Actualités :: Droits des femmes au Burkina : « Thomas Sankara, à travers ses paroles et ses (...)

Le 4 aout 1984, le Conseil national de la révolution (CNR) avec à sa tête Thomas Sankara rebaptisait la Haute-Volta en Burkina Faso (pays des hommes intègres). Le père de la révolution burkinabè avait un idéal pour son pays, celui de l’affranchir de son passé colonial. Il était également connu pour son combat pour le droit des femmes. Poussi Sawadogo, expert en genre et développement a soutenu son mémoire de maîtrise à l’université de Ouagadougou au département Art et Communication avec comme thème « Thomas Sankara et la condition féminine : Une vision révolutionnaire ? » en 1999. Dans cet entretien, il revient sur l’idéologie « féministe » de l’homme.

Lefaso.net : Pourquoi avez-vous étudié une thématique en rapport avec Thomas Sankara et les droits des femmes ?

Poussi Sawadogo : Je venais de terminer mes études en histoire, au niveau de la maîtrise. Après avoir fait le département d’histoire, j’ai postulé pour le test au département Art et Communication. Quand j’y suis allé, je me suis demandé quel lien thématique établir entre l’histoire et la communication, notamment le journalisme. En discutant avec madame Huguette Krief qui était en mission d’enseignement pour une année académique, une française, elle m’a proposé de travailler sur le discours sankariste en rapport avec les groupes défavorisés.

Au départ, c’était les paysans et les femmes, parce qu’elle était spécialiste de la révolution française. Elle souhaitait qu’un étudiant s’intéresse à la révolution burkinabè. J’ai donc décidé de travailler sur la paysannerie et les femmes dans le discours de Thomas Sankara. En entamant les recherches, j’ai constaté que la prise en charge de la paysannerie et des femmes allait être difficile en terme de recherche. Je me suis donc focalisé sur le discours sankariste autour de la condition féminine. Je me suis attelé à développer ce thème sous la direction de madame Huguette Krief.

Selon vous, peut-on considérer Thomas Sankara comme un féministe ?

Oui, c’est la conclusion de l’étude, je parle en tenant compte de ce que j’ai pu rédiger. Je vais lire la dernière phrase du mémoire. « La prise de position courageuse et sincère de Sankara est sans précédent dans l’histoire du Burkina Faso et dans celle des idées politiques ». Thomas Sankara, à travers ses paroles et ses actes révèle une pensée révolutionnaire et authentiquement féministe. Rarement dans l’histoire des révolutions, la pratique est allée de pair avec la théorie en ce qui concerne la libération des femmes. La réponse est dans la conclusion du travail, le discours sankariste était un discours féministe.

Quelles sont les actions fortes qu’il a menées pour plus de droits des femmes au Burkina ?

On peut les mettre en parallèle avec la quête pour les principes du genre. D’abord, dans le discours, il y avait un travail pour le renforcement et la promotion du pouvoir politique des femmes. Dans le premier gouvernement de Thomas Sankara, on a constaté au moins 13 % de femmes. Dans le dernier gouvernement qui comptait 25 ministres, il y avait au total 5 femmes.

A l’époque, cela était une action révolutionnaire parce que le Burkina Faso, tout comme les autres pays africains n’avaient pas ce pourcentage en terme de représentativité de femmes dans les gouvernements. En plus du niveau politique, il y a eu l’autonomisation économique. Thomas Sankara autour du produisons et consommons burkinabè considérait les femmes comme les actrices principales de ce slogan. C’était aux femmes à travers des coopératives, des groupements d’intérêt économique de développer des initiatives et de travailler dans ce sens.

Le dernier point sur lequel on peut regarder le discours et les actes de Sankara c’est au niveau de l’éducation, de la santé, la lutte contre l’excision, la lutte contre toutes les discriminations à l’égard des femmes. Ce sont ces trois actes qui constituent aussi les quêtes du genre en tant que concept, analyse, et théorie. On peut dire que Sankara mettait déjà en œuvre le genre avant même qu’il ne devienne une religion prêchée par tout le monde.

Comment les hommes de l’époque considéraient cette manière de raisonner ?

Les hommes de l’époque étaient sériés en deux parties. Il y avait ceux qui étaient considérés comme révolutionnaires et ceux considérés comme les ennemis de la révolution, les réactionnaires. Les révolutionnaires adhéraient à la pensée de Sankara et accompagnaient donc la dynamique. Mais les réactionnaires qui étaient globalement attachés aux réalités sociales, culturelles et du contexte développaient une certaine résistance par rapport à cette volonté de travailler à l’émancipation des femmes.

Aujourd’hui pouvons-nous dire que ses actions ont contribué à la lutte pour l’émancipation des femmes au Burkina ?

Oui, on peut le dire parce que ce qu’il a laissé comme héritage se retrouve dans la définition du genre au Burkina Faso. La politique nationale genre dit ceci : Le genre doit être analysé sous l’angle des inégalités et des disparités entre les hommes et les femmes, en examinant les différentes catégories sociales dans le but d’une plus grande justice sociale et d’un développement équitable. Cela n’est pas différent du discours de Thomas Sankara le 8 mars 1987 parce qu’il disait que l’émancipation des femmes n’était pas contre l’homme. C’était pour permettre à l’homme et à la femme de participer à l’action révolutionnaire et au développement du Burkina. Aujourd’hui, avec cette définition de la politique nationale genre du Burkina Faso, je pense que c’est un héritage de cette révolution.

D’ailleurs, ce n’est pas pour rien qu’on dit que c’est la définition nationale consensuelle, ce qui veut dire que c’est certainement avec la participation de toutes les composantes de la nation. Parmi ces composantes, il y a des personnes qui pensent comme Sankara et qui se considèrent comme ses héritiers. Les efforts que le ministère en charge du genre et toutes les organisations autour, à savoir celles féminines ou non gouvernementales travaillent donc à réaliser cette pensée féministe. C’est une pensée qui dépasse le féminisme et qui est une pensée de genre.

Pourquoi, il est plus évoqué sa lutte pour l’émancipation des peuples africains que celle des droits des femmes ?

C’est l’avantage d’avoir un document comme le mien qui a travaillé exclusivement sur la contribution de Sankara et l’émancipation des femmes. Chacun parle de ce qu’il connaît. Les gens tiennent un discours qui est vendable. Aujourd’hui, quand on dit qu’on est panafricaniste, on mobilise facilement. Ce n’est pas parce qu’il n’a pas défendu la cause de la femme, au contraire, il l’a défendu.

Je vais prendre quelques exemples : « Camarades, il n’y a de révolution sociale véritable que lorsque la femme est libérée. Que jamais mes yeux ne voient une société, que jamais mes pas ne me transportent dans une société où la moitié du peuple est maintenue dans le silence. J’entends le vacarme de ce silence dans des femmes, je pressens le grondement de leur bourrasque, je sens la furie de leur révolte. J’entends et espère l’irruption féconde et de la révolution, elles traduiront la force et rigoureuse justesse sorties de leurs entrailles d’opprimées ».

C’est très éloquent et expressif, cela montre que parmi les révolutionnaires, les femmes étaient les partenaires privilégiées de Thomas Sankara. Je prends à témoin Marlène Zebango, une femme politique, ancienne ministre de la justice qui dit ceci : « La lutte des femmes burkinabè pour leurs droits remonte à Thomas Sankara. Il nous a donné confiance en nous, car, il nous encensait et a été le premier à nous confier des postes de responsabilités » fin de citation. Je pense que c’est par ignorance ou par intérêt que certains taisent cet aspect. J’ai analysé environ une dizaine de discours, celui du 8 mars 1987 était exclusivement consacré aux femmes. Les femmes étaient au cœur de la révolution sankariste et au cœur de l’idéologie féministe de Thomas Sankara.

Un sankariste doit-il obligatoirement se revendiquer partisan du féminisme ?

Je pense que nous avons construit le terme sankarisme après Sankara. Il ne revendiquait pas ce terme et personnellement, je ne me sens pas sankariste. Quand on parle de ces concepts, je ne me sens pas concerné. Je ne peux donc pas dire ce qu’un sankariste doit incarner. Mais je dirais que toute personne qui pense à la révolution de Thomas Sankara doit obligatoirement regarder la contribution de cette révolution à l’émancipation des femmes.

Nul n’est parfait, l’homme avait-il aussi des agissements contre les femmes ?

Je ne le pense pas. Je n’étais pas à ses côtés pour voir ses agissements. Mais ce que je peux dire c’est qu’il faut comprendre que son engagement pour la femme était très sincère. Il croyait réellement qu’en agissant de la sorte, il allait participer à changer le monde, le Burkina Faso et la condition des femmes. C’était pour lui une vocation et il y croyait. Dans ses propos, dans ses agissements il pouvait paraître excessif, mais il croyait vraiment à son rêve.

Selon vous, pourquoi a-t-il fait des droits des femmes son cheval de bataille ?

Peut-on développer un pays sans la majorité de la population ? Les femmes constituent 52 % de la population. Comment développer un pays où 52 % de la population ne participe pas à la prise de décision, à la production économique du pays ? A l’époque où Thomas Sankara faisait son discours, 90 % des femmes étaient analphabètes. Si les femmes n’arrivent pas à aller à l’université, à étudier dans les sciences sociales et exactes, comment on peut développer un pays ? Les femmes sont au cœur de l’épanouissement de familles, du développement de la société. Si on s’inscrit dans une logique de genre, on ne peut pas mettre les femmes de côté.

Plus de trois décennies après, la femme burkinabè a-t-elle la place dont rêvait le père de la révolution ?

Il rêvait de voir des femmes à la tête des ministères. Aujourd’hui dans le ministère où je suis, celui des Affaires étrangères, c’est une femme qui le dirige. Il rêvait de les voir dans les universités. Aujourd’hui on a des femmes professeurs titulaires en économie, en médecine, etc. Je pense que oui, il faut savoir que la question de la condition féminine rentre dans le domaine des mentalités. Les mentalités progressent lentement. On peut ne pas être satisfait du niveau atteint, mais on peut dire que les choses évoluent positivement.

Aujourd’hui, au Burkina il y a des masters et des certificats sur le genre qui permettent aux hommes et aux femmes de comprendre la nécessité de faire de telle sorte que personne ne soit mis en marge de la vie nationale. Cela est même un hymne national qui fait que partout dans le monde, on chante et danse genre. On essaie de progresser en tenant compte de la nécessité d’équité et d’égalité entre les hommes et les femmes.

Votre dernier mot...

En tant qu’enseignant, je vois passer de nombreuses étudiantes qui sont ambitieuses, volontaristes. En tant que parent, j’ai ma fille qui me montre qu’elle peut aller loin. Mon message c’est de dire aux jeunes filles qui ont l’âge de ma fille que je les encourage à aller plus loin, à prendre leur destin en main parce que tout commence par la confiance en soi. Le leadership n’a pas de sexe, de temps en temps on dit leadership féminin. Le leadership c’est seulement une influence qu’une personne exerce sur d’autres personnes pour atteindre des objectifs. Chaque personne est capable d’être leader, il faut que les femmes prennent conscience qu’elles peuvent et doivent le faire pour une meilleure société. Les femmes ont trouvé leur chemin, persévérez, continuez et on aura ce qu’on recherche : la paix et le développement.

Samirah Bationo
Lefaso.net

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