Actualités :: Santé : Le centre ABASMEI, Notre Dame de la Compassion au chevet des malades (...)

L’Association burkinabè pour l’assistance, le suivi et la santé des malades mentaux errants et isolés (ABASMEI), s’est lancée depuis 2016 dans la prise en charge des malades mentaux, en mettant sur pied un centre situé à Loumbila, plus précisément à Tanlargo, à proximité de l’université Thomas Sankara. Fondé et dirigé par la Sœur Rosalie Kanzyomo, le centre ABASMEI Notre Dame de la Compassion recueille, soigne et réinsère dans la société, les personnes souffrant de troubles mentaux et errant souvent dans la rue ou enchainées. Le centre leur permet ainsi de prendre un nouveau départ dans la vie. Dans cette interview qu’elle a bien voulu nous accorder, la première responsable du centre revient sur la prise en charge de ces personnes souvent délaissées par la société et les défis auxquels elle et son équipe sont confrontés au quotidien.

Lefaso.net : Quelle est la prise en charge que vous apportez à vos pensionnaires ?

Sœur Rosalie Kanzyomo : Nous leur apportons d’abord des soins médicaux. Lorsque nous prenons l’exemple d’un malade que nous récupérons dans la rue, s’il est violent, il est accompagné dans un centre de santé comme l’hôpital Yalgado Ouédraogo où il est hospitalisé et assisté. La prise en charge est assurée par l’association. Et lorsque le malade se rétablit, nous essayons de chercher d’où il vient ou si lui-même peut nous indiquer et nous recherchons la famille.

Nous faisons un travail de terrain et si c’est possible, nous faisons la réinsertion aussitôt. Mais si ce n’est pas possible, le malade intègre le centre. Aussi pour les malades non agressifs, nous les accueillons directement au centre, où des agents de santé passent régulièrement. Nous avons deux attachés en psychiatrie et des infirmiers qui passent pour nous accompagner. Il y a des éducateurs sociaux qui passent également.

Sœur Rosalie Bazyomo, fondatrice du Centre ABASMEI

Combien de pensionnaires accueillez-vous actuellement ?

Actuellement nous sommes surchargés car nous n’avons pas de bâtiment hommes. C’est le centre médical que nous voulions mettre en place qui est actuellement utilisé par le groupe des hommes. Nous avons un bâtiment femmes qui doit normalement accueillir douze personnes mais nous avons plus de pensionnaires que cela. Donc on peut dire que nous avons à l’heure actuelle au moins 66 pensionnaires qui sont logés à deux ou à trois dans les chambres qui normalement devait être individuelles.

Comment fonctionne le centre ?

Le centre fonctionne grâce aux bonnes volontés qui nous accompagnent. L’ABASMEI qui gère le centre, compte environ une cinquantaine de membres qui donnent à la hauteur de leurs moyens des ressources financières. Il y a aussi des amis, des proches, qui nous accompagnent, ainsi que l’action sociale et la mairie de Ouagadougou depuis deux ans maintenant.

Comment se passe la réinsertion des anciens pensionnaires ?

Il y a certains qui sont recherchés par leurs familles, donc dès qu’ils sortent de l’hôpital la réinsertion se fait sans problème. Mais il y a également d’autres dont les familles ne veulent même plus entendre parler. Et c’est là que nous faisons un travail de terrain qui prend du temps souvent. Nous ne réinsérons pas et puis nous tournons le dos. Lorsque nous réinsérons la personne, nous sommes toujours là pour l’accompagner dans la prise en charge médicale et psychologique.

Des fois lorsque nous partons pour réinsérer, nous voyons que la famille est tellement vulnérable si bien que nous sommes obligés de porter main forte sur le plan alimentaire, vestimentaire, tout ce qui peut aider la famille. Souvent c’est parce que les familles sont lassées du fait que les traitements sont longs et qu’elles n’ont pas assez de ressources pour acheter les médicaments qui coûtent chers, qu’elles laissent souvent les malades tomber dans l’errance.

Des fois aussi, ce sont des personnes qui ont été bannies et lorsque c’est le cas la réinsertion est difficile. La maladie fait souvent aussi que certains tombent dans un certain silence et ne s’expriment pas. Quand c’est ainsi, on ne peut pas retrouver leurs familles. On en a un certain nombre au centre, et lorsque c’est le cas et que nous arrivons à récupérer le malade, nous ne pouvons pas le mettre dehors. Il y a aussi des malades que nous plaçons dans des familles d’accueil.

Les pensionnaires du centre mènent des activités telles le jardinage et l’élevage.

Lorsque vous récupérez un malade, combien de temps environ passe-t-il au centre avant d’être réinséré ?

Ca dépend, il y a des personnes que l’on peut réinsérer et d’autres pas. Nous pouvons prendre un malade, au bout de deux semaines ou un mois, il se retrouve et arrive à nous situer. Nous faisons la recherche de la famille et à la sortie de l’hôpital, si naturellement la famille est disposée à l’accueillir il n y a pas de soucis. Il y en a qui vont faire deux mois, six mois, ou un an et d’autres vont aller jusqu’à quatre ans et certains vont même demeurer au centre parce qu’on n’a pas retrouvé la famille, surtout ceux qui ont perdu l’usage de la parole.

Quelles sont les activités que les pensionnaires mènent au centre ?

La première des activités c’est la prière car c’est le Seigneur qui est au-devant de toute chose. Donc au réveil nous avons la messe à 05h45, après la messe ils ont le petit déjeuner et les médicaments à prendre. Et après, chacun selon son autonomie, se lance dans une activité qu’il peut faire. Nous avons l’élevage des porcs, des poulets, des chèvres et des moutons, le jardinage, la fabrication de savon et le tricotage pour les femmes et les travaux de construction pour les hommes. Chacun se donne comme il peut.

A ce jour, à combien peut-on estimer le nombre de personnes recueillies et réinsérées par ABASMEI ?

Je peux dire plus de 1.000 personnes en tout cas parce que nous travaillons depuis 2011. Nous avons réinséré pas mal de malades que l’on arrive à accompagner soit par coup de fil quand c’est loin. Par exemple nous avons réinséré des malades au Bénin, au Togo, en Côte-d’Ivoire, c’est trop loin pour les déplacements donc de temps en temps un coup de fil pour savoir comment le malade se porte, est ce qu’il continue de prendre son traitement, etc.

Il faut dire qu’avant de mettre en place le centre, nous allions à la rencontre des malades dans la rue pour leur offrir des kits de repas et de vêtements, pour essayer de fraterniser. Pour ceux qui sont en errance, nous travaillons avec la mairie et la police, pour les récupérer.

Une vue des locaux du centre

Nous avons pu remarquer qu’il y a au sein du centre des malades qui y sont avec leurs enfants, comment gérez-vous cette situation ?

Effectivement nous travaillons à ce que les malades qui sont enceintes ou celles qui ont des enfants, soient prioritaires. Nous avions remarqué que pour la plupart, on récupère les enfants de la malade et on la laisse dans la rue. Et quelques temps après, elle tombe de nouveau enceinte, ce qui ne favorise pas sa santé. A notre niveau lorsque nous sommes face à une malade qui a un enfant, nous récupérons et la mère et l’enfant.

On se dit que la maman est en souffrance, c’est pour cela qu’elle n’arrive pas à prendre soin de son enfant. Une fois qu’elle est stabilisée et dans de bonnes conditions, elle peut bien prendre soin de son enfant. Il y a des enfants qui restent avec nous et qui vont à l’école, et pendant les vacances on essaye de les placer dans les familles d’acceueil. Maintenant si au niveau du centre on trouve que la maman ne peut pas prendre soin de son enfant, on peut faire des démarches pour placer les enfants dans des familles d’accueil mais pas pour les donner en adoption totale.

On se dit que demain, cet enfant peut venir sauver la maman. Mais bien souvent, lorsqu’on récupère les enfants de ces femmes, ils sont facilement placés dans des pouponnières et donnés en adoption totale. Et moi je ne suis pas favorable à cette façon de faire. J’ai eu à rencontrer une dame qui a eu quatre enfants dans la rue, et tous les quatre ont été récupérés et ont été donnés en adoption et elle se retrouve dans le vide.

Quelles sont les difficultés que vous rencontrez dans la prise en charge des malades mentaux ?

C’est surtout au niveau de la réinsertion. Elle est difficile et il faut prendre le temps de la faire. Il ne faut pas réinsérer le malade juste parce qu’il est stabilisé, sinon on le retrouvera dehors demain. Le milieu familial même est un facteur qui peut favoriser le plein épanouissement du malade ou pas. La deuxième difficulté, ce sont les moyens qui nous manquent sur les plans financier, alimentaire, vestimentaire. Car lorsqu’on récupère un malade dans la rue on ne connaît personne et tout est à notre charge.

Le premier traitement c’est l’alimentation, et si le malade n’est pas bien nourri même si on apporte un traitement c’est difficile. Et de toutes les façons, s’il n’est pas assez bien nourri, il va devenir agressif et le centre deviendrait invivable. Et sur le plan des médicaments c’est pareil. Les produits que nous utilisons sont assez chers et ne sont pas subventionnés. Autre difficulté, nous n’avons pas assez de bâtiments pour accueillir les malades. Il y a beaucoup de demandes et nous sommes obligés de les loger à plusieurs par chambre.

Nous manquons aussi d’ateliers pour les occuper. Dans notre projet, nous avions prévu des ateliers de couture, de broderie, de menuiserie, de maçonnerie, pour les occuper et les valoriser. Le centre n’est pas un hôpital, mais un lieu où ils reprennent le goût de la vie pour pouvoir se réinsérer dans la société. Aussi, actuellement vous allez remarquer que les hommes et les femmes cohabitent. Mais notre désir était de les séparer pour que chaque groupe ait son espace à part. Mais nous avons eu un gros souci avec l’université, qui a pris une bonne partie de notre terrain donc il nous reste une petite portion et nous devons restructurer les choses.

Quelles sont vos perspectives pour le centre pour les années à venir ?

En termes de perspectives, nous avions voulu mettre en place ce premier centre qui allait accueillir le malade qui sort de la rue ou de l’hôpital, dans lequel on allait faire un premier travail et ensuite le placer dans un autre centre lorsqu’il sera stabilisé pour qu’il pratique des activités en vue de sa réinsertion. Le deuxième centre n’a pas pu être mis en place pour le moment, nous sommes toujours en train de chercher des financements.

On aurait aussi voulu accompagner davantage les anciens pensionnaires dans les activités génératrices de revenus qu’ils mènent. On se dit que les personnes malades mentales deviennent un poids pour la famille et quand la famille n’en peut plus elle laisse la personne dans l’errance. Mais si la personne arrive à faire une activité qui puisse l’aider à s’auto-suffire, il n y a pas de raison qu’elle tombe dans l’errance.

Avez-vous un dernier mot ?

C’est de vous dire merci d’avoir pensé à ce public cible parce que tout naturellement ce n’est pas donné à tout le monde de penser aux malades mentaux car la perception même de la maladie fait que les gens ne courent pas derrière eux. Je voulais aussi dire merci à toutes les personnes qui ont une oreille attentive et qui nous porte secours.

Tout dernièrement nous avons eu de sérieuses difficultés dans l’alimentation. Nous avons lancé un SOS et des bonnes volontés sont venues nous soutenir. A l’heure actuelle en tout cas, les malades sont mieux accompagnés sur le plan alimentaire. Merci à toutes les personnes qui nous accompagnent de quelque manière que ce soit, parce que rien n’est à négliger chez nous.

Nous avons les bras ouverts pour accueillir tout ce qui peut nous arriver pour le bien être du malade, que ce soit sur le plan financier, alimentaire, vestimentaire, etc. Toutes les personnes qui peuvent nous accompagner pour avoir beaucoup plus d’infrastructures pour accueillir les malades sont les bienvenues. Ça me fait mal au cœur quand les familles nous sollicitent et qu’on ne peut pas faire face.

Propos recueillis par Armelle Ouédraogo/Yaméogo
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