Actualités :: Relations dozo- koglwéogo : « Qu’on ne nous provoque pas », prévient maître (...)

Le courant ne passe pas entre dozo et koglwéogo dans l’Ouest du Burkina Faso. Les récents événements survenus dans la commune de Karangasso-Vigué et qui ont causé trois morts, relancent le débat sur les tensions latentes entre les deux camps. Dans une interview qu’il nous a accordée, le vendredi 14 septembre 2018, le coordonnateur de la Confrérie des dozo sans frontière, maître Yacouba Drabo, tire une fois de plus la sonnette d’alarme et prévient : « Si jusque-là nous n’avons pas réagi, ce n’est pas parce que nous avons peur des Koglwéogo ». Lisez plutôt !

Lefaso.net : Le 12 septembre dernier, des affrontements ont éclaté à Karangasso-Vigué, causant la mort du fils aîné du chef de canton et de deux koglwéogo. Dites-nous ce qui a bien pu conduire à un tel drame.

Yacouba Drabo (Y.D.) : Avant d’entrer dans le vif du sujet, permettez-moi de présenter mes sincères condoléances à la grande famille des dozo du Burkina et d’Afrique, particulièrement au dozo-bâ [grand dozo, en langue dioula], chef de Karangasso-Vigué, Bamory. Pour revenir à votre question, je dirai qu’il y a toujours eu une incompréhension entre dozo et koglwéogo. Il y a longtemps que nous avons essayé de faire comprendre aux koglwéogo que nous ne pouvons pas cohabiter.

Mais ils se sont entêtés, ils ont forcé. Ils se sont accaparé les espaces, alors qu’on ne peut pas s’installer et s’imposer chez quelqu’un sans le consentement de cette personne, surtout quand le chef de terre n’est pas d’accord. La dernière fois, ils sont allés occuper un espace et se sont mis à planter des arbres.

Nous sommes entièrement d’accord que dans la région des Hauts-Bassins et plus précisément dans le département de Karangasso-Vigué, les terres ne sont pas vendues. Il arrive parfois qu’un propriétaire terrien cède son terrain à une tierce personne pour exploitation, mais il peut à tout moment récupérer son espace. Mais quand des gens viennent s’installer et se mettent à borner des espaces qui ne leur ont pas été vendus, alors c’est difficile.

C’est dans cette atmosphère que les dozo se sont déplacés pour aller voir les koglwéogo, pour leur faire comprendre que ces espaces sont occupés et qu’ils ne peuvent pas y planter des arbres. Ces derniers n’ont pas voulu le dialogue et ont ouvert le feu. C’est là que le fils du chef de canton est tombé. Les dozo n’étaient pas nombreux, puisqu’ils ne sont pas partis pour faire la guerre aux koglwéogo. Ils sont juste allés sensibiliser ceux qui s’accaparent les terres.

Lefaso.net : Est-ce dire que les dozo n’avaient pas des moyens de défense ?

Y.D. : Ils ne sont pas allés chercher noise aux koglwéogo. Mais lorsque les choses dégénèrent, on est dans une situation de légitime défense. Si les dozo étaient venus attaquer les koglwéogo, même si ces derniers étaient au nombre de 100, il n’y aurait pas eu de survivants.

Lefaso.net : Cet affrontement était-il prévisible ?

Y.D. : Bien sûr. C’était prévisible et c’est cela que nous voulions éviter depuis près de cinq ans. Dès l’apparition des koglwéogo, j’étais le premier à passer le message pour alerter l’opinion publique et dire que leur création n’était pas la bienvenue au regard de leurs pratiques. J’ai été catégorique dans mes messages adressés au gouvernement. J’ai été catégorique sur la détention illégale des armes à feu.

Nous-mêmes, dozo, nous n’avons pas cette autorisation. Nos cartes de membres ne nous donnent droit qu’à nos fusils de traite, nos fusils à poudre. Si l’on doit détenir un fusil de calibre 12, nous devons passer par la procédure légale. Cette loi est appliquée aux dozo ainsi qu’à tous les Burkinabè. Mais pourquoi est-il permis aux koglwéogo de détenir des armes sans documents ?

Lefaso.net : Êtes-vous certain que beaucoup d’entre eux n’en possèdent pas ?

Y.D. : Quand vous prenez 100 koglwéogo, vous avez 100 armes. On ne délivre pas l’autorisation de port d’arme au hasard. Il y a des enquêtes de moralité qui sont menées. Si nous devons permettre à des individus de se balader avec des armes, qui n’en n’ont pas la maîtrise… Porter une arme demande de la discipline, une certaine éducation. C’est pourquoi il est dit dans le règlement de port d’arme que l’arme n’appartient qu’à son propriétaire. On ne peut prêter son arme ni à son ami ni à son frère.

Quand j’avais évoqué le problème, j’avais dit qu’il n’était pas bon de laisser des individus faire leur propre justice, jouer le rôle de gendarmes, policiers, magistrats, gardes de sécurité pénitentiaire. Il y a des tortures et des morts. On n’en serait pas là si mon appel, lancé il y a quelques années, avait été entendu. Quand ils sont arrivés à l’Ouest, précisément à Koumbia, les problèmes ont commencé par des agressions. Nous avons avisé l’autorité, une première, une deuxième et une troisième fois. La troisième fois, on a frôlé de peu un affrontement meurtrier.

Lefaso.net : De quelles agressions s’agissaient-ils ?

Y.D. : À leur arrivée, ils ont commencé à torturer des fils de la localité, soi-disant qu’il s’agissait de bandits. Ces agressions n’étaient pas du tout justifiées. Nous leur avons dit que nous ne voulions pas d’eux, de leurs pratiques, et que nous pouvions régler nos problèmes. Nous [les dozo] existons depuis la nuit des temps. Les dozo ? Ce n’est pas une affaire d’association. C’est une valeur ancestrale que nous sommes en train de sauvegarder.

C’est la raison pour laquelle nous n’avons pas besoin d’autres forces pour montrer de mauvais comportements à nos enfants. Cette récente agression à Karangasso est la deuxième du genre. À la première tentative où dozo et koglwéogo devaient s’affronter, nous avons plaidé pour la paix. Idem à Sapala et Niangoloko. Mais nous avons toujours essayé d’arranger les choses.

Lefaso.net : Si nous comprenons bien, vous ne voulez pas des koglwéogo à l’Ouest du pays. Mais l’Ouest appartient-il aux dozo ?

Y.D. : Nous sommes tous des Burkinabè. Les koglwéogo ont une zone où ils peuvent s’investir. L’Ouest n’appartient pas aux dozo ni l’Est aux koglwéogo. Nous ne voulons pas seulement collaborer avec des individus mal intentionnés. À l’Est, j’ai plus de 1 100 dozo. J’ai des dozo à Manga, Zabré, Tenkodogo, Fada qui ne causent pas de problèmes. Si nous disons que nous ne voulons pas des koglwéogo à l’Ouest, c’est pour éviter les dérives.

Lefaso.net : Si tout va bien entre dozo et koglwéogo à l’Est, pourquoi les choses ne marcheraient-elles pas à l’Ouest ?

Y.D. : Les deux camps sont différents. Chacun a sa zone d’intervention, puisque l’objectif est de travailler ensemble pour accompagner le ministère de la Sécurité. Si les bonnes pratiques étaient mises en avant, ils seraient les bienvenus. Nous ne nous rendons pas justice à l’Ouest.

Lefaso.net : Certes, vous n’approuvez pas leurs méthodes, mais admettez qu’ils ont quand même engrangé des résultats !

Y.D. : Nous n’appelons pas cela forcément des résultats. Quand, pour faire du bien, nous devons faire du mal dix fois, mieux vaut ne pas le faire. À l’heure où je vous parle, seul Dieu veille sur le Burkina Faso. Les sages prient pour la paix dans notre pays, pour demander le pardon des dozo. Parce que si les dozo doivent riposter, vous verrez qu’il n’y a rien dans leurs résultats. Ils ont frappé, arrêté et séquestré des dozo. Ils ont pris des amendes mais nous n’avons pas réagi. Pourquoi ? Ce n’est pas la crainte. Qu’ils le comprennent. L’initiation dozo repose sur trois grands principes.

Premièrement, il y a la valorisation de la culture. Nous devons respecter nos traditions. Deuxièmement, c’est le droit d’aînesse. Toujours respecter ceux qui sont plus âgés que nous sans distinction de race, d’ethnie et de religion. Troisièmement, ne pas nous accaparer ce qui ne nous appartient pas. Le vol, le viol, les braquages et les tortures sont proscrits. Nos sanctions se limitent aux poulets ou aux cabris. Mais il n’y a pas d’amende.

Je le redis, si nous ne parlons pas malgré toutes ces provocations, ce n’est pas parce que nous avons peur des koglwéogo. Je vous donne un proverbe. L’eau a dit ceci au feu : « Toi qui te crois fort et brûlant, tout le monde te craint. Mais moi, l’eau, je peux te battre. S’il est vrai que tu arrives à me chauffer, c’est parce qu’il y a quelque chose entre nous. Et c’est le canari. S’il n’y a pas le canari, je t’éteindrai tout de suite ». Entre dozo et koglwéogo, ce n’est pas une question de peur. Nous respectons l’autorité, nos ancêtres, nos leaders religieux et coutumiers. C’est pour tout cela que nous ne voulons pas la violence.

Lefaso.net : Le calme est-il revenu à Karangasso-Vigué ?

Y.D. : Les dozo sont des messagers de la paix qui cultivent toujours le pardon en eux. C’est cela leur grandeur. L’homme le plus fort de cette planète, c’est celui qui accepte le pardon. Il y a des choses qu’on peut pardonner mais qu’on ne peut pas oublier. On ne peut pas oublier ce qui s’est passé. C’est difficile parce qu’en réalité, les dozo n’ont pas riposté.

Lefaso.net : Mais l’on dénombre deux morts côté koglwéogo

Y.D. : On ne parle pas de morts côté koglwéogo. 1 est égal à 10 et 10 est égal à 1. L’on pouvait éviter les morts. Il ne faut pas commencer à compter le nombre des morts des koglwéogo. Nous allons prier, demander à Dieu de toujours faire régner la paix sur notre pays. Nous demandons aux dozo-bâ et dozo-deen (grands dozo et petits dozo) de pardonner.
Nous ne sommes pas là pour répondre aux provocations. Quand l’éléphant vient dans ton champ la nuit, c’est par respect. Car s’il vient la journée, que feras-tu ? Frères dozo, vous savez ce que nous valons et ce que nous sommes. Notre objectif est de contribuer à la paix, à la préservation de l’environnement et au développement de notre cher pays.

Notre objectif sur le plan sécuritaire, c’est de travailler ensemble à la protection des personnes et des biens. Si nous devons un jour entrer en guerre, ce sera avec les ennemis du peuple burkinabè et africain. Il ne peut pas se passer deux, trois jours sans qu’on enterre nos braves fils de l’armée, de la police, de la gendarmerie, des Eaux et forêts. C’est cela notre préoccupation.

Voilà pourquoi nous avons demandé au gouvernement de nous accompagner et de nous permettre de les accompagner pour lutter contre le grand banditisme. Mais je suis navré de constater que d’autres ne se préoccupent pas de cela et qu’ils visent leurs intérêts. C’est de l’égoïsme. Je demande une fois de plus à mes frères dozo de pardonner. Rien que le pardon.

Lefaso.net : Vous demandez à vos frères dozo de pardonner et en même temps vous soutenez qu’il est difficile d’oublier. Ne craignez-vous pas des représailles contre les koglwéogo de Karangasso-Vigué ?

Y.D. : Je ne crois pas que ce soit seulement une histoire de Karangasso-Vigué. On ne dit pas au vautour de se lever sur le cadavre de quelqu’un. On doit dire au vautour de se lever sur notre cadavre, car le corps de l’autre est aussi le nôtre. Il y a deux mois, nous avons eu un séminaire de la Police de proximité à Manga, avec tous les acteurs.

Nous avons échangé avec les cadres et après ces récents événements, je me demande si les responsables koglwéogo ont la maîtrise de leurs éléments sur le terrain. Nous avons échangé dans un esprit d’unité. Mais si d’autres koglwéogo font le contraire de ce qui est demandé par leurs responsables, je me demande alors s’il y a une hiérarchie chez les koglwéogo.

Lefaso.net : Avez-vous un appel à lancer à l’endroit des autorités ?

Y.D. : Pour ce qui concerne les autorités, j’en ai fini. L’eau a dit au feu que seul le canari les sépare. Si nous en sommes arrivés là, c’est en partie à cause des autorités. Les lois doivent être appliquées à tous les filles et fils du pays. Le fils le plus discipliné de la famille n’est pas forcément celui qui a peur ; il respecte son père. S’il y a un trop laisser-aller, on ne pourra plus répondre de nous-mêmes.
Trop c’est trop. C’est parce que nous respectons l’autorité qu’aujourd’hui nous en sommes victimes. Qu’elles [les autorités, ndlr] trouvent une solution à cette question le plus rapidement. Nous avons des ennemis à l’extérieur.

Notre préoccupation est de lutter contre le banditisme. Les petits conflits internes ne relèvent pas des dozo mais qu’on ne nous provoque pas. Je souhaite que nous nous associions encore plus dans la lutte contre le grand banditisme. Nous avons besoin de moyens techniques et financiers pour accompagner l’autorité. Je remercie le chef de canton de Bobo-Dioulasso et tous les chefs de l’Ouest qui ont toujours œuvré pour la paix.

J’adresse également mes remerciements à notre président d’honneur, le Mogho-Naaba. Il nous a toujours conseillé la tolérance et le pardon. J’ai enfin une pensée pour l’ensemble des dozo-bâ. Je demande la paix au sein de la confrérie. Unis, nous pouvons avancer. Aux koglwéogo, je leur demande de mettre de l’eau dans leur vin. S’ils sont vraiment pour le bien de ce pays, alors qu’ils arrêtent.

Interview réalisé par Herman Frédéric Bassolé
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