Actualités :: Père Frans Balemans : "Je suis plus Burkinabè que la plupart des (...)

Le Père Balemans ; beaucoup de lecteurs le connaissent à travers la rubrique "Droit dans les yeux" qui paraît tous les mardis dans le quotidien "Le Pays".

En cette nouvelle année 2005, nous l’avons rencontré et avons échangé avec lui sur certaines questions de la vie nationale. Sans détours, le Père Frans Balemans a répondu à nos questions.

"Le Pays" : Quels souvenirs gardez-vous de l’année 2004 qui vient de s’achever ?

Père Balemans : Je regrette qu’on n’ait pas avancé d’un iota en 2004. J’avais espéré un petit peu que le Burkina Faso avait décoller et fait ses premiers pas vers le développement. Mais je constate que c’est tout à fait le contraire. J’ai un goût un peu amer.

Dans quel domaine n’y a-t-il pas eu de décollage ?

Je ne vois aucun domaine où les choses ont avancé. Je retiens, toutefois, le contre-coup de l’aide extérieure au niveau du coton et du riz qui sont subventionnés. Je ne vois pas d’avancée. Le seul point qui semble positif, c’est la grande liberté d’expression, la grande liberté de presse. Pour le reste, je ne vois pas. Les individus veulent bien avancer mais quelque chose bloque. Et cette chose pour moi, c’est la corruption et, à côté, la peur.

Qu’est-ce que les Burkinabè auraient dû faire pour que l’année 2004 soit positive ?

Je ne peux pas dire qu’ils auraient pu sauver le pays complètement. Mais je pense que le gouvernement aurait pu au moins lutter contre la corruption. C’est d’abord cela le premier pas. A l’extérieur, il s’est bien démené pour protéger le pays par rapport au prix du coton par exemple.
Il y a un esprit qui s’est installé au Burkina, qui est très dangereux. Je prends un exemple. Ce n’est la peine d’aller dans un bureau à 7 h parce qu’il n’y aura personne. Durant le temps de travail, combien de fois je suis allé et on me dit : Ha ! Il est sorti. Ha ! Il n’est pas là. Ha ! Il va revenir. Vous savez, il n’y a pas la volonté du travail.
Tout le monde n’a pas la volonté d’aller de l’avant. Tout le monde, comme on dit, "se cherche".

Père Balemans s’est beaucoup fait remarquer à travers ses écrits dans "Le Pays". Est-ce qu’on peut savoir ce qui le motive ?

Pour vous dire la vérité, la première chose qui me motive, c’est le mal que j’ai. Je suis venu au Burkina il y a des années. Je connais en gros la mentalité des gens. Je suis très fier de ce que des gens qui viennent de l’étranger disent des Burkinabè.
Et un peuple comme cela avec qui je suis devenu un, qui reste dans la pauvreté, ça ne marche pas. La première chose qui me fait écrire c’est informer ; la deuxième, c’est conscientiser ; la 3e c’est, aider les gens à réagir. Parce que notre pays ne sera pas construit de l’extérieur. Il ne sera même pas construit par le président ou par le gouvernement. Mais il sera construit par le citoyen. C’est pourquoi, je suis parfois dur sur tout ce qui ne va pas, ce qui va contre le développement, ce qui va contre le bien du Burkina Faso.

Dans vos écrits, vous dites "notre pays" en parlant du Burkina. Est-ce que vous vous considérez-vous comme un Burkinabè à part entière ?

Le Burkina est mon pays. J’ai vécu quelques années en Europe et pour la plus grande partie de ma vie, j’ai vécu ici. Et j’ai toujours essayé de participer, de travailler pour le bien du pays. Cela peut être plus facile pour ceux qui sont mariés, parce qu’ils ont leur famille. Moi, je n’ai personne ici. J’essaie de travailler pour le bien du pays. Et dans ce sens, je suis plus Burkinabè que la plupart des Burkinabè. Je me suis plus dépensé pour le Burkina que beaucoup de Burkinabè. Cela, j’en suis convaincu.

Dans vos écrits, vous abordez souvent des sujets très critiques tels la corruption, la politique... N’avez-vous pas peur ?

Moi, avoir peur ? Ecoutez, j’ai 75 ans ! J’ai pratiquement vécu toute ma vie. Parce qu’à 75 ans, il n’y a plus beaucoup de missionnaires qui restent encore longtemps ici. Qu’est-ce-que j’ai à perdre ? Je suis content, parce que je peux encore faire quelque chose en disant la vérité, en informant et en essayant de motiver. Pourquoi aurais-je peur ? Si j’étais jeune, si j’avais une famille, peut-être que j’aurais peur. Qu’est-ce qui peut m’arriver ? Un de ces jours, je vais mourir. Alors, pourquoi vais-je avoir peur ?

En fait, qui est Père Balemans ?

Je suis né en 1929 en Hollande. Je suis donc Hollandais. Je suis venu ici au Burkina en 1957 et depuis, sauf les fois où je suis parti en Europe pour mes congés, je suis resté dans ce pays.
J’ai vécu surtout dans la région de Kaya et depuis 3 ans, je suis à Koudougou. Je suis secrétaire du réseau Justice et paix des Pères Blancs et du réseau Justice et paix des instituts religieux.

On a souvent entendu dire que vous avez été un ami du président Thomas Sankara ; est-ce vrai ?

Demandez à tous ceux qui osent le dire, qui ont vécu cette période. C’est la seule période que je reconnais en tant que telle depuis que je suis au Burkina et je suis au Burkina bien avant les indépendances. La seule période où j’ai vu que les choses avançaient. Je ne dis pas que tout était bien. Je ne dis pas qu’il n’y avait pas d’injustice. Je dis seulement que c’est le seul moment où il y a vraiment eu un progrès visible. Tous les gens s’étaient mis au travail. Peut-être qu’il y avait des gens qui étaient plus ou moins obligés et qui n’osaient pas le dire. Regardez ! Moi, j’étais en ce moment dans la région de Téma-Bokin. Combien d’écoles ont été construites par la population ? De nos jours, c’est toujours le gouvernement qui doit faire ceci, le gouvernement qui doit faire cela. Il y avait un état d’esprit national peu ordinaire et ça portait fruit. Si je ne me trompe pas, c’est pendant ces quelques années que le taux de scolarité a doublé. Et depuis ces années, qu’est-ce qui avance vraiment ? Le pays avance un tout petit peu. Il y a plus d’argent qu’avant, mais on recule par rapport aux autres. Ceux qui sont derrière nous sont des pays en guerre. On dirait que je suis l’imbécile parce que je veux le bien du Burkina. C’est faux, car je sais qu’il y a des gens qui travaillent pour le pays. Je sais qu’il y a beaucoup de fonctionnaires qui travaillent. Mais si je dis beaucoup, en nombre c’est important, mais en proportion, c’est ridicule.

Beaucoup d’anciens camarades de Thomas Sankara ont créé des partis pour défendre son idéal, mais ils n’arrivent pas à s’entendre. Comment vous jugez-vous cette situation ?

Ceux qui se disent sankaristes ne sont pas sankaristes. Sankara, je l’ai rencontré plusieurs fois, vous l’avez entendu en public, c’était un homme qui était obsédé par le bien du Burkina. Les sankaristes, eux sont obsédés d’avoir une place et la meilleure place si possible, peut-être pour devenir président. C’est ridicule. On ne doit pas chercher la place du président, on cherche le bien du pays. Point final.

Dans vos écrits, vous avez rarement parlé de l’éducation alors que vous êtes voisin de l’ENSK (Ecole normale supérieure de Koudougou). Est-ce parce que ce domaine est moins important pour vous ?

Non, ce domaine est très important, parce qu’avec des analphabètes, on ne peut pas faire le développement. Il y a un certain niveau intellectuel qui est nécessaire. Je n’en ai peut-être pas parlé. Mais on ne peut pas parler de tout. Je n’ai pas beaucoup parlé de santé non plus. Je n’ai pas aussi parlé des affaires sociales sauf là où je suis engagé. L’éducation est nécessaire et difficile pour le pays, parce qu’il n’y a pas beaucoup d’argent et le peu disparaît dans les poches des gens.
Mais qu’est-ce que vous voulez ? tout le monde veut devenir instituteur et une fois qu’on le devient, on dit qu’on ne gagne pas assez. On devrait faire comme en Chine, où il y a eu des infirmiers aux pieds nus. Ainsi, on pourrait avoir aussi des instituteurs aux pieds nus ici au Burkina.

C’est-à-dire ?

C’est-à-dire des gens dévoués pour apprendre aux enfants à lire et à écrire pour peu de salaire.

Le Burkina Faso a engagé un programme décennal de l’éducation de base. Comment appréciez-vous ce programme ?

Moi, j’ai vu beaucoup de programmes ici, mais j’attends la réalisation. Il y a quand même des progrès qui sont faits dans l’enseignement. Il y a par exemple beaucoup plus d’écoles secondaires. On voit naître quand même une classe moyenne, qui, si elle ne trouve pas de travail, peut prendre elle-même des initiatives.
Si je regarde à Ouaga, combien d’initiatives sont prises par les Africains pour des affaires, des commerces ? C’est incroyable. Si le gouvernement pouvait créer des conditions propices, le pays décollerait. Il y a 30 ans, à Ouaga, réparer une montre n’était presque pas possible. Maintenant vous pouvez faire réparer tout. Tout y est. On peut acheter tout.

L’année 2004 a été aussi marquée par la lutte unitaire des syndicats pour une augmentation de salaire. Le gouvernement a fait une augmentation de 4 à 8%, mais les syndicats ne sont pas contents et veulent continuer la lutte. Quel commentaire faites-vous ?

Ils ont raison de ne pas être contents. Ici à Koudougou, les travailleurs de Faso Fani n’ont toujours pas perçu leurs droits et cela depuis 3 ans. Je dis que vous avez le gouvernement que vous méritez. Dans tous les pays, c’est pareil.
Vous voulez de l’argent et vous avez raison. Mais qu’est-ce que vous faites vous-mêmes contre la corruption ?
Moi je n’ai pas encore entendu dire que parmi les syndicats, il y a des gens qui luttent contre la corruption. La corruption est la première chose qui nous casse. Le syndicat connaît cela très bien. Mais si c’est pour exiger et non pas pour travailler, je dis : vous êtes à côté de la plaque. Je suis très content qu’ils aient des syndicats et qu’il y ait une certaine force. Mais ils doivent revoir leur manière de faire.
Qu’est-ce qu’ils font pour que leurs membres travaillent pour le développement, qu’ils travaillent honnêtement ? Ce sont mes questions à moi. Je n’ai jamais entendu dire qu’un syndicat a incité ses membres à travailler sérieusement, à ne pas être corrompus. Non ! On exige, on exige. On exige du gouvernement et en même temps, on veut du gouvernement. Qu’est-ce que vous voulez qu’on fasse ?
Ceux qui sont plus forts, ils ne souffrent pas. Moi, je n’ai pas encore vu un ministre souffrir parce qu’il ne gagne pas assez ; le député, c’est la même chose.
Pour le travail, vous savez qu’il y a beaucoup de gens qui ne font rien, absolument rien. Ils crient maintenant pour qu’on augmente le salaire. Je suis d’accord le salaire est bas et qu’il devrait augmenter. Mais si on accepte la corruption dans le pays, on paie aussi pour la corruption. C’est clair.

Vous avez dit dans un de vos écrits que vous savez que le Président Blaise Compaoré sera candidat et sera réélu. Qu’est-ce qui vous fait dire cela ?

Parce que j’ouvre mes yeux. C’est tout ! Il n’y a pas d’opposition. Et quand elle existe, elle est minée par des querelles internes. Tout le monde pense qu’il doit être à côté du plus fort pour être plus fort. C’est connu. Eyadéma, Bongo, Biya ont fait la même chose. Et ce sera la même chose. Il n’y a pas de gens qui se réunissent et qui veulent le bien du pays.
Regardez les partis sankaristes, il y en a combien ? Et ils se mangent entre eux. Ils n’ont même pas 1 ou 2% de la population avec eux. Si on veut lutter, on doit d’abord s’unir, se mettre d’accord. Mais chacun veut être président ; il n’y aura personne pour être président. Et l’autre, il rigole.

Quel est leur point faible ?

C’est qu’ils ne cherchent pas le bien du pays. Si vous lisez dans les journaux, toutes leurs déclarations, ce sont des généralités. Ils n’ont pas un projet clair. Chaque fois, ils disent qu’on va lutter contre la pauvreté sans dire comment. Même le gouvernement, c’est la même chose.

Vous êtes à Koudougou depuis trois ans. Qu’est-ce qui, dans la ville de Koudougou, vous a marqué ?

Je connaissais Koudougou de loin. Mais je savais que c’était une des villes les plus prospères du Burkina, il y a 10 à 15 ans. En arrivant à Koudougou j’ai été étonné et écoeuré par la misère. Moi je ne peux pas faire grand chose, si ce n’est faire un petit système de crédit aux plus pauvres même s’ils n’ont pas de garantie afin qu’ils aient de petites sommes d’argent pour démarrer des activités.

Selon vous où peuvent se trouver les chances de décollage économique de cette ville ?

Je pense que les atouts commencent à venir. Les gens commencent à comprendre qu’ils doivent eux-mêmes prendre des initiatives. Il y a encore trop de gens qui sont laxistes, mais je vois qu’il y en a qui se dévouent pour faire marcher certaines affaires. On les voit dans les églises, mais aussi dans certaines entreprises et associations.
Il y a beaucoup d’associations qui sont créées pour gagner de l’argent. Mais il y a aussi des gens qui sont soucieux, qui veulent travailler, qui veulent avancer.

Vos voeux pour 2005 ...

Que tout le monde se mette au travail et que chacun laisse la peur derrière soi, parce que la peur n’arrange rien. Que tout le monde ait confiance en l’avenir et, avec la population de Koudougou, du Burkina, on peut faire de bonnes choses parce que c’est une population qui est bonne, qui est travailleuse et qui est sincère. Ce n’est pas par hasard qu’on l’appelle "pays des hommes intègres" bien qu’on n’en trouve pas tellement maintenant.

Propos recueillis par Noraggo Paul HIRY
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