Actualités :: Me Bannitouo Somé, avocat des militaires vétérans du Libéria : "Il faut rendre (...)

En 2002, des militaires burkinabè, vétérans de la guerre civile du Liberia, ont intenté un procès contre l’Etat burkinabè afin que leur soit payées leurs indemnités de mission. Déboutés en 2003 par le Tribunal administratif de Ouaga, ils n’ont pas désarmé et ont relevé appel devant le Conseil d’Etat.

En juin 2005, cette haute juridiction de l’ordre administratif burkinabè a tranché en leur faveur en condamnant l’Etat à leur payer une somme totale d’environ 2 milliards de FCFA au titre de leur dû. En début du mois d’octobre dernier, une première tranche a été débloquée au profit des 349 militaires bénéficiaires de cette manne financière. Nous avons rencontré leur avocat, Me Bannitouo Somé, en vue d’échanger sur cette affaire notamment en certains de ses aspects restés inconnus malgré sa médiatisation. Comment s’est-il saisi du dossier ?

Dans quelles conditions a-t-il travaillé ? A-t-il eu des appréhensions ? Ce sont là quelques unes des questions qui lui ont été posées et auxquelles il répond sans détours.

"Le Pays" : Comment êtes-vous venu dans le dossier ?

Me Bannitouo Somé : C’était avant janvier 2003 à une audience du Tribunal administratif de Ouaga au cours de laquelle j’ai entendu appeler un dossier concernant des militaires et qui a été débattu et mis en délibéré au 30 janvier. Je vous signale que le dossier que je suis allé défendre a été appelé le même jour et mis en délibéré à la même date que celle des militaires. Le 30 janvier 2003, je me présente donc pour écouter le délibéré concernant mon dossier et j’écoute aussi celui des militaires. La décision rendue n’était pas bonne.

C’est-à-dire ?

Les militaires ont été purement et simplement déboutés de leurs demandes. Quand je suis sorti de la salle après avoir pris connaissance de mon délibéré, il y a un militaire qui me connaît très bien qui m’a approché avec quelques uns de ses camarades et ont commencé à me poser des questions sur la suite à donner à leur dossier.

Après les avoir écoutés, j’ai juste dit que l’on pourrait mieux faire et ils sont partis. Par la suite, ils ont tenté de prendre contact avec moi. Un jour, à une station d’essence, il y a un des militaires qui m’a approché pour me demander s’il y avait possibilité pour eux de gagner dans cette affaire s’ils relevaient appel de la décision du Tribunal administratif.

Comme réponse, je lui ai dit que je ne suis pas certain, étant donné que ce n’est pas moi qui décide. Toutefois, je lui ai donné ma position, ma compréhension du dossier à partir de ce que j’ai entendu. Il a insisté sur sa question et j’ai fini par lui dire qu’on ne perd absolument rien en relevant appel. Quelques jours après, les militaires sont revenus me voir au cabinet pour me dire qu’ils me chargeaient de conduire l’affaire. On a un peu discuté et c’est comme cela que j’ai accepté le dossier.

Comment s’est déroulée la gestion du dossier au niveau du Conseil d’Etat de la signification de l’appel à l’enrôlement du dossier ?

A vrai dire, je suis mal placé pour le dire parce que le dossier a été géré au niveau du Conseil d’Etat. En ma qualité d’avocat, mon rôle consiste à concourir à l’instruction du dossier pour que la vérité se manifeste. A mon avis, ce dossier a été géré par le Conseil d’Etat dans des conditions d’impartialité. Toutes les difficultés que nous avons connues dans ce dossier sont les mêmes que celles que nous rencontrons dans les autres. D’un point de vue technique, je n’ai absolument rien à reprocher à quiconque. Je pense que chacun a fait son travail et, bien plus, ce dossier a connu une certaine célérité par rapport à d’autres.

N’avez-vous pas eu des appréhensions par rapport à ce dossier concernant des militaires ? Avez-vous beaucoup réfléchi avant de l’accepter ?

Non, je n’ai pas eu d’appréhensions et j’ai été serein. La réflexion qui a été la mienne est celle que je fais habituellement lorsqu’un client veut me charger d’une affaire. Peu importe la qualité des protagonistes.

L’Etat a été condamné à payer les indemnités de mission de ces militaires qui ont été envoyés au Liberia et a même commencé à s’exécuter. Comment cela se passe-t-il ?

L’Etat fait bien de commencer à s’exécuter. Il finit ainsi de convaincre tout le monde sur son caractère républicain. L’Etat burkinabè est un Etat de droit qui veille à la mise en oeuvre de sa propre réglementation. La réglementation dont le paiement a été mise à sa charge consiste en des indemnités de mission qui font partie de la rémunération des bénéficiaires. L’Etat sait que ces indemnités ont un caractère essentiellement alimentaire. Ce qui est souhaitable c’est qu’il ne subsiste à ce sujet aucune confusion. L’Etat s’est exécuté tout de suite et nous sommes convaincus que notre pays accepte de s’appliquer ses propres lois.

Quelles ont été les difficultés particulières auxquelles vous avez été confronté dans ce dossier ?

Ce sont des difficultés inhérentes à tout dossier. Généralement, les clients ne comprennent pas souvent et n’arrivent pas à accepter la lenteur qu’exige la procédure requise pour instruire le dossier. Cette procédure est voulue par le législateur pour sauvegarder et observer les droits de la défense. Autrement dit, cette lenteur existe souvent pour l’intérêt du justiciable. Mes clients ont été très impatients. Lorsque la décision a été rendue le 24 juin 2005, ils sont venus me voir le lendemain pour percevoir leur argent. Je leur ai fait comprendre qu’il y a une procédure à mettre en oeuvre pour signifier la décision et attendre que l’Etat soit en mesure de payer.

Il nous est revenu que vous avez personnellement payé de votre poche la consignation de vos clients qui s’élève à plus de 2 millions de FCFA. Pourquoi avoir pris un tel risque ? Etiez-vous sûr à l’avance que l’Etat allait être condamné pour que vous puissiez récupérer votre argent ?

Il peut y avoir entre un avocat et ses clients des relations personnelles. Dans le cas de ce dossier, c’est pour parer au plus pressé, nous avons pourvu au règlement de la consignation lorsque la mise en demeure nous a été faite. Je précise que mes clients ne me doivent plus rien à ce titre. Pour répondre à votre question, ce qui m’a motivé à payer la consignation est que je ne voulais pas que pour des sommes de 4 000, 5 000 FCFA à débourser par personne, cette affaire soit classée sans suite. Compte tenu aussi de sa grande médiatisation, je ne voulais pas que l’affaire connnaisse un tel sort.

Si jamais le Conseil d’Etat avait confirmé le jugement rendu en première instance, comment alliez-vous récupérer votre argent ?

La très forte médiatisation peut donner un aspect particulier à une affaire. En pareille circonstance, les responsabilités qui incombent aux acteurs sont énormes et il est bon d’en prendre conscience tout en restant libre et indépendant.

Vous avez tantôt dit qu’il n’y a pas eu de problème particulier entre vous et vos clients, pourtant il nous est revenu que vous vous êtes retrouvé devant le bâtonnier pour une question d’honoraires. Qu’est-ce qui s’est passé ?

J’espère que vous faites la différence entre ce que les gens disent quand ils ont pris une bière de trop et la réalité. Lorsque l’on m’a confié le dossier, le contrat y relatif était silencieux sur certains points (NDLR : il nous montre la requête aux fins d’interprétation adressée au bâtonnier). J’ai pensé que dans un souci de clarté et de sécurité juridique (je ne le fais pas dans tous les dossiers), il y a lieu de demander au bâtonnier d’encadrer la mise en exécution du contrat vu que l’affaire était fortement médiatisée et que tout dérapage était susceptible de nuire.

Je lui ai alors adressé une requête dans laquelle j’expliquais qu’il y avait un vide contractuel. Je lui ai demandé de donner la conduite à tenir aux fins d’une sécurité juridique. Il n’y avait pas de problème particulier et c’est moi qui ai demandé au bâtonnier de convoquer mes clients et de les entendre étant donné qu’il m’a entendu en ma requête (NDLR : il lit la demande formulée). Le bâtonnier m’a rendu une ordonnance que j’ai appliquée à la lettre ; je le remercie pour cela.

Si vous avez eu recours au bâtonnier, cela veut dire quelque part qu’à un moment donné, vous avez douté que vos clients n’allaient pas vous payer !

Peut-être que les gens voulaient qu’il y ait forcément un problème. J’ai seulement voulu éliminer tout débat, que la situation soit claire. En outre, mes clients ont jusqu’à présent fait montre d’une discipline et d’un sens de responsabilité très élevé. Je leur en suis reconnaissant.

Au début de l’affaire, c’est l’agent d’affaire Claude Sawadogo qui défendait les militaires. Au stade de l’appel, c’est vous qu’on a le plus vu alors qu’à notre connaissance M. Sawadogo n’a pas laissé tomber le dossier. Qu’est-ce qui s’est passé ?

Je me vois en mauvaise posture pour parler de contrat conclu entre Claude Sawadogo et les militaires. Dans tous les cas, tout justiciable organise sa défense comme il veut pourvu qu’il observe l’ordre public et les bonnes moeurs.

Pour une meilleure défense des intérêts du client, les différents avocats doivent travailler de concert !

Je préfère ne pas répondre à cette question parce que j’ai des limites qui sont celles du contrat.

Il y a une première tranche de la somme totale que l’Etat a débloquée en début octobre et qui a été déjà payée aux vétérans. A quand la prochaine tranche ?

Franchement, je ne saurais le dire. Je fais confiance à l’Etat et je me convaincs qu’il ira jusqu’au bout de ses engagements.

A la date du 17 novembre, 345 des 349 bénéficiaires de la manne étaient passés à la caisse. Les quatre autres restants ont-ils pu toucher leur dû à la date d’aujourd’hui (NDLR : l’interview a été réalisée le 22 novembre) ?

Concernant les quatre, il y a un problème avec le nom Ouédraogo Adama. Il y a cinq Ouédraogo Adama qui veulent toucher alors que sur la liste, nous avons quatre personnes qui portent ce nom. Il faut éliminer un Ouédraogo Adama parce qu’il y a un qui est faux et nous sommes en train d’instruire la situation.

Comment vous sentez-vous aujourd’hui après avoir gagné votre procès contre l’Etat qui a même commencé à s’exécuter ?

Je n’ai pas de sentiment particulier. Je ne pense pas avoir gagné un procès. La situation qui existe aujourd’hui est la conséquence de la volonté manifestée par les institutions de l’Etat (donc l’Etat lui-même) de donner la voie à suivre. Il faut rendre hommage à l’Etat qui est un Etat républicain, un Etat de droit veillant à la mise en oeuvre de ses propres lois même quand celles-ci vont à l’encontre de ses intérêts. Si vous tenez à savoir, c’est l’Etat lui-même qui a gagné. Et à travers l’Etat, il faut reconnaître le professionnalisme et la volonté de tous les membres du Conseil d’Etat de régler cette affaire conformément à la réglementation en vigueur. Comme haute juridiction, elle nous laisse une jurisprudence et un exemple qu’on pourrait suivre

Etes-vous prêt à vous saisir d’un dossier similaire si jamais on vous le demandait ?

Je suis un avocat inscrit au tableau de l’Orde et je procède ainsi : si je suis consulté pour une affaire, mon obligation première est de conseiller mon client et non d’aller systématiquement au contentieux. Si les faits ne sont pas favorables au justiciable, je prendrai soin de le lui signifier et de le sensibiliser sur les risques à prendre. Vu sous cet angle, je ne vois aucun inconvénient à prendre un dossier.

En somme, il n’ y a pas de dossier qui puisse vous faire peur !

La peur est un sentiment qui signifie qu’il y a deséquilibre. Pour ne pas être deséquilibré par l’enjeu d’une affaire, il est bon d’avoir recours aux bons conseils des anciens avocats et magistrats, à la science des universitaires sans préjudice de la dictée de sa conscience personnelle. Pour cette raison, je ne vois pas comment un dossier peut faire peur à un avocat.

Le Pays

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