Actualités :: Trafic des enfants :"Les filles sont très vite victimes de harcèlement (...)

Le Dr Marie Berthe Ouédraogo, chargée du programme protection à l’UNICEF/Burkina, est une femme qui n’a pas peur des défis. Bien au contraire. Elle est considérée par certains comme une activiste, tant son engagement en faveur des enfants est grand.

Sidwaya l’a rencontrée. Elle parle du phénomène du trafic des enfants, son ampleur, ses manifestations, ses causes, ses conséquences sur l’enfant. La tâche est ardue, mais Dr Ouédraogo pense qu’une synergie d’actions peut faire reculer le phénomène.

Sidwaya (S) : Pourquoi est-il si difficile de mettre fin au trafic des enfants ?

Dr Marie Berthe Ouédraogo (M.B.O.) : En 2000, une enquête nationale, diligentée par l’OIT (Organisation internationale du travail) avec l’appui technique du ministère chargé du Travail, a établi que le travail des enfants existe réellement au Burkina. On a identifié 83 enfants victimes de trafic, dont une cinquantaine victimes de trafic interne et les autres, de trafic transfrontalier. L’UNICEF a contribué pour la restitution de cette étude. Egalement en 2000, s’est tenue à Libreville une consultation ministérielle sous-régionale sur le trafic des enfants. Elle était cofinancée par l’OIT et l’UNICEF.

Au Burkina, la pauvreté et l’inadéquation du système éducatif ont été identifiées comme causes majeures du trafic des enfants. La loi d’orientation sur l’éducation stipule que tout enfant de moins de 16 ans doit aller à l’école. Malheureusement ce n’est pas la réalité. Une autre enquête de l’OIT, menée en 1999 sur les pires formes du travail des enfants, avait identifié 51,7% des enfants de 7 à 14 ans dans les pires formes du travail des enfants. Donc des enfants qui n’allaient pas à l’école, et qui étaient victimes des pires formes de travail. Aujourd’hui nous sommes à 53% environ de taux brut de scolarisation. Mais à l’époque (en 1999-2000), il était de 40% à peu près. Alors, 40% d’enfants qui vont à l’école, si on enlève le nombre d’enfants qui sont sur le dos de leur mère, et le reste, où sont-ils dans la journée ? Dans la rue ! N’importe où, en train de vagabonder, à faire du n’importe quoi ! Mais le phénomène du trafic intéresse en premier lieu les enfants dans la rue. Ils sont très vite candidats au trafic. En 2004 par exemple, tous les enfants interceptés par les comités de vigilance et de surveillance (CVS) des provinces que l’UNICEF appuie proviennent des écoles coraniques. C’est ce genre d’enfants qui, dans les pays où éclatent des conflits armés, sont recrutés soit par l’armée loyaliste, soit par les rebelles comme enfants soldats.

En ce qui concerne la pauvreté, les enquêtes prioritaires 1994, 1998, 2003, ont montré une augmentation certaine de la pauvreté qui touchait environ 47% des Burkinabè. On peut être pauvre et rester digne. La pauvreté a toujours existé. Mais le trafic d’enfants est un phénomène émergent. Il y avait la migration, mais les enfants n’étaient pas exploités par les adultes qui les accueillaient. Aujourd’hui, au lieu d’inscrire les enfants d’autrui à l’école, on préfère les garder à la maison, comme baby-sitters. Beaucoup de femmes en ont été victimes. Elles sont des cas vivants de témoignage pour les jeunes filles que nous encadrons. Nous avons fait des voyages d’études et elles ont échangé avec pas mal de femmes qui ont raconté leur histoire et qui était similaire à la leur. Regardez la différence d’âge, de génération... mais les mêmes problèmes se posent aujourd’hui avec beaucoup plus d’acuité.

Deux provinces sont les principales pourvoyeuses d’enfants victimes de trafic : le Sourou et le Soum.

S : A quoi cela est-il dû ?

Dr M.B.O : Au niveau du Sourou, une étude faite par Terre des hommes Lausanne, montre que ce sont leurs mères qui poussent les filles à être victimes du trafic, parce que c’est une mentalité : « La fille de ma voisine est allée à Ouagadougou, elle lui a ramené un complet bazin qu’elle a porté lors d’un mariage. » Elle voudra que sa fille lui fasse le même honneur. Pour le Sourou, nous avons adopté une stratégie particulière en créant le centre d’aides familiales à Tougan. Avec l’appui de certaines ONG, nous prenons en charge une quarantaine d’adolescentes déscolarisées. Certaines avaient été victimes de trafic. D’autres s’apprêtaient à partir. Elles ont été alphabétisées. Ensuite elles effectueront un voyage d’études au centre Basnéré du groupement Naam à Ouahigouya, pour parfaire leur formation à la production. Nous voulons qu’elles soient compétitives sur le marché.

Leur programme s’achèvera par une formation à la gestion avec l’appui des institutions de crédit. Elles seront installées comme nous l’avons déjà fait avec d’autres enfants, avec un kit contenant le matériel d’installation et un petit capital pour démarrer.

Leurs mamans aussi sont prises en charge. Si nous ciblons uniquement les filles, il sera difficile aux filles de résister à leur influence. Mais si les mères, avec des activités génératrices de revenus, sont autonomes, les filles pourront échapper au trafic. Au tout début, un groupe de mères, (précédemment) victimes de trafic, a bénéficié de micro crédits. Mais il leur a été difficile de rembourser les 50 000 FCFA par personne octroyés. L’influence des parents, leur niveau de pauvreté, leurs faibles connaissances et compétences techniques en matière de production les handicapaient lourdement.

Dans notre stratégie, les enfants sont renvoyés dans leur famille, après avoir été gardés dans un centre de transit que nous avons mis en place dans chaque province. Il comprend une petite couchette, des habits, des médicaments et de quoi se nourrir pour un maximum d’une semaine.

S : Pourtant, parfois, les agents de l’Action sociale disent ne disposer de rien pour secourir les enfants.

M.B.O : C’est juste. Mais ces situations découlent de nos procédures financières qui sont universelles dans tous les pays où l’UNICEF est représenté. Des difficultés peuvent apparaître à plusieurs niveaux : retards de décaissement des fonds soit du trésor ou de la direction provinciale. Mais plus tôt les activités sont menées, conformément aux rubriques, sans qu’il n’y ait dépassement de ligne budgétaire, plus tôt les justificatifs rentrent, plus tôt les fonds également sortent de l’UNICEF et plus tôt ça repart au niveau de la DAAF de l’Action sociale et plus tôt les fonds sont mis à la disposition des directions provinciales. S’il y a des goulots d’étranglement, que ce soit du côté de l’Action sociale ou du nôtre, il y a retard quelque part et les personnes qui payent les frais, ce sont les enfants.

S : Quelle est la part de responsabilité d’un Etat pourvoyeur comme le Burkina ?

Dr M.B.O : Tous les Etats, qu’ils soient pourvoyeurs, récepteurs ou de transit sont responsables. Le Burkina malheureusement est dans les trois cas. Cela rend la lutte plus compliquée. En 2000, au moment où tout le monde était d’accord que le phénomène existait dans les pays d’Afrique de l’Ouest et que les enfants migraient de l’Afrique de l’ouest vers l’Afrique centrale, (voilà pourquoi la réunion a eu lieu au Gabon), en Côte d’Ivoire on ne reconnaissait pas le trafic d’enfants. Parce qu’il y avait un enjeu, le cacao, les ingénieurs tentaient de démontrer qu’un enfant était incapable de cueillir le cacao. Les pressions américaines ont amené ce pays à reconsidérer sa position. En novembre 2000, nous étions prêts à partir en Côte d’Ivoire pour la signature d’un accord de coopération sous régionale entre la Côte d’Ivoire et une dizaine d’autres pays, pour lutter contre le trafic transfrontalier des enfants. Deux ou trois jours avant, la guerre a éclaté.

Il y avait une zone située entre la Côte d’Ivoire, le Mali et le Burkina d’où les trafiquants convoyaient les enfants maliens et burkinabè vers la Côte d’Ivoire. Dès que l’AEC (Aide à l’enfance Canada) a construit un grand centre de transit à Sikasso pour intercepter les enfants, les trafiquants ont changé de stratégie. Au lieu des cars, le réseau utilisait maintenant des motos Yamaha, empruntant les pistes rurales. Ça ne vous vient même pas à l’idée de penser que les enfants sont en train d’être trafiqués.

Sid : Ils ont développé là un génie incroyable ?

M.B.O : Oui. Un très mauvais génie qui exploite les enfants. Plus on traque les trafiquants, plus ils deviennent imaginatifs. Il est vrai qu’avec la guerre en Cote d’ivoire, le trafic a diminué.

Sidwaya : il y a vraiment un problème de communication à ce niveau.

M.B.O : Il faut tout expliquer aux populations. Beaucoup d’entre nous ont fait le lycée Zinda Kaboré à Ouagadougou, mais leurs parents n’étaient pas ici. Cependant, ils n’ont pas été exploités. Mais actuellement c’est difficile.

L’intérêt du PIC (Plan intégré de communication), qui a été mis en œuvre par l’UNICEF, c’est qu’il induit un changement de comportement. Pour ce faire, nous travaillons avec les associations. Au Burkina le tissu associatif est très actif, très organisé. Prenons le cas de l’école coranique. Il est vrai que dans le Coran il est dit d’enseigner l’humilité à l’enfant. Mais nulle part il n’est dit que l’enfant doit mendier. Je connais un pays musulman (la Tunisie) où lorsqu’un enfant est pris en train de mendier, son père est passible de prison. L’accès à l’école est à 100%.

Sidwaya (S.) : A certaines périodes le PIC doit s’arrêter, alors que le trafic des enfants est un phénomène ininterrompu. Que faire ?

M. B. O. : Il y avait plusieurs thèmes que nous avions mis ensemble pour ne pas biaiser les résultats de l’évaluation : excision, VIH/Sida, trafic d’enfants, enregistrement des naissances, le ver de Guinée, le Code des personnes et de la famille.

Le PIC doit être mené au moins pendant quatre mois. C’est ce que nous faisons. Mais pendant l’hivernage, nous suspendons ces activités.

S. : Vous avez un dernier point à relever ?

M. B. O. : C’est le problème des filles. En ce qui concerne la recherche d’un tuteur, ce n’est pas évident pour les filles, qui sont très vite victimes de harcèlement sexuel, d’abus et exploitation sexuels. Le jour elles sont des domestiques, la nuit on les oblige à se prostituer.

Il faut prévenir le mal. Je lance un appel à une lutte concertée, conjointe. Ces défis ne sont pas hors de portée des Burkinabè. Nous devons travailler ensemble effectivement, de façon transparente. Que les trafiquants soient punis lorsqu’on les arrête, pas de complaisance à ce niveau, pas d’intervention, qu’ils soient bien châtiés, et que ce soit médiatisé, que vous, la presse, mettiez l’accent là-dessus quand ces procès ont lieu... vous médiatisez à bloc les punitions ; ça va dissuader les gens.

Propos recueillis par Abdoulaye GANDEMA
Sidwaya

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