Actualités :: Mendicité des Talibés : Combattre l’escroquerie de certains maîtres (...)

Dans notre édition du vendredi 27 janvier 2006, nous nous sommes étendu sur le phénomène de la mendicité des talibés ou « garibous » sous le titre « Les talibés, les esclaves des temps modernes ? ». Comme il est de coutume dans la rubrique « Constat », nous donnons la parole à des acteurs interpellés par le phénomène. En l’occurrence, un maître coranique, un imam et un responsable de l’Action sociale, afin qu’ils se prononcent sur le phénomène, donnent leur lecture et proposent des solutions pour éradiquer ce « fléau des temps modernes ». Le débat ne manque pas d’intérêt, religion oblige.

La mendicité des talibés inquiètent plus d’une personne au Burkina Faso. Pire, la religion musulmane a été instrumentalisée pour masquer la duplicité d’individus « escrocs et exploiteurs d’enfants » innocents avec la bénédiction de parents « irresponsables ». Ainsi, la mendicité des talibés est souvent justifiée par la misère et la pauvreté qui sévissent sous nos tropiques. Pour l’imam de l’Association des elèves et étudiants musulmans du Burkina (AEEMB), « la misère et la difficulté de joindre les deux bouts poussent des parents à jeter les enfants dans la rue.

Ces parents, même s’ils sont soucieux de l’éducation religieuse, n’ont pas toujours les moyens d’assurer la subsistance à leurs enfants ou le nécessaire utile pour payer le maître coranique chargé de leur instruction ». Quant au directeur régional de l’Action sociale du Centre, Raphaël Zongnaba, il voit dans la mendicité des talibés une forme d’irresponsabilité des parents. Le vieux Hamadou Boly, enseignant depuis plus de 40 ans des jeunes talibés dans la cité d’Hamdallaye, ne l’entend pas de cette oreille. Selon lui, la mendicité des talibés est une tradition religieuse qu’il faut perpétuer. Cette explication est battue en brèche par l’imam Tiendrébéogo. « Il est interdit en Islam à toute personne de mendier sauf si elle fait partie de trois situations de vie bien définies ».

On a d’abord les personnes victimes d’une catastrophe naturelle. Ensuite, celui qui est accablé, selon l’imam Tiendrébéogo, par les dettes et qui ne peut les honorer sans l’aide d’autrui. Et enfin, celui qui est condamné à payer le prix du sang. Le prix du sang constitue, selon les explications de l’imam Tiendrébéogo, le fait pour « celui qui par inadvertance tue son semblable et est obligé de payer des dommages et intérêts à la famille de la victime ». Du fait que ces dettes peuvent être élevées, l’on autorise le coupable à mendier pour honorer les dommages et intérêts. « En dehors de ces trois cas précités, clame l’imam Tiendrébéogo, aucun individu n’est autorisé à mendier selon le Coran ». Le maître coranique Hamadou Boly, sans remettre en cause la véracité des propos rapportés, dit ne pas avoir vu ce passage dans le Coran.

Des escrocs déguisés

En tout état de cause, l’imam Ismaël Tiendrébéobo reconnaît qu’il y a des escrocs qui se sont déguisés en maîtres coraniques, et poussent les enfants à mendier en faisant d’eux un fonds de commerce.

Le vieux Boly se défend de faire partie de ces maîtres coraniques qui demandent une contrepartie financière aux talibés. Cela n’empêche pas qu’il soit informé de cette forme d’agissement. Toutefois, selon l’imam Tiendrébéogo, la mendicité sans nécessité est condamnée. « Dans le Hadith intitulé « le Jardin des vertus » explique l’homme de Dieu, « le prophète Mahomet (PSL) affirme que ceux qui mendient sans nécessité viendront au jour de la résurrection avec un visage sans chair ».

Non avare en citation de Hadith il va plus loin en affirmant que « le Jardin des vertus » révèle que ceux qui prennent sans nécessité l’objet d’une mendicité sont semblables à des êtres humains qui tiennent de la braise ardente dans leurs mains. Pour lui, l’homme n’a jamais mangé nourriture plus agréable que celle issue du travail de ses mains. Or, pour Hamadou Boly, il est normal que les enfants mendient pour avoir leur pain quotidien. Du fait qu’il y a une centaine de talibés sous sa coupe, les nourrir devient un « casse-tête chinois ». Partant, procurer en général des conditions « a manima » de vie meilleure sur le plan du logement est difficile.

Et c’est là que l’Action sociale intervient pour procurer à ces enfants talibés de la nourriture, un lieu où se doucher quotidiennement, faire la lessive et souvent avoir des vêtements pour se vêtir. Le directeur régional de l’Action sociale de la région du Centre Raphaël Zongnaba cela témoigne des difficultés de ces enfants pour qui l’Action sociale, grâce à deux structures, leur vient en aide.

Ainsi, en dehors de la direction régionale, le service d’action éducative en milieu ouvert, offre un cadre aux enfants talibés ayant eu des problèmes avec leur maître coranique. Là, ils bénéficient selon M. Zongnaba d’un ou de deux repas par jour, de l’eau pour se laver ou faire la lessive. Lorsqu’ils souffrent de maladie ou ont des plaies, ils sont soignés, le temps de les ramener en famille. En outre, il y a le Centre Renaissance, situé au sein de la direction régionale qui travaille en collaboration avec le Samu social.

Le directeur régional de l’Action sociale a confié que les enfants talibés se retrouvent chaque jour à midi dans ce Centre pour manger, se doucher, faire la lessive et bénéficier des soins prestés par l’infirmerie pour ceux qui souffrent. Le phénomène des talibés n’a ni un fondement historique, ni islamique. A en croire l’imam Tiendrébéogo, des auteurs comme Cheick Hamidou Kane dans son « Aventure ambiguë » soutenait le fait que la mendicité avait une valeur éducative. En ce sens que la mendicité visait, selon l’imam, à montrer à l’enfant qu’il appartenait à un tout dont il dépend.

Aussi, il visait à écraser l’orgueil de l’enfant en l’humiliant afin qu’il se rabaisse et mendie, d’après la conception de Cheick Hamidou Kane. Enfin, cela avait pour but d’amener les enfants à vivre comme vivraient les scouts ; en d’autres termes, réduits à se contenter de l’essentiel et non du superflu. « Toute chose contribuant à forger la personnalité de l’enfant en termes d’endurance, d’épreuve à surmonter dans la vie » a expliqué l’imam. Cependant, l’histoire et l’islam ne se sont-ils pas confondus à un moment donné ? « Non » répond l’imam. Dans son explication, l’homme de Dieu bat en brèche les arguments avancés. Pour lui, il n’est pas sûr qu’à son âge, l’humiliation subie n’étouffe pas en l’enfant l’aspiration, l’ambition de la quête de l’autosuffisance et du salut qui doit animer tout être vivant.

Ainsi, reconnaît l’imam, pour les familles vivant déjà dans la misère, ce n’est pas la peine d’inciter un enfant à mendier en vue de se faire une expérience de la vie. Et, enseigner à l’enfant qu’il fait partie d’un tout n’a plus sa raison d’être pour l’imam Tiendrébéogo car « lorsque les enfants mendient, les donateurs leur offrent dans le but de se débarrasser d’eux que par souci de solidarité ».

Comble d’ironie, les talibés n’ont pas d’avenir sous la coupe des maîtres coraniques. L’enseignement reçu n’est pas sanctionné par un diplôme, encore moins il ne constitue pas un bagage intellectuel suffisant en Islam. Le vieux Boly reconnaît que l’instruction donnée aux talibés vise à apprendre à prier et à les doter de rudiment des pratiques de la religion musulmane. Pour le représentant de l’AEEMB, Ismaël Tiendrébéogo, « il y a des réalités nouvelles par rapport à l’instruction et au savoir dont il faut tenir compte et ne pas laisser les enfants entre les mains de personnes peu scrupuleuses dont la formation dispensée n’est pas à même de permettre une insertion future de l’enfant ».

Le hic est que souvent, selon les dires de l’imam Tiendrébéogo, au sortir de ces écoles coraniques, les enfants talibés n’ont pas le savoir islamique appréciable et en plus, n’ont pas le pouvoir de s’insérer dans la société. Reprenant son souffle, l’homme semble amer, « c’est vraiment du gâchis qu’autant d’enfants soient précipités dans une formation d’abord incomplète, ensuite imprécise et enfin qui ne leur permet pas d’être utiles à la société ».

Des solutions

Les acteurs conscients du problème ébauchent des solutions. Elles se rapportent à la sensibilisation de tous les acteurs. Ayant à plusieurs reprises mis la main sur des maîtres coraniques trafiquants d’enfants, M. Zongnaba prône des actions en aval et en amont. « Il faut sensibiliser les parents et les maîtres coraniques en utilisant des leaders d’opinion ». Pour l’AEEMB, il s’agit de rétablir l’exacte image de l’Islam à travers les prêches dans les mosquées et les médias. Aussi faut-il, vulgariser les textes de l’islam dans le but d’une meilleure compréhension de la religion et sa purification des enseignements étrangers.

Quant au vieux Boly, il s’inscrit seulement dans la sensibilisation des maîtres coraniques afin de ne pas faire mendier les enfants du matin au soir. L’imam Tiendrébéogo semble plus précis lorsqu’il cite le Coran « appliquez-vous à bien agir car Dieu aime ceux qui s’appliquent à bien faire ». Pour lui, il s’agit de faire en sorte que l’instruction reçue dans ces écoles coraniques servent aussi bien durant la vie d’ici-bas qu’au jour de la résurrection.

En clair pour l’imam Tiendrébéogo, l’enseignement ne doit pas être un enseignement amputé, incomplet, ou être l’occasion d’escroquer ou d’utiliser ces enfants innocents comme un fonds de commerce.

Daouda Emile OUEDRAOGO (Ouedro1@yahoo.fr)
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