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Issa Tiendrébeogo, SG de la Mairie de Piéla : “Pour une bonne décentralisation, il faut dépolitiser la fonction de secrétaire général”

mardi 27 mars 2018.

 

Une décennie maintenant que le Burkina Faso est engagé dans le processus de décentralisation intégrale. Avec ses forces, mais aussi ses insuffisances, ce système de gouvernance s’appuie sur un certain nombre d’acteurs majeurs..., aux côtés des politiques (conseillers municipaux). De ceux-là, les secrétaires généraux des mairies. Par le truchement de sa rubrique, « Vie des communes du Burkina », qui a mis le cap sur la commune rurale de Piéla, Lefaso.net a échangé avec le secrétaire général (SG) de la Mairie de cette bourgade sise à environ 240km à l’Est de la capitale. Dans ce second volet du zoom sur ladite commune, Issa Tiendrébeogo analyse et fait des suggestions pour un bon encrage du processus de décentralisation.

Lefaso.net : A travers vous, peut-on savoir un peu plus sur les missions dévolues à un secrétaire général de mairie ?

Issa Tiendrébeogo : C’est la cheville-ouvrière de la Mairie. Il joue la coordination des services de la Mairie (la mairie et non la commune). Il assiste le maire dans la mise en œuvre de sa politique communale. Il est également chargé de la coordination des activités de la coopération décentralisée (c’est-à-dire quand il y a des partenaires qui viennent, tout passe par le secrétaire général, il n’a pas pouvoir de décision, il rend compte au maire qui décide sur son avis).

Lefaso.net : On relève de vos propos que le secrétaire général d’identifie à la mairie et non à la commune. Que faut-il comprendre exactement par-là, quand on sait que la compétence territoriale du Conseil municipal, c’est la commune ?

Issa Tiendrébeogo : Il ne s’identifie pas à la commune, parce que dans la commune, il y a d’autres services (des services déconcentrés de l’Etat). Pourtant, ici, il s’agit de la coordination des services de la Mairie. Mais, la mairie, elle-même, est décentralisée. Donc, ce sont seulement les services de la mairie et non les services de la commune.

Lefaso.net : Quels sont les rapports que vous avez donc avec les autres services déconcentrés de l’Etat ?

Issa Tiendrébeogo : Le secrétaire général de la commune est celui-là par qui passent les autres services de la commune pour recueillir ou donner des informations au maire. Avec l’organigramme des mairies, normalement, tout document doit passer au niveau du secrétaire général qui donne son avis technique (conformément aux textes en vigueur) avant de l’envoyer au maire.

Lefaso.net : L’une des préoccupations partagées par les communes rurales, c’est au niveau du contrôle financier. Quelle est la situation ici à Pièla ?

Issa Tiendrébeogo : Il faut dire que le contrôle financier est aussi un service déconcentré du ministère de l’économie et des finances, en charge du contrôle des marchés publics. C’est en réalité un conseiller financier du maire. Maintenant, c’est une chaîne ; nous montons les dossiers et les envoyons à son niveau. Il les regarde et si c’est conforme aux textes en vigueur, il fait suivre le cours. Effectivement, il arrive que pour des questions de compréhensions (eux, ayant des bagages que nous n’avons pas, c’est sûr que des difficultés ne manquent pas). C’est pour cela également qu’on nous met sur la même table parfois pour des renforcements de capacités.

Lefaso.net : Il revient également avec récurrence, la lourdeur dans le déblocage des marchés publics, handicapant le fonctionnement de certains projets dans les communes !

Issa Tiendrébeogo : C’est exact ; parce que vous avez d’une part, une Mairie qui a la pression de la population et d’autre part, des services techniques de l’Etat soumis à de la réglementation. Donc, souvent, il faut vraiment un management entre la Mairie et ces services pour que les choses avancent. Il y a aussi, au niveau des services du contrôle, l’insuffisance des ressources (si on peut le dire ainsi). Si je prends notre direction provinciale (composée du directeur et de deux agents), qui doit s’occuper de toutes les communes de la province et les autres services, on peut imaginer le volume de travail. On imagine qu’ils ne peuvent pas être efficaces à tout moment pour répondre à temps aux préoccupations des communes. Cela aussi pourrait expliquer les difficultés à ce niveau.

Lefaso.net : Les Conseils municipaux sont aussi, et parfois, traversés par ces tensions politiques…, nuisibles à la quête de développement à la base. Quel est le constat avec le Conseil municipal de Pièla ?

Issa Tiendrébeogo : Il faut dire que dans cette commune, le Conseil municipal travaille en parfaite cohésion. Mais, je peux dire que cela s’explique par le fait que le premier responsable, le maire, ne prend pas seul les décisions. Il a toujours consulté tout le monde avant ses décisions. Je pu même affirmer qu’il n’agit pas en tant qu’homme politique, il est-là pour le développement. Si fait qu’il n’a vraiment pas de problème à ce niveau. Voyez-vous, dans ces situations, souvent, c’est la tête ; quand la tête donne le ton, il n’y a vraiment pas d’autres considérations partisanes. Ici, on constate que toutes les décisions le sont de façon participative. Outre cette disposition personnelle du maire, il y a la « journée du dialogue communal » qui permet vraiment de créer un bon esprit de cohésion. Souvent, c’est au niveau des populations ; si elles sont satisfaites, les conseillers ne peuvent pas donner de fausses informations. Ici, la population est satisfaite parce que le Conseil municipal rend régulièrement compte (ce qui a été annoncé comme réalisations, ce qui l’a été effectivement, ce qui est entré comme ressources…). Donc, quand les gens savent où vont leurs ressources, il n’y a pas de problèmes ; parce que souvent, les gens n’ont pas les bonnes informations et le fait de communiquer permanemment lève beaucoup de préoccupations à leur niveau et instaure la confiance entre elles et le Conseil municipal. Donc, il y a un véritable système mis en place pour favoriser cette cohésion.

Lefaso.net : Les communes rurales, c’est aussi la préoccupation relative à la qualité des ressources humaines (des conseillers municipaux qui ne comprennent pas la langue de travail qui est la français…). N’est-ce pas une insuffisance à votre niveau ?

Issa Tiendrébeogo : Il faut dire que sur les 77 conseillers, nous avons 41 qui ont au moins un niveau supérieur, moyen ou alphabétisés. Donc, ceux qui ne comprennent pas se voient expliqués les débats. Qu’à cela ne tienne, il y a toujours des difficultés liées à cette réalité ; parce que celui-là qui comprend le fonctionnement du Conseil municipal et l’autre qui ne comprend pas, ils n’ont pas la même façon de réagir. Pourtant, le conseiller municipal doit rendre compte des décisions et actions aux populations. Souvent, les populations ont des informations, qui ne sont pas avérées, il appartient donc aux conseillers de les expliquer en s’appuyant sur les textes. Mais, quand un conseiller municipal ne sait pas lire, c’est effectivement compliquer à ce niveau.

Lefaso.net : Quelles sont les difficultés que vous avez identifiées en 18 mois de fonctionnement et qui sont spécifiques à la commune ?

Issa Tiendrébeogo : En toute sincérité, il n’y a pas de difficultés spécifiques ; parce que le maire a privilégié la communication. Lui, il est politique, moi, je suis administratif. Les gens peuvent aller le voir par rapport à certains actes. Mais, il les renvoie toujours au secrétaire général. Ce qui fait qu’il n’a vraiment pas de problème, parce qu’il sait manager et suivre la logique. Il ne privilégie personne par rapport à une autre. En tout cas, depuis l’installation du Conseil municipal, je n’ai vraiment pas senti de tension quelconque ; les débats sont ouverts, chacun est libre de prendre la parole, etc.

Lefaso.net : Une décennie maintenant que le Burkina a opté pour la décentralisation comme système de gouvernance. En tant que technicien, quelles sont les insuffisances que vous relevez et quelles suggestions pouvez-vous faire aux dirigeants à ce sujet ?

Issa Tiendrébeogo : D’abord, nous, les secrétaires généraux des Mairies (et c’est à l’endroit même de notre ministère de tutelle, Ministère de l’Administration territoriale et de la décentralisation), il faut qu’on nous outille, conséquemment. Aujourd’hui, si un secrétaire général n’est pas capable de conseiller son maire, c’est vraiment difficile que son Conseil municipal réussisse. Nous, par exemple, nous sommes loin de Ouagadougou et travaillons sur la base de documents. La difficulté, c’est comment avoir même ces documents pour pouvoir être efficacement utiles à nos premiers responsables. Pour pouvoir également avoir une bonne décentralisation, il faut qu’on dépolitise un peu la fonction de secrétaire général. Je le dis (même si je n’ai pas été touché par les mouvements, je le dis à l’endroit de notre ministère de tutelle), le secrétaire général on le relève quand et comme on veut. Il suffit aujourd’hui que le maire ne soit pas content de son secrétaire général…, aucune disposition n’existe pour le protéger. Quand on n’a pas besoin de lui, pour un simple geste, il est relevé de ses fonctions et le ministère (de tutelle) ne dit rien. C’est parce qu’on n’a pas l’occasion de le dire directement au ministre.

Le secrétaire général étant au cœur de l’administration de la Mairie, quand il part d’une certaine façon, ce sont des informations importantes qui partent. C’est aussi une situation qui peut envoyer à vouloir prendre partie pour le maire, même quand ça n’arrange pas ce dernier. Pourtant, dire la vérité à une autorité n’est pas être contre elle ; c’est même l’aider à ne pas être poursuivie quand elle ne sera plus aux affaires. Ce n’est pas parce qu’une décision n’arrange pas l’autorité qu’il faut fermer les yeux dessus. Mais, certains le font pour simplement préserver leur poste. Donc, du côté du ministère de tutelle, il faut qu’on dépolitise l’administration (le maire et les conseillers sont politiques, mais il faut travailler à permettre aux secrétaires généraux d’être vraiment indépendants). Comme autre suggestion, c’est au niveau des conseils municipaux ; si on pouvait relever leur niveau, ça va rendre un grand service aux communes et au pays.

Aussi, il faut revoir le mode d’élection du maire. Actuellement, le maire est désigné par les conseillers municipaux. En le plaçant-là, ils sont tentés de jouer des calculs politiques. Si fait qu’une fois élu donc, ce maire ne peut pas avoir des coudées franches pour bien travailler, il est obligé de tenir compte de certaines considérations individuelles. Il réagit, mais avec pour souci de préserver son poste. Par contre, s’il est élu directement, comme le président du Faso, on essaie de réfléchir aux modalités d’élection de ses adjoints et des responsables de commissions, il sera libre pour travailler au service du développement. Autre point également, c’est de toujours rappeler aux maires qu’ils doivent rendre compte (comme le dit le Code général des collectivités territoriales au Burkina Faso). Dans ce souci, il faut les sensibiliser pour ne pas que ce soit un simple formalisme. Au plan local, il faut aussi promouvoir les entreprises. Nous sommes-là à toujours compter sur l’Etat, pourtant, si au niveau local, la commune regorge d’entreprises, les choses vont bouger dans un bon sens. Pour le moment, les domaines qui nous sont transférés, ce sont l’éducation et la santé. Pourtant, on n’a pas que cela à faire, il faut créer des créneaux d’emplois au niveau des communes ; cela va permettre aux collectivités d’avoir des ressources nécessaires pour faire face aux préoccupations des populations.
Donc, à mon avis, il faut redéfinir certains aspects de la décentralisation au Burkina Faso.

Lefaso.net : Pour terminer notre entretien !

Issa Tiendrébeogo : C’est d’abord vous remercier pour être venu jusqu’ici pour mettre en exergue notre commune. Votre apport en tant que média, surtout en ligne, est capital pour le succès de notre processus de décentralisation. Les communes doivent se mettre en lumière, se faire connaître…pour attirer non seulement ses ressortissants, mais également les partenaires à travers le monde. C’est donc une vraie opportunité que votre organe, Lefaso.net, offre aux collectivités à cette ère de coopération décentralisée.

Pour dire également que dans notre requête du développement, nous avons besoin de tout le monde. Il faut se donner la main sur les questions de développement. Certains maires sont contestés, pas parce qu’ils sont forcements incompétents, mais par manque de ressources pour répondre aux attentes de leurs populations.
Je saisis, une fois de plus, cette opportunité que vous nous offrez (parce que je sais que nous serons lus par nos autorités compétentes) pour revenir sur le cas des secrétaires généraux. Je n’en ai pas encore été victime, mais il revient de plusieurs communes, des situations déplorables. Les gens doivent comprendre que le secrétaire général de la Mairie doit travailler conformément aux textes, éclairer le maire dans sa prise de décision. Maintenant, si le secrétaire général a peur de dire la vérité au maire, à la fin il ne rend pas service au maire et à son conseil municipal. Vraiment, que le ministère revoit un tant soit peu le mode de nomination des secrétaires généraux. Ce sera un grand service à nos conseils municipaux, ça fera du bien à nos communes et c’est tout le pays qui y gagne.

Entretien réalisé par Oumar L. Ouédraogo
Lefaso.net


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