Lorsque l’homme de tenue arriva dans le maquis, il titubait. Signe qu’il avait suffisamment avalé de godets d’où il venait. Il tira bruyamment une chaise, s’y laissa tomber et appela non moins bruyamment une serveuse au secours contre l’incendie qui lui ravageait le gosier. Lorsque celle-ci arriva, l’homme de tenue l’attrapa par le poignet et se mit à la caresser au lieu de passer sa commande.
La serveuse retira vivement son bras ; cela eut pour conséquence d’irriter l’homme qui se mit à la traiter de tous les noms d’oiseau mettant l’accent sur la laideur supposée de son visage et la prétendue difformité de ses membres, avant de conclure que son épouse à lui était dix fois plus belle qu’elle. Parole de soulârd.
La fille ne répondit pas. Elle alla lui chercher la bouteille de bière qu’au bout de ses invectives, il avait finalement commandé. Cette bouteille ne traîna pas. En moins de temps qu’il ne faut pour vous relater cette histoire, il la vida et en recommanda une autre. Cette autre bouteille arriva et fut tout autant rapidement vidée que la première. Les clients aux autres tables lorgnaient l’homme avec surprise, mais personne n’osait le moindre commentaire sur cette vertigineuse manière de boire. La surprise générale se transforma en stupeur lorsque l’homme de tenue commanda une troisième bouteille. La serveuse tout en s’exécutant affichait une mine inquiète.
Comme elle avait bien raison de s’en faire car si elle avait entendu ce que l’un des clients au comptoir disait au gérant à propos de l’homme de tenue, elle ne lui aurait jamais servi ces bouteilles de bière. Ce client-là était un faux type qui à tous les maquis où il passe fait semblant d’être saoul, boit sans payer et déclenche la bagarre chaque fois que l’addition lui est réclamée. L’avertissement du client venait trop tard. L’homme de tenue sirotait maintenant sa 3e bibine sous les regards inquiets de la serveuse qui ne le quittait plus des yeux.
Parlant et gesticulant tout seul, il prit tout son temps pour terminer cette bouteille. Lorsqu’il eut fini, il se pencha sur le côté, sortit son portefeuille, en retira un billet de 500 FCFA qu’il déposa sur la table à l’intention de la serveuse. Celle-ci prit le billet et attendait la suite car 500 FCFA ne suffisait pas à régler l’addition de trois bouteilles de bière ; une seule bouteille coûtant 425 FCFA dans ce maquis-là. La fille voulut le lui expliquer. L’homme de tenue tempêta qu’il avait déjà réglé la facture des deux premières bières et que les 500 FCFA étaient pour la dernière, donc qu’il attendait sa monnaie pour s’en aller. Pourtant, toutes les factures se trouvaient toujours sur sa table.
La serveuse les lui montra ; ce à quoi il répondit que c’était là la preuve qu’elle n’était qu’un escroc, un véritable malfrat qui le croyant ivre, tentait de lui soutirer des sous. Il indiqua que si elle ne revenait pas avec sa monnaie, il y aurait sur l’instant une serveuse de moins dans ce bar ; c’est dire qu’une mort violente planait dans les parages.
La serveuse blêmit. Sa vie était en danger. Elle détala au comptoir d’où elle revint avec le gérant qui voulut expliquer à l’homme de tenue qu’il n’avait pas payé. Mais à peine eut-il le temps d’ouvrir la bouche que l’homme de tenue le saisit vigoureusement au collet, le traitant de faux type qui aide les serveuses à voler les clients. Le gérant avait compris. Il lui remit la monnaie et battit en retraite.
C’est en ce moment qu’arriva le client du comptoir, qui regardant l’homme de tenue bien en face, lui dit à peu près ceci ! « Non frère, tu n’as pas payé le prix de tes consommations et j’en suis témoin. Il faut que tu règles ça avant de sortir sinon dehors, je vais te prouver que ta tenue ne te donne pas le droit de faire ce que tu veux dans les bars... » la menace confirmait l’air décidé du monsieur.
L’homme de tenue voulut s’expliquer, l’autre ne l’écouta pas. Il sortit se poster dehors. A l’intérieur, l’homme de tenue voulut prendre les autres clients à témoins mais personne ne l’écoutait. Il avait compris que le monsieur ne plaisantait pas. Il jeta un coup d’œil dehors par le fenêtre. Le monsieur, les manches maintenant retroussées, l’attendait toujours.
Alors, l’homme de tenue comprit qu’aujourd’hui il venait de rencontrer « garçon ». Il avait maintenant peur, pour ne pas dire qu’il « mouillait » sérieusement. On le vit plonger une main dans l’une des nombreuses poches de sa tenue d’où il en retira un billet de 1000 FCFA qu’il alla jeter sur le comptoir avant de demander à la serveuse d’aller prévenir le fou dehors qu’il avait bel et bien payé.
Venu dans ce maquis en conquérant, il s’en retournait humilié, cachant sa honte sous de vagues menaces que personne ne prenait au sérieux surtout pas l’autre monsieur, qui était lui-même un homme de tenue en civil.
Sacré Chédou OUEDRAOGO
Sidwaya
