est pas la pauvreté. L’Afrique est le continent le plus riche au monde. Le problème est au niveau des ressources humaines. Or la meilleure façon de développer les ressources humaines, est l’éducation. A travers elle, l’Afrique pourra se forger un avenir beaucoup plus radieux.

S.P. : Vous avez fait allusion tantôt à Cheikh Anta Diop. Etes-vous partisan de sa thèse ?

K.S. : On n’a pas besoin d’être partisan de Cheikh Anta Diop pour reconnaître la portée de son œuvre. La thèse qu’il a développée dans les années 60 est aujourd’hui largement admise. La question n’est plus de discuter si l’Egypte ancienne est africaine ou pas. Je pense que ce débat est dépassé. La question qui se pose aux générations actuelles est de savoir comment intégrer ce patrimoine historique du continent africain dans nos enseignements ? C’est un lourd héritage mais aussi un héritage stimulant. Je pense qu’il faut éviter le piège du débat qui consiste à restreindre le choix des Africains entre 2 options exclusives : le refus du passé pour entrer dans la modernité et le retour au passé au risque de l’inaction. L’avenir est sans doute dans le voie médiane.

Interview réalisée par Nadoun COULIBALY (coulibalynadoun2002@yahoo.fr)
Joël ZOUNDI (Stagiaire)

Sidwaya

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