Actualités :: Aïd el-Fitr au Burkina : « La meilleure fête, c’est avec les personnes (...)

Les musulmans du Burkina observent dans la nuit de ce jeudi à vendredi 29 avril 2022, « Laylat al-Qadr », communément appelée nuit du Destin. Considérée comme le moment le plus capital du Ramadan, cette nuit est donc pleinement vécue par les fidèles. Dans cette interview, l’Amir, chef missionnaire de la Jama’at (communauté) islamique Ahmadiyya au Burkina, Mahmood Nasir Saqib, revient sur des contours de cette nuit et fait surtout des recommandations par rapport à la fête marquant la fin du Ramadan, l’Aïd el-Fitr.

Lefaso.net : Quel est le bilan de la 30e « Jalsa Salana », satisfaction, leçons ?

Mahmood Nasir Saqib : La « Jalsa Salana » est devenue une importante institution de notre communauté. Chaque pays tient sa « Jalsa Salana », convention annuelle, selon la date qui lui convient. Nous pouvons rendre grâce à Dieu pour avoir permis à toutes les délégations venues de toutes les localités du pays d’être arrivées en bonne santé, d’avoir passé trois jours sans souci et d’avoir regagné leurs localités et familles sans difficulté. La « Jalsa Salana » de cette année a enregistré plus de 10 000 participants, ce n’était pas évident dans le contexte actuel. Nous avons donc prié ensemble, écouté les communications, les messages d’Allah. Les participants sont répartis très heureux de ce rassemblement annuel.

La « Jalsa Salana » a même suscité des émulations à l’intérieur du pays au sein de la communauté. C’est le cas dans la localité de Bama, où la Jama’at islamique ahmadiyya m’a envoyé un message pour dire que de retour, les participants ont décidé d’organiser, eux-mêmes, une « jalsa », courant du mois de mai (2022). C’est dire qu’ils sont très contents et qu’ils vont appeler les villages voisins pour partager les messages de paix, d’amour, de tolérance, de valeurs de fraternité ….qu’ils ont reçus à la « Jalsa Salana ».

C’est dire donc que les gens sont répartis avec une ‘’nourriture’’ spirituelle et très contents. Nous avons également eu, grâce aux reportages et aux réseaux sociaux, un bon retour à travers le monde, de cette 30e « Jalsa Salana » ; les gens nous ont appelé de partout pour nous féliciter de l’organisation et des messages que nous avons partagés avec les participants. La philosophie est que lorsque vous venez à la « Jalsa salana », c’est avec l’esprit d’apprendre. Mais, apprendre pour aller partager avec les autres.

Cette rencontre s’est tenue à quelques jours du mois de Ramadan, mois qui tire vers sa fin. Dans quelles conditions avez-vous accueilli ce mois de jeûne ?

Tout musulman connaît l’importance du mois de Ramadan, un mois très béni. C’est une occasion pour se faire le maximum de bénédictions, bénédictions individuelles et collectives (dans un effort individuel et collectif). Pour préparer le Ramadan, nous avons fait de la sensibilisation, rappelé la vocation du jeûne, en soutenant tous ces messages par la distribution de plus de 50 mille brochures sur les recommandations et les règles en matière de jeûne.

Nous avons aussi partagé, à travers tout le pays, le calendrier du Ramadan (les heures de démarrage et de rupture du jeûne, ndlr). Si vous préparez le Ramadan, il va bien se passer ; le Ramadan est comme un étranger qu’on accueille, il faut bien l’accueillir.

C’est ce que nous avons fait par des messages, des discours, la distribution de brochures, de vivres… Il faut que les gens soient prêts à entrer dans le Ramadan et à vivre le jeûne comme cela est recommandé. C’est un moment qui est long (contrairement au vendredi qui se tient sur quelques heures). Il faut donc le préparer.

Ce sont 30 jours, c’est donc intense, ininterrompu, de sorte qu’on sente le vrai effet du Ramadan. Outre le côté spirituel, le jeûne permet l’équilibre du corps humain. Donc, un jeûne de 30 jours permet de ressentir les effets bénéfiques, même au plan physique. Les 30 jours de jeûne se présentent comme une course de fond et non une course de vitesse. Dieu merci, nous avons pu faire cette étape préparatoire pour entrer dans ce mois.

Cette épreuve sur le long temps implique que le Ramadan soit un moment de communion, pour s’encourager à tenir !

Exactement. C’est nécessaire qu’il en soit ainsi. Il faut s’expliquer et s’encourager, parce que l’homme est faible, si on n’explique pas et ne s’encourage pas, on a tendance à relâcher.

On sait que depuis la crise sécuritaire, la communauté ahmadiyya se soumet à une épreuve de rupture modeste pour ainsi contribuer à aider les déplacés internes avec des vivres. Est-ce le cas cette année également ?

La situation du Burkina Faso est très préoccupante ; aujourd’hui, nous avons plus de 1, 5 million de déplacés internes. Chaque personne doit faire un effort dans le sens de soulager la souffrance de ces personnes. A notre niveau, nous avons deux programmes : un programme permanent qui est de venir en aide constamment aux personnes vulnérables et une autre initiative spécifique au mois de Ramadan. En temps normal, et à travers notre programme classique, nous venons en aide, à travers toutes les localités, aux populations.

Dans ce programme, nous acquérons également des vivres que nous partageons dans toutes les régions. Mais nous avons un programme spécifique au Ramadan et à la fête marquant la fin du jeûne. Dans ce cadre, et dès le samedi 30 avril 2022, nous avons 500 kits composés de riz, sucre, d’huile, etc., qui seront distribués à 500 familles à Kaya, pour la fête. A l’entrée du Ramadan, nous avons également distribué des vivres pour permettre aux gens de faire le jeûne.

Le mois de jeûne rime aussi avec des comportements de certains fidèles, qui exposent à toutes les critiques. Quelle est la bonne attitude à avoir dans l’espace public, la société, lorsqu’on jeûne ?

Votre question est très importante. Vraiment, il faut que les gens comprennent et se ravisent. Allez-y par exemple en Europe, vous verrez que les commerçants, lors des fêtes et évènements religieux, font des promotions pour rendre les produits et articles plus accessibles à tout le monde. Pendant le Ramadan par exemple, les commerçants qui ne sont même pas musulmans, diminuent considérablement les prix des produits pour permettre aux gens de les acquérir. Malgré que des commerçants ne soient pas musulmans, quand vient le Ramadan, ils font des promotions, baissent les prix pour les gens.

Malheureusement, ici, c’est carrément le contraire ; on est commerçant, musulman, on augmente les prix pendant le Ramadan. C’est un comportement qui fait très mal. Cela ne doit pas être le comportement d’un musulman. Pourtant, ce sont les mêmes qui font le jeûne. Vous augmentez les prix sans raison valable. Dans un contexte où les gens souffraient déjà, c’est pour les faire souffrir davantage dans ce mois ! Le commerçant musulman doit plutôt contribuer à faire le bonheur des populations, rendre les produits accessibles.

Tout d’abord, le Ramadan est un sacrifice personnel. Un musulman, il fait le jeûne dans l’obéissance à Allah. Le Ramadan implique que dans les onze mois de l’année, les choses qui étaient « halal » (ce qui est licite) pour le musulman deviennent des « haram » (interdit) dans le mois de Ramadan (tels que manger, boire…dans la journée). Pourquoi cela, parce que c’est dans l’obéissance à Allah.

Et ça, c’est de l’obéissance individuelle. Celui qui fait le jeûne doit améliorer son comportement afin que la société ait les bienfaits de cette attitude positive. Le Saint Prophète (paix et salut sur Lui !) dit que celui qui observe le jeûne ne doit pas parler mal, il ne doit pas insulter, il ne doit pas faire la bagarre, abuser de quelqu’un, déranger, mettre une personne en difficulté. Deuxième élément important, quand une personne fait le jeûne, ce n’est pas pour montrer aux gens qu’on a jeûné !

Le jeûne est personnel, ça ne se fait pas en publicité. Souvent, dans la soirée, vous sentez que les gens font la bagarre, serrent la mine…, c’est quel jeûne ça ? Le Prophète a dit que lorsque vous êtes dans le jeûne, même si quelqu’un veut vous faire la bagarre, dites-lui simplement que vous avez jeûné. C’est la tolérance. Mais chez nous ici, vous voyez les gens serrés la mine, montrer à tout bout de champ qu’ils ont jeûné, ils crachent beaucoup et partout…, je ne sais même pas c’est quoi le problème.

Sur la route, les gens crachent au hasard. Non, ce n’est pas un bon comportement pour un musulman. Le musulman doit montrer un comportement correct et de respect des droits de l’autre. Le Prophète a dit que le musulman n’a pas le droit par exemple d’occuper la voie, c’est un bien public, il ne peut pas l’occuper de sorte à priver les autres, à les déranger. Il ne faut pas barrer les routes, déposer des objets de sorte que ça dérange les autres.

Lorsqu’on bloque une route pour prier, on a contredit le Prophète. Pourquoi occuper des routes pour prier ; si l’espace est petit, cherchez simplement un autre de plus spacieux, sans déranger les autres. Quand vous indisposez le public, même si les gens ne parlent pas, ça dérange. Normalement, le comportement du musulman doit être propre, pas seulement dans le mois de Ramadan. C’est cela l’islam. Mais faire les choses autrement, c’est désobéir aux règles de la religion.

Par exemple, pendant le Ramadan, le commerçant musulman doit davantage être très poli, très honnête, très tolérant, etc. Au Burkina, nous n’avons pas les moyens ; quelle famille n’aimerait pas voir ses membres, les enfants, avoir de nouveaux habits, de nouvelles chaussures, à l’occasion des fêtes ? Mais, un article qui coûtait 2 000 francs, au lieu de baisser à 1 500 francs par exemple pendant le Ramadan, on l’augmente à 2 500 francs. Tout en sachant que même à 2 000 francs, c’était déjà difficile pour les gens. Le commerçant doit, autant que possible, tenir compte de cela, rendre les gens heureux.

C’est dire que les leaders et les communautés religieux doivent vraiment éduquer … !

Tout à fait, c’est nécessaire. Et pendant Ramadan, c’est encore indispensable.

Le mois du Ramadan tire à sa fin, qu’est-ce que le musulman doit garder comme enseignements pour le reste de l’année ?

Ramadan est un mois de formation, globale et intense. Quand on dit formation, c’est qu’on a appris quelque chose pour aller continuer dans la vie de tous les jours. L’être humain est fait de chair et d’esprit (spirituel). De la même manière le corps physique a besoin de nourriture, l’esprit a besoin de ‘’nourriture’’ spirituelle. La ‘’nourriture’’ spirituelle, c’est tout ce qui est enseigné comme valeurs par l’islam.

Ce ne sont pas seulement les prières qui font le musulman ; c‘est aussi être bon dans sa famille, être bon dans la société, avec ses collaborateurs, etc. Si le corps physique ne peut rester vivant sans nourriture, comment l’esprit peut-il l’être sans ‘’nourriture’’ spirituelle aussi ? C’est vrai que pendant le mois de Ramadan, on a consenti beaucoup de sacrifice, mais on doit continuer cet effort d’amélioration personnelle et dans les relations envers les membres de la société.

La nuit du Destin se tient, cette année, du jeudi au vendredi 29 avril. Quelles dispositions faut-il prendre pour tirer le maximum de bénéfice ?

Laylat al-Qadr (la nuit du Destin) est vraie et très importante. Et pour Ramadan 2022, cette nuit a encore un caractère très particulier : la 27e nuit tombe vendredi. C’est une chance pour nous que cette nuit tombe un vendredi (jeudi à vendredi, ndlr). C’est une nuit dont les bénédictions équivalent à 1 000 mois d’adorations, soient plus de 83 ans d’adorations. Cette nuit, il faut la chercher.

Mais comment la chercher ? Tout d’abord, il faut faire des ‘’douas’’ (invocations), de façon sincère, prendre l’initiative d’un grand changement. Laylat al-Qadr, c’est donc le jour où chacun prend la décision de changer. C’est une nuit au cours de laquelle, Allah a révélé le Saint Coran, c’est la Lumière que Dieu a fait jaillir des ténèbres.

Cette nuit de Destin 2022 revêt une grande importance, parce qu’elle a lieu dans la nuit de jeudi à vendredi. Mais, il faut savoir profiter de cette nuit, il ne s’agit pas d’aller se regrouper pour dire qu’on a fait la nuit du Destin. En dehors des cinq prières quotidiennes qu’on fait ensemble, si vous voulez qu’Allah accepte votre prière, réveillez-vous, fermez votre porte, personne ne vous voit, arrêtez-vous devant Dieu et pleurez comme un enfant. C’est-à-dire prier sincèrement.

Pas en Arabe, mais dans votre langue (dioula, mooré, français, etc.). Dites à Allah : je suis votre petit serviteur, je veux que vous me pardonniez, je veux que vous m’acceptiez, que vous m’ouvriez la voie… Pleurez comme un enfant, et vous verrez qu’Allah va vous écouter. La prière, c’est un contact individuel et personnel avec Dieu.

Quand un bébé a faim, il pleure. Quand il pleure, automatiquement, les seins de sa maman se manifestent et tout de suite, la maman s’exécute, quelle que soit la tâche qu’elle fait, elle abandonne tout pour venir s’occuper du bébé. Mais si le bébé ne pleure pas, la maman aussi va vaquer tranquillement à ses taches. Donc, si nous voulons qu’Allah nous écoute, il faut qu’on soit sincère dans nos prières, comme le bébé qui est sincère, lorsqu’il pleure. Donc, pour chercher cette nuit, il faut s’enfermer dans sa chambre, seul, prier, pleurer comme un enfant.

C’est dire clairement que cette nuit fait appel, et avant tout, à une prière individuelle !

Oui, c’est individuel. Cette nuit, c’est un changement individuel, ce n’est pas un effet de foule. C’est cela que nous recommandons à nos membres. Où le Saint Prophète a-t-il eu cette nuit ? Il prenait la nourriture et il se retirait, seul, dans une grotte pour quelques jours.

Il y priait, pleurait. Ça veut dire qu’il faut aller se cacher quelque part, là où les gens ne pensent pas vous trouver. Je demande à chaque personne de se cacher quelque part et pleurer (prier) comme un bébé, demander qu’Allah lui pardonne. Allah aime son serviteur plus que l’amour cumulé de 70 mamans à leurs enfants.

Imaginez l’amour d’une maman pour son enfant, qu’Allah aime son serviteur plus que l’amour de 70 mamans pour leur enfant, c’est dire que c’est inestimable. Je pense que c’est une chance pour le Burkina que le 27e jour tombe sur cette nuit de jeudi à vendredi. Si les gens se mettent au sérieux pour prier, Allah va exaucer les vœux et sortir également le pays des difficultés qu’il vit. Le pays vit des moments difficiles, il a besoin de ces prières.

Comment prépare-t-on la fête marquant la fin du Ramadan, l’Aïd el-Fitr ?

Il faut d’abord remercier Allah pour avoir permis de tenir durant cette importante période. Après la fête, le Saint Prophète faisait six jours de jeûne (pour accompagner le mois). Pourquoi ces six jours ? Dans le Saint Coran, Allah a dit que chaque bonne œuvre est récompensée dix fois. Quand vous prenez les 30 jours du jeûne, plus les six jours et vous multipliez par dix, vous avez 360.

C’est comme si vous avez jeûné 360 jours. Et ce n’est pas fini : le matin de la Tabaski, la demi-journée, c’est-à-dire jeûné du matin à l’après-prière, équivaut à cinq jours de jeûne. Donc, vous avez au total, 365 jours. Donc, celui qui jeûne les 30 jours, plus les six jours de l’après-fête et la demi-journée de la Tabaski, c’est comme s’il avait jeûné toute l’année.

Un message de fin ?

Le Ramadan est un moment de pénitence, c’est le moment où on mesure un peu comment certaines personnes, tout près de nous, peut-être des voisins, souffrent de faim, parce qu’elles n’ont pas à manger. Alors, le jour de la fête, l’Aïd el-Fitr, il ne faut pas que le festin soit entre vous. Les riches en train de fêter entre eux, ce n’est pas une fête.

Selon moi, le jour de la fête, ceux qui ont les moyens doivent sortir pour aller vers les parents, les amis, les voisins, les populations qui n’en ont pas. Il faut approcher les personnes démunies pour fêter avec elles, leur donner des cadeaux, c’est cela le sens de la fête. La meilleure fête, c’est celle avec les personnes démunies, les personnes qui sont dans les difficultés, les malades, etc. C’est ce que nous recommandons et je pense que si on fait la fête ainsi, ça sera bien pour tout le monde.

Interview réalisée par Oumar L. Ouédraogo
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