Actualités :: Justice transitionnelle : « Il y a un travail à faire pour combler la (...)

« Il y a un travail à faire pour combler la distance entre les justiciables et l’appareil judiciaire ». C’est l’opinion du Pr Augustin Loada, professeur de droit public et de sciences politiques à l’université Thomas-Sankara. Constitutionnaliste, il a été ministre de la Fonction publique (novembre 2014 à décembre 2015) dans le gouvernement de la transition, après la chute du régime de Blaise Compaoré. Il a tenu ces propos ce vendredi 2 décembre 2022 à Ouagadougou, lors du colloque sur la justice transitionnelle, organisé par le Collège des sciences juridiques, politiques, économiques et de gestion.

À l’instar du Pr Augustin Loada, plusieurs autres acteurs sont intervenus, parmi lesquelles le Pr Léon Sampana, enseignant-cherchant à l’université Nazi-Boni de Bobo-Dioulasso, et le Dr Salif Tiendrébéogo, titulaire d’un doctorat unique en histoire.
« La justice burkinabè en contexte transitionnel : les fondements de la demande de justice transitionnelle ».

C’est le thème abordé par le Pr Augustin Loada, lors de sa communication. Dans son introduction, le Pr Loada est revenu sur la perception de la justice dans les pays africains d’expression française. Il affirme que les juristes de cette partie de l’Afrique ne perçoivent pas la justice comme étant seulement un pouvoir ou une autorité, mais aussi comme un service public, c’est-à-dire un ensemble organisé de ressources humaines, matérielles et financières mises en œuvre pour la satisfaction des besoins des administrés par l’exercice d’activités d’intérêt général.

« Entre un Conseil supérieur de la magistrature dominé par l’exécutif et celui dominé par les magistrats, il y a un équilibre à rechercher pour assurer une plus grande indépendance de la justice », Pr Augustin Loada.

Sous les régimes autoritaires antérieures, l’instrumentalisation de l’administration, y compris de la justice, était parfois assumée, revendiquée et justifiée, a indiqué Pr Loada. Avant de rappeler que la justice au Burkina Faso a connu une politisation ouverte sans précédent sous la révolution. « La nouvelle élite dirigeante entendait substituer à l’appareil judiciaire et au droit judiciaire néocoloniaux, des institutions révolutionnaires. Dans les tribunaux révolutionnaires, tous les juges n’étaient pas des magistrats professionnels, certains étaient simplement des militants des Comités de défense de la révolution », révèle Pr Augustin Loada.

« La réconciliation nationale intègre les dimensions intercommunautaire, étatique, individuelle et interpersonnelle. Et c’est dans ce cadre que s’inscrit la justice transitionnelle », Pr Léon Sampana.

« Les magistrats professionnels étaient jugés à l’époque de la révolution »

L’ancien ministre de la Fonction publique soutient que les magistrats professionnels étaient jugés à l’époque de la révolution, aussi bien par leur engagement militant que par leur performance dans l’exercice de leur fonction. Il renchérit qu’à la fin des années 80, les régimes autoritaires africains, bon gré, mal gré, étaient tenus de s’engager formellement dans des processus de construction d’État de droit. C’est ainsi qu’il y a eu de nouveaux arrangements institutionnels mis en place. « Le Burkina Faso, qui avait amorcé, sous la période révolutionnaire, une expérience audacieuse de justice populaire, va y mettre totalement fin. Reléguant ainsi aux oubliettes les tribunaux populaires de la révolution, les tribunaux populaires de conciliation… », a confié Pr Loada.

Le modèle judiciaire français refait alors surface, poursuit-il. Ce qui va contribuer à ce que Habibou Fofana appelle « la distance judiciaire », un élargissement du fossé qui séparait les justiciables de l’appareil judiciaire, explique-t-il. Alors que les révolutionnaires s’étaient évertués à réduire cette distance.

« La période révolutionnaire est caractérisée par de nombreuses atteintes aux droits et libertés des citoyens », Dr Salif Tiendrébéogo, titulaire d’un doctorat unique en histoire.

Selon le Pr Loada, c’est dans le contexte de la libéralisation économique que la justice va faire l’objet de réformes. Dans de nombreux pays comme le Burkina Faso, les modes alternatifs de règlement de litiges ont été promus, associant étroitement les commerçants et les opérateurs économiques à travers des centres d’arbitrage, de médiation, de conciliation ou des tribunaux de commerce, a-t-il souligné.
« Dans plusieurs pays effectivement, des réflexions sur la justice ont été conduites ; et certains parmi eux ont opéré des réformes en vue de satisfaire le besoin exprimé par les justiciables d’avoir un appareil fonctionnel. Cela n’a cependant pas facilité l’émergence d’une justice fonctionnelle et efficace », mentionne Pr Loada.

« Le gouvernement béninois n’a pas hésité à suspendre les décisions de justice le 10 octobre 2007, avant d’y renoncer après une longue grève de magistrats », illustre Pr Loada.

S’attaquer au nœud gordien

En effet, dit-il, dans certains pays comme le Burkina Faso, on peut dire que la justice est au cœur des troubles sociaux les plus graves et de l’instabilité politique que ce pays a connue. Un état de fait qui suscite chez le Pr Augustin Loada, les questions suivantes : « Comment expliquer qu’en dépit des multiplications des réformes dans les États modernes, la justice peine à assurer la résolution officielle et définitive des conflits entre sujets de droit ? Si on admet que la justice est bien un service public, comment expliquer ses entorses, voire la remise en cause de certains principes fondamentaux qui sous-tendent le fonctionnement des services publics ? ».

Pour y répondre, Pr Loada formule l’hypothèse selon laquelle les réformes de la justice échouent à renforcer la capacité de l’appareil judiciaire à remplir sa fonction, parce qu’ils ne parviennent pas à s’attaquer au nœud gordien. Ce qui n’est rien d’autre que la justice perçue comme un enjeu de pouvoir pour la coalition dominante. Cette coalition, ajoute-t-il, s’évertue à tenir la justice en laisse pour garantir les intérêts de ses membres. Toute chose qui engendre un affaiblissement des mécanismes de responsabilités ou de redevabilité des acteurs de la justice.

« Au Burkina Faso, l’expérience a montré que les gouvernements formellement démocratiques n’hésitent pas à contourner les décisions de justice lorsqu’elles desservent leurs intérêts politiques », remarquer Pr Loada

De l’analyse du Pr Loada, cette situation tend à devenir problématique, en raison de la mobilisation de certains agents et de certains usagers qui somment le service de la justice de rendre des comptes sur ses contre-performances. « D’où les changements de type incrémental auxquels on assiste dans certains pays. Ainsi, plus de vingt ans après les réquisitions du Pr Jean du Bois de Gaudusson, dans la revue Afrique francophone, Afrique contemporaine, le service public de la justice dans les États d’Afrique francophone est toujours politiquement en laisse. Mais a amorcé un processus de mutation pour le moment inachevé », a-t-il cité.

C’est dire donc, à entendre Pr Loada, que le service public de la justice est toujours en laisse, si on en juge par les arrangements institutionnels formels et les arrangements institutionnels informels qui la relient encore à la coalition dominante. Il y a un travail à faire pour combler la distance entre les justiciables et l’appareil judiciaire. C’est ce qu’a relevé l’expert en droit public.
L’objectif du colloque sur la justice transitionnelle vise à jeter un regard scientifique et critique sur les récentes expériences d
e justice transitionnelle en Afrique, dans une perspective pluridisciplinaire.

Hamed NANEMA
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