Actualités :: Bassinko : Entre les larmes et la colère, le pont du désespoir

La pluie de la nuit du 31 mai au 1er juin 2018 dans la capitale burkinabè continue de faire des vagues. Les habitants de certains quartiers comme Bassinko, durement touchés par les eaux ont manifesté dans la matinée du 2 juin leur désarroi. Ils n’en peuvent plus d’enterrer des morts après chaque averse. Cinq vies arrachées cette fois, alors que la saison des pluies ne fait que commencer, et surtout que le pont en construction censé les soulager, augmente bien au contraire leur douleur.

La route principale qui mène à Bassinko (sortie nord de la capitale dans arrondissement 8) à partir de la nationale n°2 est dans un état des plus piteux. Surtout après la pluie, des étangs s’étendent à perte de vue, obligeant les usagers à se frayer des passages devant les domiciles pour arriver à destination. Après ce difficile parcours, à quelques kilomètres, l’on se retrouve nez-à-nez avec un pont inaccessible qui subit la furie des eaux, avec tout autour de l’infrastructure en construction, des agrégats épars.

Sous le pont en chantier, une fois l’eau dégagée

Sur les monticules de terre rouge, une foule remue sa colère. Une fois encore, la pluie tombée la veille a arraché des vies en ces lieux. Cette fois, les habitants du quartier malgré la douleur qui les assaille, ne se contentent pas d’enterrer leurs morts. Un cas a particulièrement suscité cette saute d’humeur qui a conduit au blocage de la route nationale n°2. La mort de Rasmané Yaméogo.

Étudiant en fin de cycle à l’Université saint Thomas d’Aquin (USTA), il devait passer devant le jury le 19 juin prochain, pour la soutenance de sa thèse. Dans la nuit du 31 mai 2018, il est de garde quand il pleut sur la capitale. Au petit matin, il enfourche sa monture pour regagner son domicile. L’accès à son quartier, Bassinko, est difficile, encore plus avec les eaux qui inondent une partie du chemin.

Le bas de l’infrastructure grignoté par les eaux

Tout le monde se débrouille ainsi pour gagner sa demeure ou rejoindre son lieu de travail après chaque pluie. Mais Rasmané Yaméogo a eu moins de chance cette fois. C’est la fin de l’aventure, une vie emportée par les eaux, des rêves brisés. « Les gens sont au cimetière pour l’enterrer. D’ici, nous irons aussi », nous dit Jacques Ouédraogo, l’air désemparé.

Comme le jeune Rasmané Yaméogo, ils sont quatre autres habitants de Bassinko-village à avoir été entraînés par les eaux. Cette fois, c’en était de trop. « Depuis ce matin, aucune autorité n’est venue nous rencontrer. Ni le maire, ni un conseiller. Nous sommes abandonnés à nous-mêmes. C’est pour cela que nous avons opté d’aller barrer la route pour qu’on nous entende. Nous ne sommes qu’au début de la saison pluvieuse. Imaginez une forte pluie encore », poursuit Jacques Ouédraogo, au milieu de ses compagnons de lutte.

A Bassinko, après la pluie, ce n’est pas forcément le beau temps

Le pont de l’espoir a déçu

Le quartier Bassinko peut être vu en deux zones. Celle abritant la cité, construite après les inondations du 1er septembre 2009, et l’autre partie, lotie il y a plus de dix ans. C’est cette deuxième partie qui, selon les explications des mécontents, concentrent toutes les misères du quartier.

« On ne demande pas à l’État de venir construire nos maisons. Nous payons des taxes de jouissance, des taxes de résidence. Ce que nous voulons, c’est un pont pour arriver dans nos lieux de service et rentrer chez nous », vocifère pour sa part Omer Nestor Ouédraogo.

Et pourtant, un pont est en construction. Fruit de longues lamentations des habitants, il était censé sonner la fin de leur calvaire. La pluie de la nuit du 31 mai au 1er juin a emporté les agrégats, du coup, c’est un pont au milieu des abysses qui l’entourent. « Ça fait presque dix ans que nous crions tous les jours. Chaque année, il y a mort d’hommes sur ce pont. Finalement, quand on nous a annoncé la construction du pont, nous étions contents, et voilà le résultat. Avec l’entrepreneur, nous avons essayé de suivre les travaux, avec ceux qui connaissent bien l’endroit. On a dit que le pont était très petit, on ne nous a pas écoutés. Le lundi (Ndlr : 28 mai 2018), nous devrions le voir pour lui dire où est-ce qu’on pourrait faire des déviations. Comme toujours, il n’est pas venu », poursuit Omer Nestor Ouédraogo.

La qualité de l’infrastructure est également pointée du doigt. On y aperçoit des fissures, toute chose qui n’est pas pour rassurer les usagers. « Le pont en construction est mal dimensionné, l’eau commence même à ronger l’infrastructure, ce qui veut dire que ça ne va pas tenir », s’inquiète Jacques Ouédraogo.

Avant la mise en chantier de cette infrastructure, les populations avaient elles-mêmes entrepris de construire un pont de fortune. Il a tenu un moment avant de céder. Et l’autorité communale ? « Le maire qui dit n’avoir pas de moyens ». Effectivement, le maire de l’arrondissement, Kassoum Simporé a aussi le regard tourné vers l’État central. « Notre seul recours c’est l’État. Nous au niveau de la municipalité nous ne sommes pas dans les bonnes dispositions pour venir en aide à nos populations », confesse l’édile. Et le ministère en charge de la question ? « Nous sommes allés au ministère, rien n’a été fait », soupirent les habitants.

Les populations constatent les dégâts

Coupé de la ville

Sur les lieux du pont en construction, nous avons trouvé un véhicule de la Compagnie républicaine de sécurité bloqué de l’autre côté. Impossible de passer. « S’il y a des malades, on ne peut rien faire. Hier l’ambulance est venue et elle n’a pas pu passer », précise Jacques Ouédraogo, avant que son camarade Omer Nestor Ouédraogo nous explique qu’hier également, aucun fonctionnaire n’a pu aller au service.

Cette situation amène Moussa Yaogho, un autre habitant, à envier la période d’avant la construction du pont. « Quand il pleuvait, on attendait quelques heures pour que les eaux se retirent avant qu’on ne passe. Mais depuis deux mois, ils sont sur ce pont et rien n’est fait. C’est dans la semaine qu’ils sont venus déverser de la terre et voilà que l’eau a tout emporté ».

Comme tous les habitants de « l’autre Bassinko », Moussa Yaogho a une seule requête. « Nous demandons simplement aux autorités de venir construire un bon pont pour nous. Maintenant on ne sait plus quoi faire. Nos enfants ne peuvent plus aller à l’école, nos femmes ne peuvent plus aller au marché ».

En attendant, les frondeurs mobilisés et les cœurs serrés, ont fait route vers le cimetière pour l’inhumation du jeune Rasmané Yaméogo.

Tiga Cheick Sawadogo
Lefaso.net

Burkina : Le syndicat des inspecteurs de l’enseignement (...)
Burkina : « Il serait bon que tous ceux qui sont (...)
Koudougou / Conduite de taxi-moto : Plusieurs jeunes en (...)
Burkina/Enseignement : Le gouvernement s’active pour (...)
Burkina / Santé communautaire : La stratégie nationale (...)
Burkina/ Gestion des risques agricoles : L’AP/SFD-BF (...)
Ouagadougou : La Coordination Nationale de Lutte contre (...)
Burkina : Le tableau de bord du commerce et des marchés (...)
Ouagadougou : Des voleurs appréhendés au quartier (...)
Burkina : 1 295 structures éducatives ont rouvert à la (...)
Ouagadougou : Poko libérée d’une grosse tumeur du nez (...)
Burkina : Les limites d’âge pour l’admission à la retraite (...)
Burkina : Quatre personnes arrivent décédées en moyenne (...)
Ministère de la justice : Justice moderne et mécanismes (...)
Burkina : Une cour habitée par des déplacés internes (...)
Burkina/Maladie sexuellement transmissible : Les jeunes (...)
Diocèse de Dédougou : Une messe d’action de grâce referme (...)
TECNO dévoile la série Camon 30 qui change la donne : (...)
Burkina/Mise en place d’un système alimentaire durable à (...)
Burkina : Le président de la délégation spéciale de la (...)
Burkina : Un projet de construction d’une centrale (...)

Pages : 0 | 21 | 42 | 63 | 84 | 105 | 126 | 147 | 168 | ... | 36435



LeFaso.net
LeFaso.net © 2003-2023 LeFaso.net ne saurait être tenu responsable des contenus "articles" provenant des sites externes partenaires.
Droits de reproduction et de diffusion réservés