Actualités :: Cérémonie de remise du prix Martin Ennals 2022 : Le combat du Dr Daouda (...)

Le jeudi 2 juin 2022 a eu lieu, à Genève, la cérémonie de remise du prix Martins Ennals décerné chaque année par la fondation suisse Martin Ennals. Ce prix « célèbre des défenseurs et défenseuses des droits humains d’exception » pour leur combat et engagement en faveur de la liberté et la dignité humaine. Ce prix est également soutenu par la ville de Genève dont la remise chaque année constitue un des évènements majeurs de la Genève internationale.

Le jury, composé de représentants des dix plus importantes organisations internationales de défense des droits humains, a distingué trois lauréats parmi lesquels, notre compatriote Dr Daouda Diallo. Pharmacien de formation, responsable du laboratoire médical du Centre hospitalier régional de Dédougou, activiste de la société civile burkinabè, le Dr Diallo est membre fondateur et secrétaire général du Collectif contre l’impunité et la stigmatisation des communautés (CISC). Les deux autres lauréats sont Pham Doan Trang du Vietnam et Abdul-Hadi Al-Khawaja du Bahreïn, absents de la cérémonie car emprisonnés par les pouvoirs respectifs en place dans ces deux pays.

Le président du Jury, Hans Thoolen, a rappelé le contexte dans lequel est né ce prix en 1992 à l’initiative de Martin Ennals et ses amis. Ancien secrétaire de la Commission internationale des juristes, ce juriste hollandais a fondé plusieurs ONG, travaillé plusieurs années au Haut-commissariat des nations unies pour les réfugiés et présidé la fondation Martins Ennals jusqu’en 2012. L’idée de créer ce prix répondait à un besoin de récompenser et d’honorer les défenseurs des droits humains et de mettre en lumière leur travail où qu’ils se trouvent dans le monde.

Trente après, « Il est important de voir à quel point ce prix a porté tant de fruits mais il est également choquant de constater que le besoin de protéger les défenseurs des droits humains est toujours d’actualité. Le fait qu’une fois de plus deux des trois lauréats ne sont pas en mesure d’être présents parmi nous ici prouve qu’il faut continuer à attirer l’attention sur les cas de détention prolongée. Les gouvernements autocratiques font clairement le pari que l’opinion publique, c’est-à-dire vous, se lassera de cette question et finira pas détourner son attention de celles et ceux qui payent le prix de leur liberté. Nous ne devons pas tomber dans ce piège », dira Hans Thoolen.

La journaliste Pham Doan Tram est en prison pour avoir critiqué le régime vietnamien et demandé plus de liberté et de démocratie au Vietnam. Elle était représentée par sa mère, Bui Thi Can, accompagnée de deux autres activistes de la société civile vietnamienne. C’est donc elle qui recevra le prix en son nom. Un film documentaire a été projeté pour rappeler et mettre en lumière l’engagement de cette journaliste, malgré tous les risques, les menaces et intimidations subis par cette femme courageuse. Sa mère prendra la parole pour remercier le jury et exprimer les souffrances, privations, intimidations et humiliations subies par sa fille pour avoir osé critiquer et dénoncer les exactions du régime et du parti communiste vietnamien qui « règne en maître absolu et ne tolère aucune dissidence.

Les droits fondamentaux tels que la liberté d’opinion, de la presse et de réunions sont violés et les journalistes indépendants sont réprimés ». Farouche et intrépide défenseuse de la démocratie et fondatrice de plusieurs médias importants, la journaliste Pham Doan Trang était l’une des activistes vietnamiens les plus traqués. Elle sera arrêtée en 2020, détenue en secret pendant un an et finalement condamnée lors d’un procès expéditif en novembre 2021 à neuf ans de prison pour « propagande contre l’Etat ».

Madame Bui Thi Can recevant le prix au nom de sa fille des mains de Monsieur Olivier Currat, président du conseil de la fondation Martin Ennals

Eminent défenseur bahreïni-danois de la liberté et de la démocratie, le leader Abdul-Hadi Al-Khawaja est l’une des grandes figures de la société civile du Bahreïn. Il lutte pour la liberté et la démocratie dans son pays tenu de main de fer par la dynastie royale des Al Khalifa. Il a fondé le Bahrein Center for Human Rights qui a organisé plusieurs manifestions et mouvements de contestation dans le royaume et la région du Moyen Orient pour dénoncer les autocrates qui règnent sans partage sur ces pays. La monarchie a riposté : il a été arrêté en 2011 et détenu en secret pendant deux mois. Emprisonné et torturé plusieurs fois par le régime bahrein, il a été condamné à la prison à vie après un procès militaire. Il a fait plusieurs grèves de la faim qui ont eu de « lourdes conséquences sur sa santé ».

C’est donc son épouse, Khadija Almousawi, exilée au Danemark, qui est venue recevoir le prix en son nom, accompagnée de deux de ses deux filles qui se battent pour sa libération. En remerciement, elle dira que « chaque personne assise dans cette salle est unique car vous vous préoccupez des droits humains. Les droits humains. Et c’est exactement ce qu’Abdul-Hadi aimerait voir. On ne l’oublie pas. Chaque défenseuse et défenseur des droits humains n’est pas oublié tant que nous nous en préoccupons et œuvrons pour leur cause. »

Un bref documentaire rappellera également l’engagement et les risques encourus par cet activiste et tous ceux qui osent critiquer la famille royale au Bahrein. Le public a pu écouter un enregistrement audio du lauréat Abdul-Hadi Al-Khawaja depuis sa prison tenue secrète au Bahrein. Son message, adressé à sa femme, au jury ainsi qu’au public présent, est d’une grande humilité, plein d’espoir et d’amour pour sa femme, sa famille et le peuple du Bahrein. « Pendant 14 ans, dira-t-il, mon épouse a été une épouse extraordinaire et une amie. Elle a été ma partenaire la plus proche, quelles que soient les difficultés que nous avons traversées. Elle a été le pilier de notre famille, source de tendresse et de stabilité. Elle n’a jamais baissé les bras et ne s’est jamais plainte ».

En dépit de sa condamnation à perpétuité, Abdul-Hadi Al-Khawaja refuse de perdre espoir et de baisser les bras. Il porte la marque de ces grands hommes, profondément humains, sensibles aux causes justes, confiants et toujours dans l’espérance même dans les situations les plus désespérées.

Accompagnée de Gnienhoun Salif Daniel, chargé de l’organisation du CISC, le Dr Diallo a reçu son prix des mains de Alfonso Gomez, vice-président du conseil administratif de la ville de Genève, co-organisatrice de la cérémonie. Pour ce magistrat, cette distinction des lauréats est une occasion de « porter la lumière sur des personnalités hors du commun, des femmes et hommes d’exception qui luttent, au péril de leur vie, de leur liberté, pour le respect des droits fondamentaux. Partout dans le monde, par centaines et milliers, ces femmes et hommes sont pourchassés, criminalisés, torturés, emprisonnés et mêmes tués en raison de leur engagement pour la dignité humaine et la défense des droits démocratiques et environnementaux ». Il ne faut pas les oublier ni les laisser seuls sur leur chemin de croix. Le prix Martin Ennals est décerné dans cet esprit de solidarité et de soutien à ces porte-flambeaux de la vérité, de la justice et des droits humains.

Madame Kadhija Almousawi recevant le prix au nom de son époux des mains de Monsieur Hans Thoolen, Président du jury du Prix Martin Ennals 2022.

Un film documentaire a mis en lumière l’engagement et le combat du Dr Diallo à travers le CISC. Il a remercié les membres du jury ainsi que la fondation Ennals qui attire chaque année l’attention sur ces hommes et femmes qui, au risque de leur vie, se battent pour la vérité, la justice et un monde plus libre, humain et apaisé.

Le Dr Diallo a rappelé le contexte dans lequel est né le CISC, une organisation de la société civile burkinabè qui « soutient les victimes du terrorisme dans leur quête de justice et de réparation ». Il s’agit du drame de Yirgou, un massacre perpétré en janvier 2019 où plus de 200 femmes, hommes et enfants ont été tués et des centaines déplacés. Ces actes barbares s’inscrivent dans le sillage de la déferlante djihadiste et ses hordes « d’hommes armés non identifiés » qui endeuillent depuis des années le Burkina et ses voisins de la région sahélo-saharienne.

Pour Dr Diallo, il faut sans aucun doute dénoncer et combattre avec la dernière énergie ce terrorisme insidieux, perfide et apparemment sans visage. Il faut également dénoncer fermement en tenailles entre les terroristes islamistes, les forces gouvernementales de défense et de sécurité et les milices locales (volontaires de défense pour la patrie, VDP) sensés les combattre.

Selon le jury du prix Martin Ennals, au Burkina, « l’extrême pauvreté et la violence terroriste contrastent avec une culture dynamique et une histoire riche, la population a plus que jamais besoin de cohésion sociale, de responsabilité et de paix. L’engagement du Dr Diallo à leur égard est inébranlable. » Pour notre lauréat, ce prix est « un effort qui nous interpelle pour plus de persévérance pour la protection des droits humains. C’est aussi l’occasion de penser à ceux qui sont actuellement en prison à cause de leur engagement dans la défense des droits humains. Il faut tout mettre en œuvre pour sauver ces personnes », dira-t-il en recevant son trophée.

C’est « un symbole très fort qui honore mon pays et tous les défenseurs des droits humains dans le monde. C’est également une invitation forte à plus d’engagement et de détermination face aux défis auxquels nous sommes confrontés en termes de droits humains et pour la construction de la paix dans nos différents pays ».

Dans le contexte actuel de la transition amené par le coup d’état du 24 janvier dirigé par le président Damiba, le Dr Diallo relève qu’il est « triste est de constater que ce nouveau pouvoir est en difficulté parce que des droits humains ne sont pas toujours respectés. Il y a toujours des violations sur le terrain et le CISC a enregistré plus de 200 cas depuis janvier 2022. C’est une source d’inquiétude et c’est l’occasion d’interpeller ici les acteurs et experts du centre de référence que constitue la Genève internationale pour venir au secours du Burkina Faso afin que ce pays ne sombre pas dans un statut d’Etat défaillant. Il y a donc lieu de poursuivre notre travail, car nous travaillons pour notre pays et non contre notre pays ».

Le lauréat Dr Daouda Diallo (en bonnet) et les représentants des autres lauréats absents de la cérémonie.

La lutte contre l’impunité est le socle sur lequel repose le combat du Dr Diallo et du CISC. Pour tout pays, « la boussole c’est la constitution et le respect des lois. Et comme le Pape Jean-Paul aimait le dire : l’arbre de la paix s’arrose avec l’eau de la justice ». Il faut donc lutter contre l’impunité pour construire un véritable Etat de droit démocratique.

Pour le Dr Diallo, les risques encourus, les menaces de mort, les accusations de terroriste, le découragement et le désespoir peuvent pousser à abandonner son engagement et son combat contre l’impunité et la stigmatisation des communautés au Burkina. Toutefois, « dans une logique de lutte, il y a toujours des moments de désespoir, il y a des signes qui découragent mais il y a aussi des signes qui encouragent fortement quand on pense à ces victimes qui bénéficient de notre appui et de notre accompagnement sur le volet de l’assistance médicale, psychologique, juridique et humanitaire. Quand on pense aux milliers de sympathisants qui nous soutiennent et nous envoient des messages réconfortants, quand on pense aussi au soutien des ONG internationales qui « mouillent le maillot » sur le terrain pour secourir la veuve et l’orphelin, nous estimons que ça vaut le coût, c’est une satisfaction pour nous de poursuivre ce combat… pour que la vie humaine ne soit pas banalisée ».

En plus des trois lauréats primés, le jury a décerné un prix spécial au Père Stan Swamy, militant indien des droits humains, décédé en 2021. Né en 1937 dans le Tamil Nadu, ce prêtre indien a travaillé dans l’Etat du Jharkhand riche en forêt et en principales réserves de charbon de l’Inde. Les Adivasis sont considérés comme l’un des peuples autochtones de l’Inde et les habitants premiers de ces terres dont ils sont les propriétaires. Ils ont été déracinés et déplacés pour permettre au gouvernement indien et aux entreprises intéressées d’exploiter les forêts et les ressources du sous-sol. Sans aucun dédommagement pour les destructions de leur habitat naturel et séculaire. Le Père Swamy s’est battu contre cette expropriation et les dégâts environnementaux et humains causés par cette spoliation décidée et encouragée par le pouvoir central indien. Il a été emprisonné le 9 octobre 2020, après avoir été arrêté par la National Investigation Agency (NIA), pour sédition et liens avec un groupe maoïste interdit. Cela lui vaut ce prix spécial du jury du prix Martin Ennals 2022, reçu en son nom par le Frère Xavier Soreng qui le représentait à cette remise de prix.

La cérémonie s’est achevée avec un buffet convivial offert par la ville de Genève au public présent qui a pu poursuivre les discussions, nouer et échanger des contacts avec les lauréats.

B. Parfait Bayala
Journaliste indépendant, Genève

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