Actualités :: Dr T. Julien Savadogo : « Si le système sanitaire du Burkina n’évolue pas vers (...)

Il n’est pas rare de voir sous nos tropiques des malades atteints d’insuffisance rénale rendre l’âme tout simplement parce qu’ils n’ont pas bénéficié d’une greffe pour suppléer leurs reins défaillants. C’est pareil pour le cœur, le foie et d’autres organes dont les insuffisances, à un stade terminal, ne peuvent être efficacement traitées que par une transplantation d’organes. Cette offre qualitative de soins répondrait à une forte demande au Burkina Faso si seulement notre pays accédait à ce progrès scientifique. Dans cette interview qu’il nous a accordée, Dr T. Julien Savadogo, chirurgien au CHU Yalgado Ouédraogo et enseignant chercheur à l’Unité de formation et de recherche en sciences de la santé (UFR/SDS) de l’université Joseph Ki-Zerbo, nous explique l’urgence du don d’organes au Burkina Faso et interpelle les autorités à une prise de conscience rapide pour sauver des vies.

Lefaso.net : Quand on parle de don de matériel biologique, à quoi fait-on référence ?

Dr T. Julien Savadogo : Le don de matériel biologique, c’est tout ce qui a trait à une donation de tout ce qui est composant d’un organisme humain, qu’il soit vivant ou qu’il soit mort. Le matériel biologique peut être constitué de corps, d’organes, de placentas, de tissus et/ou de cellules souches ; ces cellules souches pouvant être hématopoïétiques ou sexuelles.

Est-ce que le don de matériel biologique est une réalité au Burkina Faso ?

Le don de matériel biologique n’est pas encore une réalité au Burkina Faso. Quant à celui de corps, il y a eu une ordonnance qui a été signée par le capitaine Thomas Sankara, président du Faso à l’époque de sa signature. C’est lui-même qui a signé cette ordonnance et c’était en 1984.

Cette ordonnance induit l’acheminement des corps de sujets décédés qui, au bout de 48 heures, ne sont pas réclamés par une famille ou une tierce personne, au laboratoire d’anatomie et organogenèse de l’université Joseph Ki-Zerbo pour des travaux scientifiques dans un but diagnostic ou dans un but thérapeutique. Pour les autres constituants de ce que nous avons choisi d’appeler matériel biologique, pour les organes, il n’y a aucun don d’organes, aucun don de tissus, aucun don de cellules souches, aucun don de placentas réalisé au Burkina Faso jusqu’à l’heure où nous parlons.

Pour le don d’organes, il faut préciser qu’en décembre 2021, l’Assemblée nationale du Burkina Faso a voté un texte constitué de lois, permettant le don d’organes au Burkina Faso. Mais il s’agit uniquement d’un sujet vivant qui choisirait de donner un organe à un autre sujet vivant. Ce don ne concerne pas les sujets qui peuvent choisir, en cas de décès, de donner leurs organes à un sujet vivant.

Si l’Assemblée nationale s’est penchée sur la question, qu’est-ce qui empêche l’opérationnalisation du don d’organes au Burkina Faso ?

Parce que le décret d’application n’est pas encore en vigueur. Il faudrait que le décret d’application puisse être mis en application pour que ce don soit effectif au Burkina Faso. Et pour qu’il y ait ce décret, il aurait fallu que ce travail soit poursuivi. Mais, nous avons tous constaté qu’en janvier 2022, au cours de la 3e semaine, il y a eu une perturbation de l’appareil législatif et exécutif au Burkina Faso, ce qui retarde cette procédure. Mais nous gardons un espoir que ce décret d’application sera signé et qu’on pourra aller vers le don d’organes au Burkina Faso.

Comment saisissez-vous l’urgence du don de matériel biologique notamment d’organes dans les structures sanitaires au Burkina Faso ?

Nous l’avons dit précédemment dans une autre émission ou dans d’autres reportages. Il est vraiment urgent que le Burkina Faso aille vers ce don d’organes parce que les patients qui présentent une insuffisance d’un organe, qu’il s’agisse du rein, du cœur, du foie ou les patients qui ne voient plus, qui ont eu des problèmes oculaires et qui ont besoin d’une greffe (cornée, …) sont légion au Burkina Faso. Pour vous en convaincre, au Burkina Faso, il y a à peu près 25 000 patients qui souffrent d’une insuffisance rénale.

Ceux qui sont inscrits sur la file de la réalisation de la dialyse parce qu’ils sont arrivés à un stade d’insuffisance rénale chronique, au stade terminal, nous voulons dire le stade 5 ; ces patients sont nombreux au Burkina Faso et si ce n’est que le nombre, on pourrait s’en contenter. Mais il faut remarquer que ceux qui parviennent à faire la dialyse ne sont pas nombreux parce qu’au début, pour être inscrit sur cette file de dialyse, il fallait payer 1 500 000 francs CFA et maintenant c’est passé à 500 000 francs CFA.

Quand on essaie de faire le calcul, avec le prix de la dialyse étalé sur une semaine, un mois, une année, faire la dialyse à un patient insuffisant rénal chronique, au stade terminal, équivaudrait à lui faire une greffe de rein puisque la greffe de rein actuellement coûte entre 10 et 12 millions de francs CFA. Un patient qui bénéficie d’une greffe de rein, s’il arrive à supporter ces frais inhérents à ses soins, au bout d’une année, ce patient aura réglé un problème très sérieux parce qu’il accède à une nouvelle vie et au bout de cette année, pendant laquelle il n’aura plus besoin de dialyse, il se retrouve à commencer à économiser.

Si ce don devient une réalité, quelles sont les conditions à remplir pour pouvoir le faire ?

Pour arriver à ce don de matériel biologique au Burkina Faso, il faut une condition préalable. Il faut sensibiliser ce peuple burkinabè, cette population. Cette sensibilisation est d’autant plus importante que la thèse que nous avons choisie de diriger à l’université Joseph Ki-Zerbo, une thèse, pour laquelle, nous avons partagé la direction avec le Dr Théodore Ouédraogo, maître de conférences en anatomie et organogenèse, en donne la teneur.

Pour cette thèse, nous avons choisi de parler des connaissances, des attitudes et des pratiques du Burkinabè face au don de matériel biologique. Il était question de parler de façon plus spécifique du don du corps, d’organes, de tissus, de cellules souches et de placentas.

Nous avons mené une enquête auprès de la population de la ville de Ouagadougou pour savoir ce que les gens savent de ce don et qu’est-ce que les gens ont comme appréhensions. Est-ce qu’il y a des réticences ? Cette thèse a permis de comprendre que le Burkinabè résidant à Ouagadougou, pour cette première partie de l’enquête, ne sait pas ce qu’est que le don de corps et d’organes. Et les raisons évoquées, pour toutes les réticences que nous avons eu à constater au cours de ce travail, sont relatives à la culture africaine, à la religion, ….

Il y a énormément de blocages. Pour ceux qui se sont laissés emporter par l’empathie qu’on pourrait avoir à l’égard d’un patient, pour ceux qui se sont laissés convaincre par la nécessité de réaliser cette greffe ou d’arriver à ce don de matériel biologique de façon globale, on s’est vite rendu compte que le Burkinabè est consentant pour qu’on aille à cette qualité de soins.

Vous avez parlé de compatibilité. Est-ce que le groupage sanguin intervient à ce niveau ?

Le don de matériel biologique n’impose pas d’avoir un groupe sanguin identique à celui du donneur et la compatibilité ne se trouve pas au niveau du groupage sanguin. Permettez-moi de faire une parenthèse et parler du groupage sanguin. Quand on a commencé à parler de la transfusion sanguine en Afrique et au Burkina Faso, les gens pensaient que c’était à d’autres fins.

Le patient ou celui qui accompagne le patient finit par se rendre compte de l’impérieuse nécessité de faire un don de sang, à partir du moment où on est soi-même dans la situation ou quand on a un parent, un patient qui est couché sur un lit d’hôpital et qui a d’énormes soucis parce qu’il n’arrive pas à trouver du sang ; on comprend en ce moment l’importance de donner son sang et c’est en ce moment également qu’on peut participer à la promotion du don de sang. Le don de sang est devenu une réalité au Burkina Faso et ça permet de sauver énormément de vies.

Quant au don de tout ce qu’on peut appeler matériel biologique, bien vrai que le sang est un liquide biologique pour lequel la transfusion impose de réaliser un test de compatibilité antigénique, pour les antigènes portés par les globules rouges, avant que ce sang ne soit transfusé ; pour le cas spécifique du matériel biologique, c’est le typage HLA. Un donneur peut choisir de donner son rein à son père ou à sa mère et en réalisant le test de compatibilité immunologique, on se rend compte que ce rein ne peut pas être donné au patient choisi par le donneur.

C’est pour cela que la première condition à remplir est de faire ces tests de compatibilité. Mais pour être plus précis, avant d’arriver à ces tests de compatibilité, il y a une première étape : la sensibilisation ; la deuxième étape, les textes de lois qui doivent être suivis de décrets d’application et la troisième étape est l’équipement des structures hospitalières dédiées à cette transplantation. Et une fois qu’on aura mis tout cela en place, il faudrait créer des registres.

Un registre de donneurs, un registre de receveurs, puisqu’en ce moment on connaît les patients qui sont dans le besoin, qui sont atteints d’insuffisance rénale, cardiaque, hépatique, …, et à partir de ce moment, nous aurons deux registres (donneurs et receveurs) et il est même possible d’établir un registre pour le refus de don de matériel biologique. Et celui qui ne consent pas à donner ses organes ou son corps peut s’inscrire sur le registre de refus.

Ce registre de refus permet justement de ne pas aller vers le consentement présumé tel qu’il est actuellement réalisé dans certains pays d’Europe, nous voulons citer précisément la Belgique où l’obtention de la carte de séjour fait systématiquement de ce celui qui la porte, un donneur potentiel. Que vous le vouliez ou pas, de façon implicite, porter cette carte à Bruxelles, fait de vous un donneur systématique de vos organes.

Même si ce don n’est pas encore effectif au Burkina Faso, est-ce qu’on peut avoir une idée sur les organes les plus demandés ?

Il faut dire qu’il y a deux aspects qui peuvent être servis quant à votre question. Il y a ce que la population sait des organes qui sont le plus demandés et au cours de cette thèse, nous nous sommes rendu compte que le Burkinabè, par rapport aux Africains de l’ouest, connaît mieux les organes qui sont demandés, qui sont transplantés et qui sont transplantables. Le deuxième volet ou aspect, permettant d’apporter une réponse à votre question, c’est de dire de façon plus précise que l’organe le plus demandé actuellement, c’est le rein, le cœur et le foie pour ne citer que ces trois.

Si le décret d’application venait à entrer en vigueur, est ce que les hôpitaux burkinabè disposent des compétences techniques pour une bonne mise œuvre de ce progrès scientifique ?

Pour le don de matériel biologique, nous pouvons dire qu’aucune structure hospitalière du Burkina Faso n’est préparée à réaliser ce qui n’était pas dans ses habitudes. Pour arriver à un don de corps, il faudrait qu’il y ait des chambres froides dans nos hôpitaux (ce qui existe déjà), il faudrait qu’il y ait une chambre froide au laboratoire d’anatomie et organogenèse qui accueillera les corps (ce qui est le cas de ce laboratoire de l’université Joseph Ki-Zerbo). Les structures hospitalières du Burkina Faso et le laboratoire d’anatomie, dans leur état actuel, permettent de réaliser ce don de matériel biologique pour ce qui est du corps.

Pour ce qui est des organes par contre, le problème est encore entier parce que pour un donneur vivant, il faudrait qu’il y ait une structure hospitalière qui soit dédiée à la greffe de cet organe, à la transplantation de cet organe. Le donneur s’y rend, le receveur ou les éventuels receveurs y sont déjà parce qu’ils sont malades et sont suivis pour une insuffisance organique. Et, en ce moment, on fait les tests de compatibilité et on choisira le receveur adéquat.

Pour ce qui est de la chaîne de réalisation de ce don d’organes, il faudrait suffisamment de blocs opératoires. Pendant qu’on endort le donneur dans une salle opératoire, on endort le receveur dans l’autre salle ; on fait le prélèvement sur le donneur et on fait la transplantation sur le receveur. C’est également le cas pour les cellules souches et pour les tissus.

Par contre, il y a une durée de conservation de ces différents tissus, cellules et organes qui varie entre 6 heures et 48 heures. Il faut pouvoir respecter la durée de conservation de ces différents organes. La banque d’organes n’est pas faite pour conserver les organes pendant plus de 48 heures.

C’est pendant ce temps qu’on doit pouvoir faire le prélèvement, le transport de la structure de prélèvement ou du lieu de prélèvement, si c’est un accident de la voie publique sur un patient qui a consenti à donner, en cas d’accident, ses organes, on fait le prélèvement sur ce lieu (en Europe et aux USA, le prélèvement est fait par une équipe médicale qui est transportée par hélicoptère qu’on emmène directement sur le lieu de l’accident, parce qu’on s’est rendu compte que cette personne s’est inscrite sur le registre de donneurs). On fait le transport vers l’hôpital où cet organe sera greffé, on fait les tests dans cet intervalle et on fait la transplantation au sujet receveur, compatible avec le donneur.

Ce progrès scientifique est nouveau au Burkina et peut provoquer des réticences. Comment allez-vous faire pour convaincre la population sur l’importance de ce don ?

Le problème est de sensibiliser au maximum, d’essayer de convaincre au maximum. Mais la meilleure façon pour convaincre certains Burkinabè, certains Africains, c’est de faire des émissions qui tournent autour des structures hospitalières et qui mettent en exergue cette difficulté vécue par les patients. Parce que ça n’arrive pas qu’aux autres.

Le jour où vous êtes en face d’un patient qui a une insuffisance rénale (nous vous donnons un exemple concret) : vous êtes en face d’un de vos frères qui a une insuffisance rénale. Vous décidez aujourd’hui de lui donner un rein ; vous allez en Europe et vous faites tous les tests de compatibilité ou alors vous les faites à partir d’ici et on vous ramène les résultats. On vous dit que vous, vous pouvez donner votre rein à votre frère. Le Burkina Faso ne vous permet pas de le faire, parce que, aucun texte n’autorise un chirurgien actuellement à ouvrir votre ventre, prélever un rein et à le greffer à votre frère alors que c’est ce rein qui servira votre frère pour lui permettre d’avoir une seconde vie.

Il faudrait que vous compreniez, tout de suite qu’un patient insuffisant rénal au Burkina Faso, quand il est sur une file de dialyse, il dépensera entre cinq et dix millions par an pour sa dialyse. Même si vous décidez de donner votre rein à ce frère, aucun texte ne vous permet de le faire, aucun texte ne permet à une structure hospitalière de faire cette greffe, aucun texte ne permet au chirurgien le plus compétent du Burkina Faso ou à l’équipe chirurgicale la plus ou la mieux habilitée de faire ce don en Afrique, même si elle arrive au Burkina Faso, elle n’a pas les coudées franches pour faire ce prélèvement et cette greffe.

Est-ce que la réalisation du don de matériel biologique n’implique pas une rétribution des donateurs s’ils sont inscrits dans le registre ?

Nous sommes dans une science médicale, une science noble ; il y a de l’humanisme et de l’empathie derrière. Le don de matériel biologique (organes, …), ne saurait être assujetti à une rétribution de quelque nature que ce soit, qu’elle soit financière ou autre, sinon on risque d’arriver à des dérives. La première dérive qu’il faut justement éviter, … Nous n’osons pas voiler nos mots mais prenons le cas de la transfusion sanguine : le don de sang est bénévole et quand vous allez au Centre national de transfusion sanguine (CNTS) et que vous remplissez les conditions pour le don de sang, vous ne savez pas à qui on ira administrer ce sang ; vous ne savez pas qui sera receveur ou bénéficiaire de ce sang.

L’exemple est encore plus parlant quand vous êtes en face d’un patient que vous devez opérer et il a un mauvais taux d’hémoglobine. L’hémoglobine est un pigment qui colore les globules rouges et c’est ce pigment que nous quantifions et qualifions de façon indirecte en faisant certains examens de sang. Lorsqu’on parvient à une situation où le patient a besoin de sang, c’est en ce moment que la famille se retrouve à convoyer tout un ‘’bataillon’’, passez-moi l’expression, de dix individus, de 20 personnes pour aller donner le sang. Vous pouvez faire le groupage sanguin à 20 personnes, prélever le sang de 20 personnes, d’une centaine de personnes et vous rendre compte que parmi cette centaine, aucune poche n’est compatible sur le plan antigénique au patient que vous voulez opérer.

Dr T. Julien Savadogo interpelle les autorités sur la nécessité du don d’organe

C’est en ce moment que la famille comprend l’importance d’aller donner de façon régulière le sang, d’être un donneur assidu de sang et ça permet ainsi à chaque patient qui en aura besoin le jour où il doit être opéré de bénéficier du sang qui aura été donné par un autre individu. Pour ce qui est des organes, c’est la même chose. Ce n’est pas parce que vous avez choisi de donner votre organe aujourd’hui qu’il pourra être transplanté au sujet que vous, vous aurez choisi parce que c’est un proche parent.

C’est en choisissant d’être donneur qu’on se prête à l’expertise médicale, laquelle permettra de savoir si vous êtes compatible sur le plan antigénique, phénotypique ou immunologique de façon globale à tel ou tel autre patient. Aucun organe n’est prédestiné à un individu que vous, vous aurez choisi. Il s’agit d’une relation médicale qui s’établira entre un registre de donneurs et un registre de receveurs ou de patients qui en ont besoin.

En plus du décret d’application que vous demandez, est-ce qu’il n’y a pas d’autres difficultés qui empêchent la mise en œuvre du don du matériel biologique ?

Les difficultés sont énormes et le chemin est encore long. Entre la sensibilisation de la population, l’information de la population, la communication avec ce peuple burkinabè, …. A ce sujet, nous devons exhorter la presse, de quelque nature qu’elle puisse être, afin qu’elle contribue efficacement à la sensibilisation de cette population.

Les leaders religieux, de quelque bord que ce soit, les médecins, …, et la presse à ne peut pas optimiser cette sensibilisation sans associer le personnel de santé. Il faudrait qu’on sensibilise. Les gens sont réticents parce qu’ils évoquent la religion mais quand on essaie de creuser un peu plus, on se rend compte que ces personnes réticentes le sont parce qu’elles ne savent pas ou parce qu’elles ne sont pas dans la situation.

Tant qu’on n’est pas dans une situation critique, on a tendance à banaliser certaines choses. Et l’être humain de façon naturelle peut rester hostile au progrès. Mais, ce progrès que nous appelons de tous nos vœux, ce progrès que nous appelons à aller vers le don de matériel biologique, aller vers la transplantation d’organes, est une véritable urgence pour le Burkina Faso.

Le Mali a déjà fait un pas en avant, la Côte d’Ivoire a déjà réalisé la première transplantation de rein et d’autres pays sont très en avance par rapport à cette qualité de soins qui est offerte actuellement en Afrique. Nous voulons parler des pays du Maghreb et de l’Afrique du sud ; un pays qui est en avance quant au don de matériel biologique.

Est-ce que le Burkina Faso aussi peut nourrir l’espoir de voir le plus tôt possible ces premières transplantations d’organes ?

Ce progrès appelé don de corps, d’organes, de tissus, de cellules souches et de placentas est d’une impérieuse nécessité au Burkina Faso. Si le peuple burkinabè, si le système sanitaire du Burkina Faso n’évolue pas vers ce don de matériel biologique, je puis vous assurer que nous sommes déjà en train de payer la facture de notre avenir médical.

Cette phrase est pleine de sens parce qu’actuellement pour former un étudiant en médecine, en pharmacie ou en chirurgie dentaire au Burkina Faso, nous n’avons pas de corps humain permettant une dissection cadavérique pour que cet étudiant puisse voir, toucher et comprendre, avant d’arriver dans une structure hospitalière, ce qu’est le corps humain. Quand vous arrivez dans une structure hospitalière pour faire un prélèvement de sang, l’apprenant qu’est cet étudiant qui est dans la structure, apprendra à piquer et à faire le prélèvement sur une veine, sur vous vivant. Dans les pays où ce don de corps est une réalité, l’apprentissage de tous ces gestes médicaux qu’il soit du niveau d’un infirmier, d’un médecin ou d’un chirurgien, cet apprentissage est fait sur un sujet cadavérique.

La formation des médecins inscrits en spécialisation au Burkina Faso, quelle que soit la spécialité chirurgicale, n’a pas encore intégré, n’est pas encore arrivée à ce niveau d’apprentissage où il faut disséquer le cadavre. Imaginez-vous, vous arrivez dans un hôpital, on doit vous opérer ; le chirurgien titulaire qui est là, il opère avec des apprenants dans son entourage. Le jour où cet apprenant finit sa formation, il obtient un diplôme, il est affecté par l’Etat burkinabè dans un hôpital. Le jour où il tiendra lui-même son bistouri pour opérer, quand il incisera la première fois, ça se passera sur un sujet vivant. Pendant tout son apprentissage, il n’a jamais travaillé sur un cadavre ; il n’a jamais répété ce geste d’apprentissage sur un cadavre.

Pour vous convaincre, nous avons complété notre formation médicale hors du Burkina Faso. Prenons l’exemple le plus proche : le Sénégal et Dakar. Nous y avons disséqué des cadavres, nous avons appris à travailler sur des cadavres sur lesquels nous avons fait des erreurs. Quand on se trompe sur le cadavre, on peut refaire le geste sur le côté opposé et répéter le geste sur d’autres cadavres, sur des sujets qui ont choisi de donner leurs corps à la science. Vous arrivez dans les laboratoires d’anatomie en Europe, vous trouverez des laboratoires où il y a 10 000 corps conservés. Le Burkina Faso n’a pas un seul corps conservé.

Le Mali (Bamako) a une vingtaine de corps humains qui passent dans le laboratoire d’anatomie et qui sont destinés à la dissection pour la formation des médecins en spécialisation et celle des étudiants inscrits en médecine, en pharmacie ou en chirurgie dentaire. Au Nigéria également, le don de corps est effectif dans plusieurs facultés de médecine et la dissection est faite sur le cadavre pour assurer une très belle formation.

« Le don de matériel biologique ne saurait être assujetti à une rétribution » Dr Julien T. Savadogo

Nous voulons apporter une précision fondamentale. Le directeur de l’unité de formation et de recherche en sciences de la santé, le Professeur Adama Sanou, puisque qu’il s’agit de lui, nous a permis par une belle coopération avec l’Université Côte d’Azur (UCA) dont la faculté de médicine est dirigée par le Pr Patrick Baqué, un de nos maîtres, de suivre un enseignement sur le thorax (dissection). L’enseignement a été suivi en Zoom par des médecins en spécialisation au Burkina Faso, par le directeur et par nous-mêmes, entourés d’étudiants.

Voilà ce qui permet à chaque étudiant, à tout médecin en formation de voir ce qui se trouve dans le thorax, de savoir là où se trouve le cœur, le poumon, …, de voir tous les pièges anatomiques et les dangers que le chirurgien peut rencontrer. Une fois qu’il est aguerri par cette approche du corps humain et de toutes ses structures dans la partie la plus fine possible et dans le moindre détail, parvenu à cette expertise chirurgicale, ce médecin en spécialisation, futur chirurgien, pourra faire ces interventions chirurgicales avec le moins de risques possibles.

Quand vous comparez deux chirurgiens, un chirurgien qui a appris à opérer sur le cadavre avant d’apprendre à opérer sur le vivant et un autre qui a tout appris uniquement sur le vivant, la différence est frappante. La dissection cadavérique est donc une étape primordiale de toute formation chirurgicale, tant et si bien que les complications couplées aux gestes des chirurgiens diffèrent selon la qualité de cette étape. Quand on aura commencé ce travail de dissection au Burkina Faso, je peux vous faire le pari que nous ferons cette comparaison.

A vous entendre, c’est comme si l’espoir n’était pas permis…

Nous n’appelons pas cela espoir. C’est une conviction. Nous sommes convaincus que le Burkina Faso va arriver à ce don de matériel biologique.

Qu’avez-vous comme appel à lancer aux autorités du pays pour les interpeller sur le sujet ?

Je pense que les recommandations formulées dans la thèse de Dr P. Linéa Marina Ouédraogo sont assez éloquentes. Elles ont été adressées au pouvoir exécutif, législatif, aux autorités ministérielles (ministères de la santé et de l’enseignement supérieur), au directeur de l’unité de formation et de recherche en sciences de la santé de l’université Joseph Ki-Zerbo, à la population burkinabè, … Pour se redire, il faudrait qu’on aille à l’équipement des laboratoires d’anatomie et organogénèse du Burkina Faso.

Il en existe un dans cette université (Joseph Ki-Zerbo), un à l’université Nazi Boni et un dans une université privée (Saint Thomas D’Aquin) qui n’a pas de chambre froide. Il faut équiper tous ces laboratoires, de telle sorte qu’on puisse avoir une chaîne de froid de façon continue. S’il y a une coupure de courant dans ce laboratoire avec des corps dans cette chambre froide, sans relais énergétique, c’est la catastrophe. Nous n’avons pas de plaques solaires (photovoltaïques) ni de groupe électrogène. C’est un cri de cœur et nous ne doutons pas que ce cri sera entendu. Voilà ce qui concerne le don de corps.

Pour le don d’organes, nous pensons que dès que le décret d’application sera d’actualité, le Burkinabè comprendra. Au cours de cette thèse, il est ressorti que les sujets insuffisants rénaux, cardiaques, hépatiques, à la fin de l’enquête ou de l’administration du questionnaire, le patient vous regarde avec un regard plein d’espoir, vous laissant entendre : ‘‘Docteur, j’espère que quand vous allez revenir, c’est pour nous dire qu’on pourra bénéficier de la greffe’’. Ces patients sont des Burkinabè, ce sont nos sœurs, nos frères, nos parents qui ont besoin de cette greffe et il faudrait qu’on arrive à cette greffe.

Pour le don de placenta, cet organe qui est le miroir du processus gestationnel (grossesse), le microscope du nouveau-né et qui est la vision magnifiée de la femme qui vient d’accoucher. Il faut avouer qu’à Dakar (Sénégal), dans une maternité, vous pouvez trouver une dizaine, une vingtaine ou une trentaine de placentas en une journée, qui seront amenés à l’incinérateur (pour y être brûlés). Nous n’avons vu aucune femme au Sénégal pendant tout notre séjour, réclamer un placenta. Pour vous en donner la preuve, nous avons disséqué entre 1 500 et 2 000 placentas au Sénégal.

Au Burkina Faso, nous ne sommes parvenus à obtenir aucun placenta à ce jour. Sur cet organe, appelé placenta, il y a des membranes transparentes, qui peuvent être utilisées pour remplacer la cornée. Nous ne vous dirons pas de faire le calcul mais quand on essaie de compter le nombre de patients burkinabè qui sont allés en Tunisie et qui ont bénéficié d’une greffe de cornée rapporté au coût d’une évacuation pour greffe de cornée, vous comprendrez que si les membranes placentaires peuvent servir à cela, nous sommes en train d’enterrer, chaque jour, la vue, la vision de beaucoup de Burkinabè.

Le placenta peut permettre également de faire des prélèvements de sang pour obtenir des cellules souches (cellules immatures) qu’on peut administrer à des sujets drépanocytaires pour traiter la drépanocytose. Cette pathologie qui est en train de miner, qui fait souffrir atrocement nos enfants, nos patients et qui ne touche que la race noire et pour laquelle les sujets et les pays ayant les moyens pour faire cette recherche sont en Europe, aux Etats-Unis et en Asie. Personne d’autre ne fera cette recherche sur la drépanocytose à notre place.

Un détail important ?

Un détail important que nous pourrons ajouter ; puisque c’est dans le détail que se trouve le diable.
. Les cellules souches : Le Burkina Faso peut commencer tout de suite par le don de cellules souches. Il suffit que l’Assemblée législative de la transition vote favorablement un projet de lois et un décret d’application dans ce sens. La drépanocytose est due à une falciformation des globules rouges, expliquant tous les signes de cette maladie. Avec ces cellules souches, on pourra traiter efficacement les patients atteints de drépanocytose et de leucémies (hémopathies malignes). C’est un détail très important : le Burkina Faso peut commencer par ce don de cellules souches.

. Le corps humain cadavérique : Au terme de notre étude (thèse), la première impression que nous avons reçue en retour du Burkinabè est le fait que ce don de matériel biologique soit un sacrilège. C’est normal comme retour pour ce type d’avancée scientifique. Mais, le jour où ils seront dans la situation (incompétence de son chirurgien ou absence d’organes, de tissus et de cellules souches, …), ils feront leur mue.

Avec l’ordonnance autorisant les recherches cadavériques, une fois qu’un laboratoire d’anatomie et organogenèse arrivera à réaliser et à maintenir une chaîne de froid de façon continue, nous pourrons commencer la dissection cadavérique ; les sujets cadavériques inconnus sont nombreux au Burkina Faso, remplissant les morgues de nos hôpitaux. Actuellement, ils sont évacués et enterrés dans des fosses communes. C’est une réalité que le Burkinabè ignore. Ailleurs, ces sujets sont acheminés vers le laboratoire d’anatomie et organogenèse pour permettre la dissection.

Serge Ika Ki
Vidéo : Auguste Paré
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