Actualités :: Fespaco 2019 : « Rien ne pointe à l’horizon pour me faire croire qu’on va (...)

Il s’appelle Alidou Sawadogo. Il est plus connu sous le nom de « Pagnagdé », un personnage qu’il a incarné dans le sitcom « Vis-à-vis ». Il est l’un des comédiens les plus connus au Burkina Faso. Dans une interview qu’il nous a accordée ce mercredi 6 février 2019 à l’occasion du Fespaco, l’homme se désole qu’aujourd’hui, le cinéma burkinabè soit réduit à l’argent. Il fustige également l’organisation de la fête du 7e art africain. Selon lui, l’administration s’est accaparée de la chose au détriment des artistes. Lisez plutôt !

Lefaso.net : Bientôt c’est le Fespaco. Déjà, quel bilan faites-vous des 50 ans du cinéma africain ?

Alidou Sawadogo : Le Fespaco, à sa première édition, j’avais 15 ans. On écoutait ce qui se passait à la radio à l’époque. Elle couvrait en ce moment tout le territoire. Tout ce qui se passait à Ouagadougou, on le suivait comme si nous étions à Ouagadougou. Tout petit, on aimait bien le théâtre. Il y avait le cinéma mobile qui passait dans les provinces ou dans les cercles en son temps.

Ça créait un engouement total. Le cinéma, c’était l’affaire des Burkinabè. Les gens aiment le cinéma. Le Fespaco était bien inspiré. C’est aujourd’hui une activité culturelle qui mobilise tout le monde. Nous en sommes fiers. Nous espérons que cela va continuer. J’espère que nos enfants, nos petits-enfants, vont continuer nos œuvres. On parlera des 1 000 ans du Fespaco.

Lefaso.net : En 50 ans, le Burkina Faso n’a eu que deux fois seulement l’Etalon d’or de Yennenga. Pour vous, qu’est-ce qui explique cela ?

C’est parce que le cinéma est une question de moyens. Ceux qui ont créé le Fespaco, avec le président (Sangoulé) Lamizana en tête, ils avaient une très grande ambition. C’est de faire du pays, une nation de cinéma. Ils avaient mis des moyens. Rappelez-vous, c’est sous Lamizana que toutes les salles avaient été nationalisées. On avait créé une société. Sur chaque billet (ticket d’entrée), on versait une certaine somme pour soutenir la production.

Je peux dire que ceux qui ont eu « l’Etalon », ils avaient un grand soutien à l’intérieur. Mais, nous n’avons pas su gérer. Tout cela est passé en perte de profit. Dans d’autres pays, le cinéma est une véritable industrie. Ce sont des gens qui ont pris ça en main. Ils mettent les moyens pour que tout ce que vous allez faire puisse répondre aux normes. Au Burkina, nous n’avons pas cela.

Lefaso.net : Selon vous, quel est le problème du cinéma burkinabè ?

Le problème, c’est notre état d’esprit. Que ce soit au niveau des professionnels du cinéma, de l’administration, on a un problème de gouvernance. Nous ne savons pas comment gérer. Prenez le Fespaco, c’est un festival du cinéma. Ce sont les professionnels qui sont concernés. Mais aujourd’hui, on se rend compte que c’est l’administration qui est au-devant.

Des gens sont là, et ils ne savent même pas ce qu’est le cinéma. Ce sont eux qui administrent. Comment vous allez que ça aille ? Quand nous avons eu le financement pour le long métrage, au niveau des finances de l’administration, on dit de déposer des factures pro forma. C’était pour qu’on débloque l’argent afin qu’on puisse commencer le travail. Dites-moi, ce n’est pas une construction où on a besoin de tôles et de fers. Ici, c’est un engagement d’hommes, c’est un travail d’esprit. C’est pour dire que nous avons des problèmes organisationnels. Ça joue beaucoup sur la production.

Lefaso.net : Vous faites partie de l’ancienne génération de comédiens burkinabè. Quel regard vous portez sur la génération montante ?

Beaucoup de gens sont venus au cinéma et au théâtre ; ce n’est pas par amour. C’est pour l’alimentaire. C’est pour se faire de l’argent. Alors qu’ici, si on met l’argent au-devant des choses, on ne pourra pas s’en sortir. Un travail artistique, un film qu’on tourne, si tu es là et tu dis que par rapport au budget que tu as, il faut que j’économise, il faut que je fasse ci… tu vas mégoter.

Ici, ce n’est pas permis de mégoter dans le cinéma. L’art, on ne mégote pas. On ne met pas l’argent au-devant. C’est ton travail, c’est ce qui sort de tes entrailles, c’est de ça qu’on a besoin. Le problème aujourd’hui, c’est que l’argent qui a pris le dessus sur tout.

Lefaso.net : Pagnagdé est-il présent au Fespaco dans un film ?

Si. Là où on me demandait les factures pro forma, c’est pour « Duga les charognards ». Je suis dans ce film. Je suis confiant, artistiquement parlant, ça a été un travail bien fait. Je connais le réalisateur Abdoulaye Dao, son coréalisateur Eric Lingani. C’est le travail artistique qui a été bien mené. J’ai vraiment confiance.

Lefaso.net : Vous avez joué dans beaucoup de films. Lequel vous a le plus marqué ?

Dans le cinéma, quand j’accepte un rôle, c’est que j’attends de mon travail une satisfaction. Il y a des rôles qui vous marquent, qui vous font passer en arrière pour voir ce qui s’est passé dans la vie. Le film qui m’a marqué, c’est la « Forêt de Niolo » d’Adama Rouamba. Il a eu le prix du meilleur scénario au Fespaco 2017. J’étais aussi de l’équipe technique et de la production. Je vous assure que le jour où on tournait, où je devais raconter des choses, j’ai versé des larmes sans savoir. J’ai vu le parcours de ce pays.

La lutte que les uns et les autres ont menée. Les différentes tueries politiques qu’il y a eues. Ça m’a fait pleurer. J’ai été véritablement sonné. Il a fallu suspendre pour que je recouvre mes esprits et continuer. Nous autres, dans certains rôles, tu repars en arrière, et tu projettes dans l’avenir. Nous vivons ça. Je disais à quelqu’un qu’un rôle où je dois frapper une femme, il ne faut pas compter sur moi. Je ne pourrai jamais le faire bien.

Lefaso.net : Est-ce que Pagnagdé vit de son art ?

Je vis du cinéma. L’art comme je le disais, ce n’est pas l’argent qui compte. De toute façon, le cinéma burkinabè est à l’image du pays. Nous sommes dans un pays pauvre. Donc, le cinéma est pauvre. Il faut se battre de gauche à droite pour subvenir à nos besoins.

Il faut dire que presque tous ceux qui sont dans le cinéma ou le théâtre, il y a quelques années, ils travaillaient pouvoir faire quelque chose d’autre. Nous tous, nous avons fait l’ATB (Atelier du théâtre burkinabè), le théâtre-forum, c’est notre génération qui l’a initié avec le Pr Kompaoré. Mais, on peut faire une sortie et revenir et on te donne 500 F. Tu dois te débrouiller arriver à la maison. C’est pour dire qu’on vit selon le rythme de vie du pays.

Lefaso.net : Si aujourd’hui on vous demande quelles sont les tares du Fespaco, que diriez-vous ?

On n’a pas su gérer. Sinon au bout de 50 ans, on devait être à un niveau d’organisation qui permette de sentir que c’est à un festival de cinéma. Comme je le disais plus haut, aujourd’hui, c’est beaucoup plus l’administration qui a pris les choses en main. Quand on prend le tapis rouge, qui passe dessus ? Ce sont les autorités politiques et financières. Ce ne sont pas les artistes.

Je ne peux pas comprendre qu’aujourd’hui, on organise le Fespaco, tous les grands réalisateurs et autres comédiens qui vont venir d’Afrique et d’ailleurs ne soient pas suivis. Vous arrivez, on va vous remet vos badges, mais pour accéder à certaines salles, c’est la croix et la bannière. Ce n’est pas possible ! Je me dis que tout cela doit être répertorié et mettre des groupes qui vont s’en occuper. Par exemple si le Maghreb est là, il faut mettre des gens à leurs dispositions.

En 2013, la délégation du Maghreb est arrivée en retard à la cérémonie de clôture. Leur chauffeur avait disparu. Le président du Faso était déjà là. Comment on peut comprendre ça ? Je sais que pendant un Fespaco, un certain Sissoko a été chassé parce qu’ils ne le connaissaient pas. Je sais qu’y a certains qui sont là, qui vont à des ateliers à l’étranger sur des thèmes qu’ils ne connaissent pas. Comment vous voulez que ça marche ? Pour le Fespaco, il faut une réorganisation totale.

Lefaso.net : Etes-vous confiant que cette fois-ci l’organisation sera bien faite surtout que celui qui est à la tête, Yacouba Traoré, est un féru du travail bien fait ?

Tu as beau être un technicien comme Yacouba Traoré, si derrière, il n’y a pas d’homme qui suit, ça ne peut pas marcher. Il y aura toujours ce trou béant. Il a du pain sur la planche. C’est dire que c’est malheureux, tout ce que nous faisons aujourd’hui, c’est l’argent. On n’est pas pour la réussite du Fespaco. On est là pour l’argent. Je vous dis tout de suite, ça va être comme les éditions précédentes. Rien ne pointe à l’horizon pour me faire croire qu’on va connaitre un grand succès.

Je prends par exemple un petit cas. Il était suggéré que tous les anciens délégués du Fespaco soient là. Ce sont des personnes-ressources. Il n’y a eu qu’une seule réunion. Les gens ne savent pas ce qui se passe. C’est le cinquantenaire quand même ! Il y a eu des gens qui l’ont dirigé. Si j’étais à leur place, j’aurai associé même les anciens ministres de la Culture.

Attendez, ce sont des hommes et des femmes du Burkina qui ont créé le Fespaco. D’autres festivals convoitent le Fespaco, mais ils ne peuvent pas. En son temps, Sembène Ousmane disait que même si c’est dans la rue qu’on allait présenter les films, on allait le faire. Le Fespaco, c’est pour le Burkina Faso. Nous devons travailler à l’améliorer. Les autres créent et un temps ils nous devancent. C’est parce qu’ils ont procédé autrement.

Propos recueillis par Dimitri Ouédraogo
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