Actualités :: Journée mondiale de l’enseignant : « On ne peut pas transformer le système (...)

Chaque 5 octobre et ce depuis 1984, au Burkina Faso comme partout ailleurs, est célébrée la journée mondiale de l’enseignant. Cette année, la commémoration de cette journée est placée sous le thème « la transformation de l’éducation commence avec les enseignants ». Dans un contexte où l’activité éducative est mise à mal par l’hydre terroriste, la vie chère et un contexte socio-politique qui laisse à désirer, Lefaso.net a tendu son micro à Souleymane Badiel, secrétaire général de la Fédération des syndicats nationaux des travailleurs de l’éducation et de la recherche (F-SYNTER) qui nous dit l’idée qu’il se fait de la commémoration de cette journée.

Lefaso.net : Quelle est la contribution des enseignants dans l’éducation des enfants au vu du thème qui impose que l’enseignant soit le premier intervenant pour une éducation beaucoup plus réussie ?

Souleymane Badiel : La contribution des enseignants est énorme. Ce sont eux qui sont censés donner les connaissances à l’apprenant, de sorte à ce qu’il puisse être préparé intellectuellement pour une insertion professionnelle plus tard. L’enseignant est au cœur du développement de la qualité du système éducatif et de la bonne formation des apprenants. Pour ce qui est du thème, il en dit long sur la place de l’éducation dans le devenir de tout pays. Je tiens tout de même à souhaiter une bonne fête à l’ensemble de la communauté éducative de notre pays, même si l’esprit n’est pas à la fête.

L’esprit n’est pas à la fête parce que ce 5 octobre intervient dans un contexte particulier et extrêmement difficile pour notre pays et pour son système éducatif. Ce contexte est marqué par quatre phénomènes.

D’abord il y a le développement des groupes armés terroristes qui ont mis notre pays dans une situation de guerre. Le deuxième élément est l’aggravation de la vie chère. Le troisième est la remise en cause des libertés et des acquisitions. A ces trois éléments s’est ajouté le coup d’Etat du 30 septembre qui en fait le deuxième en huit mois. Tous ces éléments conjugués font que la rentrée scolaire est difficile.

En quoi ces phénomènes que vous énumérez comme contraintes pèsent-ils sur le système éducatif ?

Il faut dire que l’insécurité a créé une situation dans le système éducatif où les enseignants et des élèves ont perdu la vie. En fin mai, le gouvernement avait établi le nombre d’établissements fermés à 4 258. Il faut y ajouter le centre universitaire de Dori. A cette rentrée, le nombre d’écoles fermées est au-dessus de celui qu’on avait l’année dernière. Plus de 700 000 élèves sont hors des classes. Cela veut dire que les élèves qui étaient dans ces établissements et leurs petits frères qui ont aujourd’hui l’âge d’aller à l’école n’ont eux aussi pas la possibilité d’y accéder.

La vie chère se manifeste dans le secteur éducatif par l’augmentation des frais de scolarité, l’augmentation du prix des hydrocarbures. Tout cela fait que la situation est difficile pour les parents. Nous avons noté que le gouvernement du MPSR qui était là n’a pas travaillé à mettre fin à un certain nombre de réformes qui impactaient déjà négativement le système éducatif. C’est par exemple l’opérationnalisation de la gratuité qui est intervenue en 2020.

Il y a aussi la fermeture des établissements comme le lycée Philippe Zinda Kaboré. On n’oublie pas le retard dans la mise en œuvre des engagements pris avec les organisations syndicales, l’annonce d’un certain nombre de réformes dans l’enseignement supérieur et la recherche qui a créé une levée de boucliers à ce niveau. Le coup d’Etat a mis le pays dans une situation d’absence de gouvernement. C’est comme une parenthèse avec des incertitudes. Tous ces aspects font que cette journée est commémorée avec toutes ces contraintes qui vont impacter à la fois la qualité et l’accès du système éducatif.

Quels sont les attentes des enseignants vis-à-vis des élèves, des parents d’élèves et des dirigeants ?

Je voudrais rappeler aux élèves que leur rôle c’est d’apprendre. Leurs conditions ne sont pas toujours bonnes, certes, mais je pense qu’ils doivent apprendre et s’organiser pour peser sur l’amélioration de leurs conditions d’études. Les parents eux se doivent de jouer leurs devoirs. Ils doivent être à côté de la communauté éducative pour appuyer là où il le faut, afin que le suivi de leur enfant soit agréable. Cela parce qu’il peut y avoir un décalage entre ce qui se passe à la maison avec les parents et ce qui se passe à l’école avec les enseignants. Dans ces conditions, il n’y a pas toujours de bons résultats in fine. Lorsque la communauté éducative émet des préoccupations, je les invite à être à côté afin de contribuer dans la mesure du possible à apporter leurs contributions, car il y va du devenir de leurs enfants.

Les autorités quant à elles doivent comprendre que le développement réel de notre pays passe par une éducation performante qui permet de donner à tous les citoyens les connaissances et les compétences nécessaires à la création des richesses et au développement de la nation. L’Etat a un rôle régalien à jouer en termes d’éducation et notre première interpellation est qu’il l’assume pleinement. Cela passe par la dotation du système éducatif de moyens indispensables et nécessaires à son fonctionnement. Si on ne va pas vers là, on va juste ergoter. On n’avancera pas. Il ne faut pas oublier que nous sommes un pays pauvre. La privatisation accentuée à laquelle nous assistons aujourd’hui ne permet pas que notre système éducatif prenne en charge l’ensemble de ses enfants afin de leur permettre de contribuer à ce développement. C’est l’élément de départ.

Il y a les phénomènes récents tels que l’insécurité, la vie chère et les réformes opérées dont on voit les résultats négatifs sur le système éducatif. Tous ces aspects doivent être examinés pour en tirer les leçons, les arrêter, de sorte à ce que le système éducatif soit performant. Mais en attendant qu’on y arrive, nous pensons que le plus urgent est de créer les conditions pour que les enfants déplacés internes puissent accéder à l’école. Vous vous imaginez que pour cette année, dans toute la région de l’Est, plus précisément dans trois provinces, les résultats de l’entrée en sixième et en seconde n’ont pas été proclamés. Ce qui veut dire que l’Etat lui-même admet qu’il est incapable d’ouvrir les écoles dans ces trois provinces. C’est terrible !

La solution est qu’on a ouvert un guichet à Fada pour dire à ceux qui sont déplacés de s’y inscrire. Ça c’est une solution pour ceux qui pouvait y aller. Mais c’est même loin d’être une solution drastique, parce qu’on n’a créé ni les conditions en termes d’infrastructures, ni déployé le personnel nécessaire pour accueillir ce monde. Cela va engendrer le non-respect des normes. Si les normes ne sont pas respectées, la qualité prend un coup. Il est urgent de régler cette question. Sinon, elle continuera de mettre des enfants hors du système éducatif. Au final, le risque sera grand qu’on les retrouve sur les routes, dans d’autres situations, avec la possibilité pour les groupes armées de les recruter facilement. La solution durable à cette question d’insécurité passe par l’éducation et l’urgence que tous les enfants soient à l’école est plus qu’un impératif.

Je terminerai en disant que l’enseignant ne peut pas jouer son rôle s’il n’est pas formé suffisamment. Il ne peut pas le faire s’il n’a pas une bonne rémunération. Il ne peut pas le faire s’il n’a pas le matériel pédagogique conséquent pour faire son travail. Il ne peut pas le faire s’il n’a pas de formation continue pour mettre à jour ses connaissances et s’améliorer. Il faut donc qu’il soit mis dans de bonnes conditions de vie et de travail pour lui permettre de jouer efficacement son rôle. Le thème de cette année est évocateur. Les enseignants sont la cheville ouvrière de ce système éducatif. On ne peut pas transformer le système éducatif sans prendre en compte leurs préoccupations.

Quel message avez-vous à lancer à tous ceux qui voudraient embrasser le métier d’enseignant ?

Il faut dire que nous œuvrons au quotidien pour que nos petits frères et nos enfants puissent dire un jour : "moi aussi je veux devenir enseignant". C’est pourquoi nous agissons sur un certain nombre de paramètres que sont le protocole signé avec le gouvernement et le statut des enseignants. Même si cela ne résout pour l’instant pas l’ensemble des problèmes dans le système, cela sert de base pour améliorer les prochaines fois. Voilà pourquoi nous insistons à dire que l’opinion doit comprendre et accompagner les enseignants pour que les engagements pris avec le gouvernement soient mis en œuvre. C’est cela qui permettra d’améliorer le système et de le rendre attrayant pour ceux qui voudrait embrasser le métier.

Nous avons relevé le niveau d’accès et réduit les écarts d’évolution de carrière dans certaines catégories. Ce n’est pas suffisant, mais c’est un pas. Il faut lutter pour que comme en Allemagne, personne ne veuille quitter l’enseignement pour un autre corps. Là-bas, c’est le métier le mieux rémunéré. Nous ne demandons pas à être payés comme les enseignants allemands. Non. Mais si on met les enseignants et ceux qui les appuient dans les conditions les meilleures, vous pouvez être à l’aise pour leur demander des résultats convenables. Aujourd’hui, lorsque dans la société ces élèves devenus des cadres reviennent vers l’enseignant pour lui témoigner leur reconnaissance, je pense que c’est aussi ça la chose la plus noble dans notre métier. Je ne ramène pas l’amélioration de notre fonction à des questions uniquement matérielles. Il y a d’autres leviers qui nous permettent d’être satisfaits, d’être heureux en tant qu’enseignants, et même si le métier ne nourrit pas son homme, c’est un métier noble.

Propos recueillis par Erwan Compaoré
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