Actualités :: Mathieu Ouédraogo : "Je ne connais pas d’enseignants PPTE"
Mathieu R.
Ouédraogo

Depuis le 1er octobre 2004, élèves et étudiants ont repris la route de l’école.

Du côté du département de l’enseignement de base, l’heure est aux réglages pour une bonne année scolaire 2004-2005. En attendant, que deviennent les "enseignants PPTE" ?

Quelles solutions face à la surcharge des classes, à la sécurisation des enceintes scolaires, à de meilleures conditions de vie et de travail des enseignants ? La qualité de l’éducation est-elle sacrifiée au profit de la quantité pour des besoins de chiffres ? C’est entre autres les questions que nous avons posé à Mathieu Ouédraogo, ministre de l’Enseignement de base et de l’Alphabétisation.

Comme vous pouvez le constater sur cette photo (nous lui présentons le numéro du "Pays" du 4 octobre 2004), cinq élèves sont coincés sur un seul table-banc pour suivre des cours à l’occasion de la rentrée scolaire qui vient de s’effectuer. Cela vous choque-t-il, monsieur le ministre ?

Oui ! Vous savez que toutes les réalités ne sont pas toujours ce qu’on veut. Nous avons même vu pire que ça (ce n’est pas pour excuser le constat que vous venez de faire), mais nous travaillons à ce que les enfants puissent être assis convenablement. Nous avons fait une étude l’année dernière pour évaluer le confort de l’apprenant. On nous a fait savoir que 37% des élèves du primaire sont mal assis. Pour répondre à votre question, je dois dire que ça ne me plaît pas de voir cette image. Nous travaillons à corriger cela.

D’aucuns pensent que l’éducation nationale actuelle est tournée beaucoup plus vers un objectif quantitatif plutôt que qualitatif. Le dernier aspect vous semble-t-il dévalué ?

Les gens nous accusent de toujours penser en terme de chiffres. Effectivement, nous sommes tous des chiffres. Quand vous parlez du Burkina Faso on dit que sa superficie est de 274 000 km2, qu’il a 11 à 12 millions d’habitants, tant de millions de bovins, tant de travailleurs, etc. Ce sont des chiffres. Ce n’est donc pas à l’éducation seulement qu’on parle de chiffre. C’est ce qui donne des échelles de grandeur.

Jusqu’ici, quand on parle du Burkina en terme d’éducation, on parle du pourcentage du taux de scolarisation. Par exemple cette année, nous sommes à 53%. Ce sont les chiffres qui donnent une idée de l’évolution d’un pays. Même quand on dit que le Burkina est un pays pauvre, on le dit sur la base d’éléments chiffrés.

Nous mettons l’accent sur l’aspect qualité. Avant de parler de qualité de l’éducation, il faut qu’il y ait d’abord l’éducation, que les gens aient accès à une classe, à un maître et un table-banc pour s’asseoir. Vous voyez, vous avez été choqué par le fait qu’il y ait cinq enfants sur un seul table-banc. Nous aurions voulu que ce soit deux enfants sur un table-banc.

Vous avez constaté que nous avons procédé à la distribution gratuite de manuels scolaires et des guides. Nous avons aussi procédé à l’ouverture de plus d’une vingtaine de nouvelles circonscriptions pour que les Inspecteurs soient beaucoup plus proches des enseignants pour les encadrer et les conseiller. Toutes ces actions visent la qualité. Le Centre de recherche, des innovations éducatives de la formation est créé pour travailler à la qualité.

Comme vous le voyez, la qualité fait partie de nos priorités. Notre objectif est d’arrivé à une moyenne de 45 à 50 élèves par classe. Il y a des endroits actuellement où nous avons près de cent élèves par classe.

Qualité de l’éducation rime aussi avec meilleures conditions de vie et de travail des enseignants. Cet aspect est-il pris en compte dans vos prévisions ?

Il est vrai que quand nous parlons de qualité, c’est un tout. L’éducation de qualité requiert un environnement de qualité, des enseignants de qualité, du matériel pédagogique de qualité, etc. La vie des enseignants, leurs conditions de travail nous préoccupent. Il faut que nos enseignants soient de plus en plus à l’aise. Cela demande beaucoup de moyens, mais nous travaillons progressivement à améliorer les conditions de travail.

Où en êtes-vous avec le dossier des "enseignants PPTE" comme on les appelle ?

C’est une appellation que nous n’acceptons pas. Au niveau du MEBA, nous ne connaissons pas d’enseignants PPTE. (ndlr, PPTE : pays pauvres très endettés et "Enseignants PPTE" : enseignants mal payés). Ce sont des IAC. Ils sont contractuels. Nous avons traité les dossiers de ceux qui ont été recrutés au cours des deux dernières années conformément aux textes en vigueur, ils ont eu leur salaire. Pour cette année, la Fonction publique a lancé le concours et a recruté les 2500 enseignant qui vont rejoindre leur poste si ce n’est déjà fait. Nous n’avons plus de problèmes à cela.

Tout est donc réglé ?

Tout est réglé. On m’a simplement signalé qu’il y a quelques dossiers incomplets au niveau de la Fonction publique. C’est peut-être ces derniers qui n’auraient pas eu leur salaire.

Qu’est-ce qui a donc provoqué cet attroupement à l’occasion de l’opération billetage dans vos services ?

On a l’impression que vous les journalistes, vous vous intéressez davantage au train qui arrive en retard plutôt que...

... L’événement, c’est quand le train arrive en retard. Celui qui arrive à l’heure est un non-événement, monsieur le ministre...

Je le constate effectivement (rires...). Pour revenir à votre question, l’ordonnancement dit que les bons sont virés. Faites-vous le tour pour voir l’attroupement qu’il y a devant les banques. Vous ne voyez pas ça. Imaginez si tous ces gens devaient aller quelque part pour se faire payer. Maintenant, c’est parce que ce sont des enseignants qui sont au billetage et parce qu’ils sont nombreux, qu’on crie au scandale.

Quand on m’a signalé qu’il y avait un attroupement, je croyais qu’il y avait un problème de dysfonctionnement au niveau de la disponibilité de l’argent pour le paiement. On m’a fait savoir que la programmation n’a pas été respectée. C’est regrettable que les gens soient obligés de venir se bousculer pour se faire payer. Je peux vous dire que cette situation sera réglée avant jeudi (ndlr, avant le 7 octobre). On a augmenté le nombre de guichets de paiement.

Pour le moyen et le long terme, ce sont des scènes que nous ne voulons plus voir. Comme les recrutements se font en fonction des besoins des régions, tous ces dossiers vont être traités au niveau régional et provincial. Si les structures d’accompagnement de la décentralisation se mettent en place, ces cas seront gérés à ce niveau. Les uns et les autres n’auront plus besoin de faire des centaines de kilomètres pour venir toucher leur salaire à Ouagadougou.

L’inscription gratuite annoncée l’année dernière n’a pas été gratuite à certains endroits. Cette situation sera-t-elle cette fois-ci évitée ?

Nous avons dit que pour l’inscription des filles en première année, c’est gratuit. Nous avons dit chaque fois aux Directeurs d’école de ne pas percevoir de frais d’inscription pour les filles de 1ère année. Ce sont les mêmes dispositions que l’année dernière. Nous avons également dit que si un parent conduit son enfant à l’école, ce dernier doit être inscrit.

Il n’est pas normal que nous battions campagne pour une inscription massive et dans le même temps on refoule des enfants qu’on a conduits à l’école. Maintenant, s’il y a des effectifs difficiles à gérer, on s’en remet à la hiérarchie qui va trouver une solution.

A quoi répond la distribution gratuite des manuels scolaires ?

Ce geste est symbolique et chargé de sens. Vous avez tantôt parlé de la qualité. La qualité, disais-je, est aussi liée au matériel didactique. Pour nous, il est essentiel que les enfants disposent de manuels, de fournitures parce qu’il y a aussi une distribution de fournitures et de cartable minimum dans toutes les provinces. Ceci pour alléger le fardeau de la scolarisation. C’est un effort que l’Etat fait avec le concours de ses partenaires...

Mais, un livre pour deux ne n’engendre-t-il pas de problèmes ?

Cela peut poser un problème, mais il vaut mieux avoir un livre pour deux que pas de livre du tout. Notre objectif est d’arriver à un livre par enfant. Nous allons y arriver.

Que ferez-vous des "dealers", dans cette opération ?

Partout où vous avez des possibilités de transaction, il y a toujours des gens qui essayent d’exploiter des failles. Nous n’allons pas, par exemple, vendre des livres à des particuliers. Les libraires qui sont reconnus peuvent prendre un certain nombre de livres. Nous avons délibérément limité les quantités à ce niveau...

Les prix de ces livres sont-ils fixes ?

Les prix sont fixes. Les ONG s’en procure, mais pour ce qui concerne les associations de parents d’élèves, il faut qu’elles soient visées par l’inspection ; parce que nous ne voulons pas qu’on vienne sortir des livres de nos magasins à un prix de 1100 ou 1250 F CFA pour créer une pénurie artificielle pour les revendre après par exemple à 3000 F. C’est pourquoi nous disons qu’en dehors des librairies c’est un domaine sensible et délicat.

Voulez-vous dire que dans cette opération il n’y a pas eu de cas de vol ?

Il n’y a pas eu de cas de vol. Je sais que vous voulez faire allusion à quelque chose. Il y a eu des tentatives de détournement de livres au niveau du magasin, mais cela a été circonscrit. C’est une situation sur laquelle la gendarmerie est présentement. Comme elle n’a pas fini son travail, je préfère ne pas aller plus en profondeur.

Comment se fait le contrôle de l’ouverture des écoles privées. Il y a un semblant de désordre à ce niveau. N’est-il pas indiqué que votre département publie la liste des écoles officiellement reconnues ?

Nous avons la liste des écoles officiellement reconnues. C’est vrai que régulièrement, chaque année, on devrait la ressortir. Peut-être que nous n’en faisons pas suffisamment. L’autorisation d’ouverture ne se donne pas au hasard. Il peut arriver que des écoles pirates s’ouvrent à l’insu des autorités en charge de l’éducation, mais nous travaillons à limiter la prolifération de ces genres d’établissements.

Quels objectifs visez-vous en instaurant la politique des cantines endogènes ?

La qualité de l’éducation dépend aussi de la qualité de l’apprenant. Un apprenant qui a faim ne peut pas bien travailler. Vous avez tous connu le Catwel avec le riz et le lait americains. Le jour où les Americains disent qu’ils ne vous donnent plus de riz ou du maïs, que faites-vous ? Il vaut mieux donc travailler pour que progressivement, les communautés mettent en place des mécanismes qui permettent de financer ces cantines. L’Etat dépense plus de 4 milliards de FCFA par an pour les cantines. Cela n’est pas toujours bien connu.

Avez-vous une politique de meilleure sécurisation des enceintes scolaires ?

Là, vous touchez un problème très sérieux. La sécurisation des enceintes scolaires est véritablement une préoccupation, surtout au niveau des agglomérations. Quand les gens traversent la cour des écoles à toute vitesse, ils peuvent renverser un enfant. Nous avons une politique pour la clôture de ces enceintes avec la contribution des parents d’élèves ; mais au delà de ça, je pense qu’il y a necessité que l’ensemble des partenaires du système éducatif comprennent que l’espace scolaire doit être réservé aux activités éducatives.

Je n’accepte pas que les gens viennent à l’école menacer un enseignant ou un enfant. Dans notre législation, nous disons qu’on ne doit pas porter la main sur l’enfant. Si l’instituteur se refuse de frapper l’enfant, je n’accepte pas que quelqu’un vienne d’ailleurs frapper un enfant dans une école ou porter la main pour sur un instituteur. Là-dessus, nous allons sévir, très sévèrement parce qu’il est essentiel que les enseignants jouissent d’une grande sécurité dans l’espace qui leur est réservé pour leurs activités. Là-dessus, nous n’allons pas badiner. Dans ce sens, nous avons le soutien de tous nos partenaires, des syndicats et des associations des parents d’élèves.

Parlons du PDDEB ! Etes-vous sur la voie du succès ou sur celle des regrets ?

Nous sommes sur la voie du succès, parce que nous progressons normalement. C’est là même où on a des trains qui sont arrivés même avant l’heure (rire...). Quand vous regardez le taux de succès au certificat, nous sommes à une moyenne nationale de 76%. Dans la sous-région, nous sommes parmi les meilleurs. Nous avons eu des retards en ce qui concerne la réalisation des 129 complexes. Cela a donné l’impression que le PDDEB piétine.

Actuellement, toutes les dispositions sont prises pour que les 129 premiers complexes puissent être réceptionnés avant le 30 novembre 2004. Nous avons le deuxième lot de 292 complexes dont la plupart des marchés ont été attribués. Les travaux ont même commencé. C’est dire que nous avançons. Le gouvernement a mis en place un comité inter-ministériel. Chacun des 5 ministres concernés pilote un aspect particulier qui peut géner la bonne marche du PDDEB. En plus d’être un grand programme, le PDDEB est en même temps une vaste réforme dans le secteur de l’éducation.

Est-il éreintant d’être ministre de l’enseignement de base ?

Absolument !

Est-ce à dire que le ministre de l’Enseignement de base que vous êtes n’a plus les reins solides ?

Je ne vous ai pas dit que je n’ai pas les reins solides. Je reconnais que c’est fatigant, pour répondre à votre question. C’est un ministère qui est compliqué. En terme de statistiques, nous avons déjà plus de 30 000 enseignants. Cela fait la moitié de l’effectif de la Fonction publique.

Ensuite, il faut reconnaître que c’est un ministère où il y a une concentration d’intellectuels. Ce sont donc des gens qui sont détenteurs du savoir, qui connaissent leurs droits et qui n’ont pas leur langue dans la bouche ni leur plume dans la poche.
Chaque jour, ce sont des défis à relever. Nous avons fort heureusement une bonne équipe, compétente, qui travaille à relever ces défis.

Ils nous revient que vous êtes un passionné de la musique traditionnel moaga et que vous n’écoutez que ces rythmes depuis votre voiture...

J’écoute effectivement la musique traditionnelle moaga, mais aussi d’autres rythmes comme la musique du balafon. Il y a aussi la musique du Gourma qui est un peu du classique. Lorsque vous voulez vous concentrer pour étudier, ces genres de musique n’interfèrent pas avec le travail mental que vous faites. J’apprécie aussi la musique classique occidentale.

Propos recueillis par Alexandre Le Grand ROUAMBA

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