Actualités :: Jeûne de la femme allaitante : « Elle doit être à l’écoute de son corps et de (...)

C’est le mois de Ramadan au cours duquel les musulmans sont appelés à jeûner. Que dit l’islam du jeûne de la femme allaitante ? Comment allier jeûne et allaitement pour les mamans qui le désirent ? N’y-a-t-il pas de risques de carences pour le bébé lorsque sa mère jeûne ? Quels conseils pour les femmes allaitantes qui décident de jeûner ? Ce sont autant de questions auxquelles a bien voulu répondre Brahima Ouédraogo, nutritionniste-diététicien au Centre national médico-sportif, enseignant de nutrition et diététique à l’Institut des sciences du sport et du développement humain (ISSDH) et membre du CERFI (Cercle d’étude, de recherche et de la formation islamique).

Lefaso.net : Que dit la religion islamique en ce qui concerne le jeûne de la femme allaitante ?

Brahima Ouédraogo : En islam, une femme allaitante en bon état général et sans souci de santé peut jeûner pendant le mois de ramadan. Néanmoins, il est souhaitable à toute femme désirant jeûner de prendre l’avis d’un professionnel de santé avant de le faire. Elle devra tout de même être à l’écoute de son corps et de son bébé et renoncer au jeûne si elle craint pour sa santé ou celle de son bébé en référence à ce verset où Dieu dit : « Pendant un nombre déterminé de jours, quiconque d’entre vous est malade ou en voyage, devra jeûner un nombre égal d’autres jours.

Mais pour ceux qui ne pourraient le supporter (qu’avec grande difficulté), il y a une compensation : nourrir un pauvre… » (S2V184). A travers ce verset, les femmes enceintes ou allaitantes sont des exemples de ces personnes que Dieu a exempté de jeûne, si elles craignent pour leur santé ou celle de leurs bébés, alors c’est leur droit religieux de le rompre. Mieux, certains ulémas « savants » soutiennent même que si elles craignent pour leurs enfants, l’observance du jeûne leur est interdite.

Si elle décide de ne pas jeûner, peut-elle rattraper ?

Oui, la femme qui est enceinte ou qui allaite peut être dispensée du jeûne du mois de Ramadan si elle craint pour sa santé ou pour celle de son bébé. Elle compensera alors par un rattrapage ultérieur et/ou en nourrissant un pauvre pour chaque jour manqué.

Quels sont les modalités de compensations ?

Les savants ont émis trois avis par rapport aux modes de compensation :
Le premier est qu’elle effectue un jeûne de rattrapage pour le jour manqué. C’est l’avis de l’imam Abou Hanifa (Puisse Allah lui accorder Sa miséricorde). Elles doivent effectuer un jeûne de rattrapage à l’instar du voyageur et du malade en vertu de la parole du Très Haut : “Quiconque d’entre vous est malade ou en voyage, devra jeûner un nombre égal d’autres jours.” (S2V184). La femme enceinte et celle qui allaite sont assimilées au malade et non au vieillard incapable. De ce fait, elles effectuent un jeûne de rattrapage quand elles peuvent le faire, fût-ce tardivement, durant toute l’année avant le mois de Ramadan suivant.

Le deuxième avis comporte deux aspects : le premier aspect, si elles craignent pour elles-mêmes, elles n’auront qu’à effectuer un jeûne de rattrapage comme le premier avis. Le deuxième aspect, si elles craignent pour leurs enfants, elles doivent effectuer un jeûne de rattrapage et nourrir un pauvre pour chaque jour manqué. C’est l’avis des imams Ahmad et Chafii (Puisse Allah leur accorder Sa miséricorde).

Le troisième avis est qu’elles peuvent se contenter de nourrir un pauvre pour chaque jour non jeûné. Et elles n’ont pas à effectuer un jeûne de rattrapage. C’est l’avis d’Abd Allah ibn Abbas (Puisse Allah lui accorder Sa miséricorde). Il a été authentiquement rapporté qu’Ibn Abass a dit : « Si, en jeûnant le mois de Ramadan, la femme enceinte craint pour elle-même et la femme allaitante craint pour son enfant, elles doivent alors laisser le jeûne et nourrir, à titre de compensation, un pauvre pour chaque jour, et ne doivent point jeûner ultérieurement (les jours qu’elles n’ont pas jeûné). » Il a été rapporté aussi que le même compagnon a vu une femme à lui, mère de son enfant, en état de grossesse ou en période d’allaitement ; ainsi il a dit : « Tu es du nombre de ceux qui ne peuvent pas supporter le jeûne ; tu dois alors nourrir un pauvre pour chaque jour à titre de compensation, et tu ne dois point faire le jeûne ultérieur (des jours que tu n’as pas jeûné). »

En conclusion, pour le rattrapage des jours non jeûnés il faut se référer à une autorité savante ou l’imam de sa région, les concernées doivent aussi consulter les professionnels de santé pour décider si elles peuvent ou non jeûner pendant l’allaitement selon leur état de santé ou celui de l’enfant.

Une mère allaitante peut donc jeûner si elle s’estime capable…

Oui, une mère allaitante peut jeûner si cela n’altère ni sa santé ni celle de son bébé. Un bébé de 0 à 6 mois, entièrement allaité par sa mère, est en plein développement et a besoin de tous les bons nutriments du lait maternel pour bien grandir et faire en sorte que son cerveau, ses globules… se développent normalement. Si la mère ne jeûne que la journée et si elle s’alimente bien la nuit, son corps fabriquera le lait maternel demandé par l’enfant. Malgré tout, parfois, les besoins du nourrisson en fer ou en calcium, par exemple, ne sont pas couverts. C’est pourquoi l’avis d’un professionnel de santé s’impose.

Si le bébé est un peu plus âgé et que la diversification alimentaire a débuté ou si on pratique un allaitement mixte en alternant tétées et biberons, il faut être vigilant sur l’équilibre des repas de bébé à côté de l’allaitement et vérifier que le bébé ne montre pas de signes de carence.

N’y-a-t-il pas de risques de carences nutritionnelles pour le bébé ?

Le jeûne n’altère pas, selon les études menées à ce jour, la qualité du lait maternel. Le bébé n’est pas à risque de carences nutritionnelles si la mère s’alimente adéquatement durant les périodes de jeûne. Le lait se fabriquera au détriment de la santé de la mère. Mais cela ne peut fonctionner que sur une courte durée et si la mère se nourrit de façon équilibrée et diversifiée après la rupture du jeûne ce qu’elle aurait dû manger le jour. Cependant, lorsque l’état nutritionnel de la maman allaitante n’est pas adéquat, le jeûne peut parfois changer un peu le contenu du lait. En effet, les taux de certaines vitamines et micro-nutriments dans le lait maternel peuvent varier. Une étude a montré que les taux de zinc, de magnésium et de potassium diminuaient si les mères allaitantes jeûnaient pendant le Ramadan. Mais pas de panique ! En fait, cela dépend des réserves de nutriments et d’énergie de la maman. D’où l’importance de manger des aliments sains et variés pour bénéficier de tous les nutriments dont la maman et le bébé ont besoin.

Faut-il modifier les fréquences des tétées ?

Non, Il ne faut pas modifier les fréquences des tétées il faut maintenir le rythme habituel de tétées. Il faut être à l’écoute du bébé car ce n’est pas lui qui jeûne.

La mère doit-elle suivre un régime alimentaire particulier ?

Non, il n’y a pas un régime alimentaire particulier à suivre pour la mère pendant le mois de ramadan. La maman devra avoir une alimentation équilibrée et diversifiée après la rupture du jeûne afin de compenser les besoins journaliers.

Quels conseils pratiques avez-vous à donner à une mère allaitante qui décide de jeûner afin que tout se passe bien pour elle et son bébé ?

Une mère allaitante qui décide de jeûner afin que tout se passe bien pour elle et son bébé doit respecter les conseils suivants :

- Tenir un planning alimentaire afin de s’assurer qu’elle mange et boit suffisamment. S’assurer de boire au moins 1,5 litres d’eau entre le coucher et le lever du soleil. Privilégier les aliments riches en vitamines et en protéines (céréales complètes, fruits et légumes frais…) et également le lait et les produits laitiers pour l’apport en calcium et les protéines et la viande pour l’apport en fer.

- Pour garantir une bonne qualité de lait au bébé, favoriser les aliments qui stimulent la lactation (cumin, fenugrec, soupes, tisanes, dattes, fruits…).

- Rester au frais et se reposer autant qu’on peut pendant la journée, et surtout entre chaque tétée pour assurer le repas de bébé.

- En cas de faible lactation, éviter les aliments très épicés, à base de soja, ou de caféine.

- Et pendant la journée, éviter à tout prix de trop parler lorsque ce n’est pas nécessaire car cela crée une dépense énergétique tout en augmentant la déshydratation. Le mieux est de profiter des pauses de la journée pour se mettre au calme, se détendre et se reposer.

Si elle sent que le jeûne affecte sa santé, elle peut espacer les jours en jeûnant qu’un jour sur deux ou sur trois, ou reporter le jeûne.

Entretien réalisé par Justine Bonkoungou
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