Actualités :: Paix et cohésion sociale : « La crise à laquelle le Burkina Faso fait face est (...)

« La France n’a jamais voulu d’un Burkina fiable et viable ». C’est l’analyse faite par le Pr Albert Ouédraogo, professeur titulaire de littérature orale et ancien ministre des enseignements secondaire et supérieur. C’était le samedi 26 novembre 2022 à Ouagadougou, lors de la conférence sur la paix et la cohésion sociale. Elle est organisée par le Collège sciences humaines, lettres, arts et culture. Ce, dans le but de mener la réflexion sur les enjeux et perspectives dans un Burkina Faso éprouvé par la crise sécuritaire.

« C’est la lutte des Voltaïques, contre vents et marées, qui a fait que ce pays-là existe. Ce n’est pas un cadeau qu’on nous a fait, mais plutôt la conséquence des luttes de nos ancêtres », confie Pr Albert Ouédraogo qui donnait sa lecture de la crise sécuritaire au Burkina Faso. Il est donc évident pour lui que ceux qui ont voulu faire du Burkina Faso « une pierre », ne soient pas des amis du pays et ne le seront jamais de façon éternelle. Car dit-il, chaque fois qu’une possibilité leur sera donnée de revenir sur leurs anciens objectifs, ils le feront. « Ce qui oblige les Burkinabè à être vigilants comme des CDR », avertit Pr Ouédraogo.

Des participants à la conférence sur la paix et la cohésion sociale initiée par l’ANSALBF

Le passé du Burkina Faso n’a pas toujours été « un passé de paix ». Nous sommes passés par des crises multiformes. Mais ce que l’on constate, c’est qu’à l’intérieur de cet espace, les communautés ont su créer les conditions d’un vivre ensemble, a-t-il rappelé. Ce, malgré les diversités linguistiques, culturelles, coutumières. « Malgré nos diversités, nous avons su construire entre les communautés et à l’intérieur des communautés, une paix des braves qui permet de coopérer et d’échanger du nord au sud, de l’est à l’ouest », a souligné Pr Ouédraogo.

C’est ce qui montre que la plupart des Voltaïques étaient multilingues, explique-t-il. Même dans leur ADN, les Africains sont partis pour être multilingues, renchérit Pr Ouédraogo. « Il est rare de voir un Burkinabè qui ne parle et ne comprend qu’une seule langue ». Car ceux qui parlent plusieurs langues sont légions poursuit-il. Toute chose qui constitue des passerelles entre les peuples et les individus. Et les spécialistes en la matière sont les Peulhs, a-t-il affirmé.

« Si tout le pays s’embrase, il n’y aura pas de pays pour accueillir les Burkinabè », Pr Albert Ouédraogo

« Alors qu’il est difficile pour les autres de parler le fulfuldé, les Peulhs, pour la plupart, parlent quasiment toutes les langues du Burkina Faso », précise Pr Ouédraogo.

« Tropicaliser nos pratiques et valeurs »

Le Pr Ouédraogo se souvient encore quand il était au ministère des Enseignements secondaire et supérieur avoir fait des dons (corans, tablettes, nattes...) aux responsables de médersas. Ces derniers lui ont fait savoir qu’ils étaient considérés comme les ignorés de la République et que le Burkina Faso n’appartenait pas qu’aux lettrés francophones. « Alors que nous avons regardé des années durant, la construction des mosquées, des médersas, l’envoi de nos élèves par milliers dans les écoles de l’Arabie Saoudite, de la Syrie, de la Libye, sans que quelqu’un n’ose lever le petit doigt », a déploré Pr Albert Ouédraogo.

« Le droit lorsqu’il est inadapté, peut contribuer à l’instabilité sociale », Pr Dominique Kabré, juriste et enseignant à l’université Thomas Sankara

Il mentionne que ces élèves de retour au Burkina Faso, en possession de leurs parchemins, n’ont jamais eu la chance de participer à un concours organisé en langue arabe. « Et on voudrait qu’ils se considèrent comme des Burkinabè à part entière. Non ! Ils se considèrent comme des Burkinabè entièrement à part », fait-il remarquer. Culture exogène pour culture exogène, il n’y a pas de raison pour ces derniers, que la culture francophone et française prime sur la culture arabe, surtout qu’elle est plus ancienne, déclare Pr Ouédraogo. « Donc la conviction est faite pour une bonne partie de nos compatriotes, que la société que nous construisons n’est pas une société authentique ».

De tout ce qui précède, Pr Albert Ouédraogo estime qu’il faut « tropicaliser nos pratiques et valeurs ». La crise à laquelle le Burkina Faso fait face est selon lui, une opportunité pour se ressaisir et repenser de fond en comble la société. Et cela ne pourra seulement se faire qu’en faisant disparaître l’exclusion, le népotisme, le favoritisme.

« La première fois que je me suis rendu à Djibo, il y a plus d’une quinzaine d’années de cela. Ce qui m’a frappé, c’est que tous ceux qui y sont nés et n’ont jamais quitté le territoire, ne savent même pas ce que c’est que le goudron. Aucune voie bitumée ne mène là-bas et aucun bitume ne traverse la ville. Et vous voulez que ces hommes et ces femmes se considèrent comme partie intégrante de ce pays ? », questionne le Pr Ouédraogo, avant d’affirmer qu’il est dit que dans certains cercles francophones, le Mali et le Burkina Faso sont perdus. « Tant mieux si nous sommes perdus pour la France, l’essentiel, c’est que nous ne soyons pas perdus pour nous-mêmes », raisonne-t-il.

« Les officiers de l’armée ne sont pas là pour se faire des millions et des milliards »

Avançant dans son analyse de la situation, Pr Ouédraogo fait un focus sur la responsabilité de l’armée. « Voici une institution censée aider à faire la guerre en temps de guerre. Maintenant que la guerre arrive, on la cherche et on ne la trouve pas. Ceux qui meurent le plus au front aujourd’hui sont les militaires, les VDP. Pendant combien de temps avons-nous tergiversé pour que les premières autorités prononcent la phrase : “ Le Burkina est en guerre ” ? Comme si cela était interdit », regrette-t-il.

Du point de vue du Pr Ouédraogo, c’est au moment où les militaires devraient faire leur travail qu’on appelle les populations à venir s’inscrire en masse. Pour quelles raisons étaient-ils donc rémunérés ?, s’interroge-t-il.

Voici autant de questions auxquelles les Burkinabè doivent également faire face et parler sans langue de bois afin que chacun assume ses responsabilités, interpelle Pr Ouédraogo. « Les officiers de l’armée ne sont pas là pour se faire des millions et des milliards. Ils ne sont pas là pour taper simplement les civils. Et si ce pays a été dirigé pendant près de 30 ans par l’armée et qu’il va très mal, l’armée a plus de 75% de responsabilités dans ce qui nous arrive », confie-t-il.

« Il faut commencer à ouvrir un véritable dialogue avec les soi-disant terroristes, qu’est-ce qu’ils veulent et ce qu’on peut faire ensemble pour repartir sur de bons pieds », Pr Albert Ouédraogo

« Si le président Traoré n’a pas le rapport d’Inata, il n’a donc pas celui de Gaskindé »

Puis il s’interroge sur certains dossiers brûlants à l’instar de celui d’Inata. « La dernière fois, on a eu l’occasion de poser la question au président Ibrahim Traoré. Cela faisait déjà un mois qu’il était aux affaires, il nous dit qu’il n’a pas le rapport d’Inata », s’est indigné Pr Ouédraogo. Avant de tirer cette conclusion : si le président Traoré n’a pas le rapport d’Inata, il n’a donc pas celui de Gaskindé.

« Lorsqu’il y a eu la frappe sur Gaskindé, ils ont été les premiers à dire qu’il y a eu trahison. Mais la trahison dont ils parlent est en leur sein. Qui a trahi qui ? On n’en parle pas. Et jusqu’aujourd’hui on pense que cette armée-là peut nous aider à sortir de l’ornière s’il n’y a pas un traitement de choc à l’intérieur », signale-t-il.

Pr Albert Ouédraogo recommande pour une bonne gouvernance qui soit de proximité et qui résiste aux crises, une re-consultation des traditions. « Les émirats, les royaumes... ont existé. Nos villages n’étaient pas des endroits d’anarchie, il y avait de l’ordre, de la morale, des textes et des lois et la coutume. Pourquoi ne pouvons-nous pas nous en inspirer pour refonder notre État ? ».

Aussi, Pr Ouédraogo croit qu’il faut recréer les conditions d’une solidarité interne et externe et terroriser les corrupteurs et les corrompus. Sans cette démarche, la société burkinabè n’a aucun avenir. À ce titre, Pr Ouédraogo dit attendre de voir ce que le président Traoré fera des émissaires qui ont demandé une surfacturation aux commerçants pour empocher les sous. Car les marchands n’ont jamais augmenté les prix des denrées.

Cette conférence est l’initiative de l’Académie nationale des sciences des arts et des lettres du Burkina Faso (ANSALBF). Elle se veut être une force de proposition et d’orientation pour les dirigeants dans les prises de décisions.

Lire aussi Paix et cohésion sociale au Burkina : « Tout est possible si vous êtes prêts à payer le prix », pense Pr Basile Guissou

Hamed NANEMA
Lefaso.net

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