Actualités :: Les mineurs dans les vidéoclubs : A l’école de la perversion

Les vidéoclubs ont ravi la place des salles de cinéma à Ouagadougou, en atteste leur multiplication dans les quartiers surtout périphériques. Le comble, c’est que ces "salles obscures" d’un autre genre, proposent des films pas du tout éducatifs au public, surtout aux tout-petits.

Ce foisonnement des vidéo clubs se fait souvent au mépris des textes en vigueur. Des mesures s’imposent pour réglementer ce secteur qui, apparemment nourrit son homme mais dont les produits proposés distillent des contenus dangereux pour l’éducation de nos enfants.

Salle ventilée, murs ornés d’affiches, exposition généreuse de cassettes de films d’actions et pornographiques. L’endroit a tout de la caverne d’Ali Baba pour les cinéphiles en quête d’images « extasiantes ». L’endroit dont il s’agit ici n’est rien d’autre qu’un vidéo club. Ces salles de cinéma en miniature poussent comme des champignons et de façon anarchique dans les quartiers de Ouagadougou. En effet, on ne compte plus un, deux « six mètres » dans notre cité sans rencontrer un vidéoclub.

A défaut de statistiques, le directeur de la Cinématographie nationale, M. Ismaël Ouédraogo reconnaît le fait que cette prolifération est imputable à la situation actuelle de l’ex- Société nationale de cinématographie du Burkina (SONACIB). « Les Burkinabè sont de grands cinéphiles. Cependant, les salles de cinéma dans les quartiers sont insuffisantes. La ville s’étend de plus en plus et les salles restent groupées au centre ville » explique t-il

Les vidéoclubs apparaissent donc comme une solution palliative pour rapprocher le cinéma des populations. Belle vision citoyenne, dira-t-on. Cependant, les vidéoclubs causent d’énormes difficultés dans les quartiers parce qu’ils ne respectent pas les normes prescrites par la Direction de la cinématographie nationale (DCN). Selon M. Ouédraogo, l’ouverture d’une salle de projection est conditionnée par une demande adressée aux responsables communaux qui jugent si le lieu est indiqué ou non pour une telle activité.

Après la construction ou l’aménagement de la salle, le ministère des Infrastructures et la DCN doivent contrôler pour s’assurer que les normes de construction sont respectées. C’est après toutes ces précautions que la carte professionnelle peut être délivrée à l’exploitant conformément à l’article 2 des textes relatifs aux activités cinématographiques au Burkina Faso de mars 1991.

Un article qui stipule que « Toute entreprise cinématographique ne peut exercer son activité qu’après obtention d’une autorisation d’exercice de la profession délivrée par raabo du ministre chargé du cinéma après avis du directeur du Centre national de la cinématographie du Burkina ». Les textes protègent également les mineurs contre certains films projetés dans les salles. « Les films d’horreur, de violence sont interdits aux moins de treize ans » article 212. « Les films érotiques sont interdits aux moins de 18 ans » article 215.

Mais la réalité est tout autre. En investiguant sur le terrain, nous nous sommes rendus compte que, sur dix vidéoclubs fonctionnels, seulement six avaient une autorisation d’exploitation. Parmi ces six, deux gérants avaient leurs cartes à terme de validité. Quant à la réglementation sur l’accès des mineurs à certains films dont fait cas la loi, elle n’a jamais été respectée par les gestionnaires de vidéo clubs. Tous les films sont accessibles par toutes les tranches d’âges.

Les normes de construction n’étant pas respectées, les vidéoclubs constituent de véritables casse-têtes pour les voisinages. « Le bruit des vidéo clubs nous inonde et ça devient insupportable. Nous sommes obligés d’élever la voix quand on se parle pour nous comprendre. Le bruit est tellement dérangeant au point que nos enfants sont obligés de quitter la maison pour aller étudier ailleurs » confie M. Ali Bélem, voisin d’un vidéoclub au secteur n°17. Ces situations d’irrégularité, M. Ouédraogo, directeur de la Cinématographie ne semble pas les ignorer. Toutefois, le manque de moyens pour les inspections et les contrôles de nuit fait que la DCN n’arrive pas à assurer sa mission de contrôle. « Pour exécuter notre mission, il nous faut un véhicule, un agent assermenté, des éléments de la police ou de la gendarmerie que nous devons payer. Alors que nous n’avons pas de budget pour ce volet » atteste le directeur de la DCN. Au delà de ce qui précède, M. Ouédraogo souligne un fait non moins important qui favorise le désordre dans l’exploitation des vidéo clubs. Il s’agit du caractère même de l’administration qui est beaucoup plus une administration sociale qu’une administration administrative. En clair, pour des raisons d’ordre social, l’administration ferme les yeux sur des infractions constatées dans la cité.

Un moindre mal ?

Le taux de desœuvrement au Burkina Faso est de plus de 50% Au regard de ce chiffre qui ne cesse d’augmenter d’année en année, on est souvent en droit de se demander si la prolifération anarchique des vidéoclubs qui est pourvoyeuse d’emplois n’est pas le moindre mal.

Hamed 25 ans, est le gérant d’un vidéoclub au secteur n°17. « j’ai abandonné les études en classe de 5e parce que mes parents n’avaient pas les moyens pour payer ma scolarité. Depuis lors, j’ai tâtonné un peu dans la mécanique et la soudure pour subvenir à mes besoins. Dieu merci, aujourd’hui j’ai un travail qui me permet de me nourrir, de m’habiller et aider de temps en temps mes parents » confie-t-il. En effet, Hamed encaisse en moyenne 7 500F à 10 000 F par jour. Soit 225 000F à 300 000F le mois. Mais pour son pécule, il gagne 5 000F par semaine soit 20 000F par mois. « Ce n’est pas beaucoup d’argent, mais le fait d’avoir une activité plutôt que de braquer des gens ou de voler est déjà positif pour moi ».

Paul, gérant d’un vidéoclub au secteur n°16 souligne qu’en plus des emplois qu’ils génèrent, les vidéoclubs procurent des recettes à l’État. « Nous payons 50 000F par an aux Impôts. Nous versons les droits d’auteurs au BBDA » assure t-il. D’un point de vue social, Paul estime qu’il est préférable pour les jeunes de passer du temps dans un vidéoclub plutôt que dans un bar où ils s’exposent à de nombreux vices. Cette idée Mme Ouédraogo, ménagère au secteur n°17 la partage et ajoute que « l’enfant qui est au vidéoclub ne fait pas de bêtises, on sait où il est, bien à l’abri d’un monde extérieur menaçant, rempli de chauffards, de voyous et de criminels ». Drôle d’arguments qui ignorent le contenu nocif et dangereux de certains films projetés

Un danger pour les mineurs

Il est 9 h du matin quand nous sommes arrivés à « Espace Vidéoclub » niché au fond d’un six mètre au secteur n°17. A l’affiche, un film d’horreur interdit théoriquement aux moins de seize ans. Mais grande fut notre surprise de constater que la salle était à plus de 75% remplie de mineurs. Ce qui était encore plus surprenant, c’est que c’était un jour de classe, vendredi, et la quasi-totalité des cinéphiles était des élèves.

Martial, Razac, Issouf tous en cours préparatoire ont déserté les classes sous prétexte que les instituteurs sont en réunion. Le prix d’entrée étant relativement modeste, 25F pour la matinée et 50F pour la soirée. Les enfants n’hésitent donc pas à se priver d’un sandwich ou d’un bissap pour satisfaire leur curiosité et souvent se rinçer l’œil. Certains parents vont même jusqu’à payer l’entrée pour leurs enfants sans se donner la peine de voir quel est le film qui passe. Ils ne se rendent pas compte de ce que l’on inculque à leurs enfants. En faisant le tour de quelques vidéoclubs, on constate que les films au programme sont uniquement des films de guerre, d’horreur, d’action, érotiques et même carrément pornographiques. Les films africains sont quasi inexistants.

A la question de savoir pourquoi, Paul nous révèle que c’est ce qui fait plus de recettes. Le danger, est que les enfants subissent un effet de désensibilisation à la violence à force de regarder ces films au point où les crimes les amusent in fine. Dans les vidéoclubs, les jeunes gens rient, applaudissent les ‘actions’ et continuent joyeusement de suivre leur séance. « Lorsque les jeunes voient à la télévision un homme poignarder, violer, brutaliser, humilier ou assassiner son semblable, pour eux c’est comme si cela se produisait vraiment » souligne Mme Talato Saguin, attachée de santé en psychiatrie à l’hôpital Yalgado Ouédraogo.

Elle soutient également que les enfants sont très rapides en imagination et ont tendance à imiter tout ce qu’ils voient à la télévision, grandissent avec ces idées qui résurgissent généralement à l’âge adulte. A ce sujet, un journal américain ‘Medical Association’ a publié une étude épidémiologique comparative sur l’impact de la violence à la télé.

Dans les régions où l’on projetait des films violents, on a observé une explosion de violence sur les terrains de jeux pour enfants, puis, quinze ans plus tard, un doublement du nombre de meurtres. L’article concluait : « si par hypothèse, la télévision n’avait jamais été introduite aux USA, ceux-ci connaîtraient chaque année 10 000 homicides de moins, 70 000 viols de moins, 700 000 agressions de moins ».

A la psychiatrie de l’hôpital Yalgado, Mme Saguin confie qu’ils reçoivent en moyenne 300 patients externes et 10 hospitalisations par mois. Elle ajoute que la plupart des affections pathologiques ont une origine génétique traumatique, tumorale. Mais la majorité sont des psychopathes c’est-à-dire des personnes qui, dès leur bas âge, ont ressenti une carence affective et ont été agressées d’une manière ou d’une autre particulièrement par des images violentes. « De plus en plus, les parents n’ont plus le temps pour leurs enfants.

Ils sont laissés à eux mêmes et la télé devient le meilleur compagnon, les exposant ainsi à la violence et aux troubles de la personnalité très tôt » reconnaît-elle. L’ouverture du Centre psychiatrique pour enfants et adolescents en 2005 est très révélateur. Au-delà de la santé mentale, Mme Saguin fait remarquer que les vidéoclubs et la télévision en général ont un impact négatif sur la santé physique et les études des enfants.

Que faire ? A cette question les avis divergent. M. Ali Bélem est catégorique et pense qu’il faut fermer les vidéoclubs parce qu’ils font plus de mal que de bien. Mme Ouédraogo estime pour sa part qu’il faut plutôt trouver des heures pour les enfants et ne pas les laisser regarder les films violents et pornographiques. En tous les cas, M. Ismaël Ouédraogo rassure qu’avec la nouvelle loi portant réglementation des projections publiques le problème sera résolu.

P. Pauline YAMEOGO
Sidwaya

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