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Hugues Fabrice Zango, athlète burkinabè : « Je veux être le premier Africain à monter sur le podium du triple saut mondial »

dimanche 4 mars 2018.

 

Question pour un champion : Qui détient le record africain du triple saut hommes en salle ? Pour ceux qui suivent l’actualité sportive, eh bien c’est Hugues Fabrice Zango ou Fab comme ses intimes l’appellent. Source d’inspiration, pour certains, ouvert, humble, gentil et serviable pour d’autres, les mots ne manquent pas pour qualifier le record africain du triple saut hommes avec une performance de 17m23.

Du haut de ses 1m80, l’athlète burkinabè Hugues Fabrice Zango ne finit pas de faire parler de lui tant dans la petite ville de Béthune située dans le département Pas de Calais, en France, que partout dans le monde. Classé 3e dans le top 5 mondial du triple saut hommes, il rêve secrètement, tout en y travaillant, de décrocher une médaille pour les mondiaux de l’athlétisme cette année (mars 2018) et les Jeux Olympiques (JO) prochains en 2020. Une fierté qu’il veut donner à l’Afrique en brisant le mythe pour une première fois dans l’histoire du triple saut mondial. Pour cela, il a le soutien de ses parents et particulièrement son frère qui est son parfait confident. Le jeune athlète burkinabè qui résiste difficilement à la viande, comme tout bon athlète, est conscient de ses responsabilités et est par ailleurs convaincu que le sport est un facteur d’intégration et de rassemblement.

C’est un jeune homme posé (no stress), intelligent, puisqu’il a été major de sa promotion en 2017 avec une moyenne de 17/20 à l’Université d’Artoi où il fait un master en génie électrique et bientôt un doctorat, que nous avons rencontré à Béthune le 18 février 2018. Son tic préféré : « C’est le Gotham city », pour témoigner de la hargne avec laquelle il travaille quotidiennement en vue de réaliser ses rêves. Et s’il a un conseil à donner aux jeunes, c’est de prendre le risque d’entreprendre. Et même s’il ironise, il ne s’exclut pas un jour de devenir président tout comme Georges Weah, l’ancien footballeur devenu aujourd’hui président du Libéria. A l’instar du ‘’maestro’’ Idrissa Ouédraogo qui a malheureusement tiré sa révérence, Hugues Fabrice Zango pourrait porter le flambeau du Burkina Faso et de toute l’Afrique là où on ne l’attend pas forcément.

Lefaso.net : En quelques mots, peux-tu te présenter ?

Hugues Fabrice Zango : Je suis Hugues Fabrice Zango. Je suis athlète burkinabè depuis 2011. Je fais du triple saut. Actuellement, je détiens le record du Burkina en triple saut aussi bien en salle qu’en plein air. J’ai déjà été vice-champion d’Afrique et là je suis détenteur du record d’Afrique en salle.

Pourquoi as-tu choisi l’athlétisme et plus spécifiquement le triple saut ?

Il faut dire qu’au secondaire déjà au Burkina, on faisait le triple saut, comme épreuve physique et sportive. J’étais déjà rapide. Je croyais que j’étais fait pour les‘’100m’’ ou le ‘’60m’’. Mais bon, j’étais inscrit à l’USSU-BF (Ndlr : Union des sports scolaires et universitaires du Burkina Faso) alors que j’étais en classe de première. J’allais pour les 100m, normalement j’étais censé gagner. Je n’ai jamais perdu un 100m, ça c’était à l’époque bien sûr. Et je suis allé, les ‘’PMKalistes’’ (Ndlr : élèves du Prytanée militaire du Kadiogo) m’ont mis la raclée de ma vie là-bas. Donc j’ai été 4e aux 100 m. A coté, il y avait l’épreuve du triple saut. En fait, on avait deux choix à faire. Donc, je suis allé au triple saut et j’ai sauté 13 mètres. Je ne connaissais même pas le niveau mondial. Ça ne m’avait jamais intéressé de faire l’athlétisme de toute façon. Quand j’ai sauté les 13m, j’ai été premier. Et puis mon coach, Monsieur Sanou Christian, m’a repéré parce qu’il était à côté des juges. Il a vu les résultats et il a demandé à savoir la personne qui avait fait cette performance. Il m’a donc repéré, il a pris mes contacts et après il m’a appelé une semaine plus tard en me demandant si je voulais venir m’entraîner au stade du 04 Août. J’ai mis quand même un mois avant d’aller entamer la première séance, parce que pour moi ça ne me disait pas grand-chose au début.

Je suis allé et à la première séance, je me suis rendu compte qu’il y avait quelques techniques d’élévation de genou que je ne savais même pas faire. Moi j’aime relever les défis, et je ne trouvais pas normal que je ne sache pas faire ça. Ça m’a plu le premier jour. Mais je pense que c’est parce que je ne savais pas le faire en fait. Après j’ai fait deux ou trois entrainements, j’y ai pris goût. Je suis reparti. Mais là, je m’entrainais une ou deux fois par semaine. Ça me plaisait d’aller les jeudis soirs après les cours au Collège De La Salle. Et puis, c’est parti comme ça. J’ai fait ma première compétition de triple saut. C’était en mars 2011. Et là, j’ai pu réaliser encore 13m mais j’étais dernier du concours, parce qu’au niveau national il y en avait qui sautaient 15m notamment Thierry Antanabou. Et je me suis dit : ‘’Comment peut-il sauter 15m pendant que j’en étais incapable.’’ J’ai donc redoublé d’effort à ce moment. Et un mois plus tard j’ai sauté 14m80. Je me suis rendu compte que j’avais quelque chose à montrer à ce niveau parce qu’aux 100m, je n’arrivais pas à m’en sortir. On me mettait toujours ma raclée. Donc ce n’est pas par préférence que je suis allé au triple mais plutôt par contrainte.

Comment t’est devenue la passion pour cette discipline ?

Comme on le dit, « l’appétit vient en mangeant ». En fait, c’est quand quelque chose me résiste que je suis de plus en plus intéressé par la chose. Donc quand j’ai commencé, je n’étais pas vraiment au top, j’étais dernier au triple saut. Mais j’ai vite progressé, ç’a commencé à me plaire. En ce moment je me suis posé un certain nombre de questions : ‘’Si au niveau national, les gens sautent 15m, combien les gens sautent au niveau africain ainsi qu’au niveau mondial ?’’ Donc j’ai commencé à chercher à voir ce que les gens faisaient. Et en fin 2011, il y avait les championnats du monde en plein air. J’ai regardé en fait la finale du triple saut en étant sur mon canapé. J’ai vu des gars qui sautaient les 17m. J’ai dit : ‘’Là, il faut qu’un jour moi aussi je saute comme ça (en se tapant le revers de sa paume droite sur sa paume gauche). C’était juste des rêves d’enfant, de collégien ou de lycéen. Ç’a commencé à me plaire parce que ça me résistait aussi. Mais, je progressais centimètre par centimètre. Et la passion est venue. Aun moment donné quand tu es féru de quelque chose, tu ne peux plus lâcher.

Le fait de ta venue en France a-t-il été motivé par les études ou plutôtpar l’athlétisme ?

J’ai fait 2iE (Ndlr : Institut international d’ingénierie de l’eau et de l’environnement) de 2012 à 2015. On a eu quelques difficultés notamment des problèmes administratifs. Je me suis dit qu’il fallait que je tente une expérience ailleurs, en finissant mes études d’ingénieur. Je voulais donc venir en France pour finir mes études. Et à côté, je n’étais pas mal en athlétisme. Ce qui m’a davantage motivé en 2015, c’est quand j’ai été aux championnats mondiaux universitaires en étant à 2iE. J’ai vu qu’en fait cette même performance réalisée dans d’autres contextes comme en France par exemple pourrait me rapporter d’autres choses, comme une reconnaissance un peu plus grande. Et puis depuis 2015, j’ai pensé à venir en France. Finalement, j’ai décidé de faire mes papiers en 2016 pour venir ici. 2016 était également l’année des jeux olympiques. J’ai demandé à des clubs s’ils pouvaient en fait me faire venir chez eux. Et mon club actuel, l’Artois Athlétisme, m’a répondu favorablement. Il y avait un autre qui avait accepté mais eux (les responsables Artois Athlétisme) avait répondu plus tôt. Donc j’ai accepté de venir ici et puis c’est parti comme ça. J’avais aussi eu des admissions à Lille et d’autres propositions. Mais en fait, je n’avais pas déposé mes dossiers pour l’Université d’ici (Université d’Artois). Mais comme j’étais là et puis ils connaissent un peu des gens dans la ville notamment certains responsables, ils ont pu négocier une place pour moi. C’est comme ça que j’ai atterri en France.

En tant qu’étranger en France, comment s’est passée ton intégration à Artois Athlétisme et à l’Université d’Artois ?

Comme je le disais, je suis déjà venu en mai 2016 pour préparer les Jeux Olympiques de Rio pendant un mois. Donc, quand la presse locale a su qu’il y avait un futur olympien qui venait à l’Artois Athlétisme pour s’entraîner et préparer les championnats du monde, j’ai été approché tout de suite et mon nom est sorti dans la zone ici (Ndlr : Béthune, Nord Pas de Calais). Et l’Université me connaissait aussi par la presse. Quand je suis arrivé en septembre 2016, c’était franchement facile pour moi, c’est comme si je connaissais déjà le coin, parce que j’avais déjà fait un mois ici donc ce n’était pas franchement difficile pour moi. Surtout l’Artois Athlétisme, c’est comme une famille pour moi. Les responsables m’aident sportivement et aussi avec des bons.

Performance record à 16m97 réalisée en août 2017, aux mondiaux universitaires 2017, record africain en salle avec 17.23m cette année. Quel est le secret de Fabrice ?

Franchement c’est l’entraînement. J’ai un ami qui était venu ici, Rodrigue. Il m’a vu m’entraîner pendant deux jours. Il a conclu qu’il comprend maintenant mes performances. Franchement, c’est du courage parce qu’à un moment donné, tu as envie d’abandonner. Ça ne fait pas forcément plaisir de sortir courir à -2° ou de faire des exercices après lesquels tu as mal partout quand tu rentres à la maison. Et avec les études, ce n’est franchement pas du jeu. Mais je me dit quand tu sais ce que tu veux, surtout quand tu t’es fixé un objectif depuis 2012 de monter un jour sur un podium olympique.2016, ce n’était pas possible donc ce sera en 2020. Je travaille pour cela, il ne faut pas que je passe à côté. Il ne reste plus que deux ans de souffrance, je vais tout donner. Mon secret, c’est le travail.

Qu’est-ce qui s’est passé en 2016 pour que tu passes à côté du podium olympique ?

En 2016, j’étais déjà le 2e performeur africain. Avec ma performance, ça me permettait d’attendre la finale et d’être peut-être parmi les 6 premiers aux JO, mais le problème c’est qu’après le championnat d’Afrique, j’ai fait une compétition à Johannesburg où je me suis ‘’pété’’ le talon. Donc je suis arrivé aux JO diminué de la moitié de ma performance. Ce n’était pas possible de sauter, parce que ça me faisait extrêmement mal. Et la douleur a persisté de juillet jusqu’en novembre. C’est ici que je suis venu me soigner. Voilà pourquoi aux JO 2016, je suis sorti par la petite porte. Et ça, ça m’a fait très mal.

Revenons aux mondiaux de Londres 2017auxquels tu n’as pas pris part malheureusement. Pourquoi ?

Effectivement après les JO, ça m’a fait tellement mal que je me suis remis à m’entraîner. Je me suis beaucoup entraîné pour corriger cette bourde que j’avais commise à Rio pour pouvoir faire au moins une finale aux championnats du monde, parce que ce serait une première fois pour le Burkina. J’ai réalisé mes minima. Tout était bien, j’étais invité. Malheureusement, au niveau de la Fédération, ç’a été difficile de faire les papiers finalement je n’ai pas pu avoir le visa. Donc, voilà c’était un problème de visa tout simplement.

Est-ce à dire que l’introduction du dossier pour la demande de visa ne s’est pas faite à temps ?

Alors, il y a un peu du tout, parce qu’à un moment donné, on avait un mois et une semaine pour obtenir le visa. Mais il y avait un mauvais renseignement, je dirai, parce qu’on a introduit la demande de rendez-vous pour le visa carrément vers le 20 juillet (au moment des Jeux de la Francophonie). C’était déjà tard, parce que pour introduire une demande de visa pour l’Angleterre, il faut s’y prendre trois semaines à l’avance absolument. Je pense qu’il y avait un mauvais renseignement et un peu de tout. C’est pour ça qu’on n’a pas pu avoir le visa pour moi. Eh bien, ça m’a fait très mal.

Et quel type de relation entretiens-tu avec la Fédération burkinabè d’athlétisme ?

Je dirai que (quelques hésitations) ce sont des relations professionnelles. Ils m’appellent quand il y a une compétition ou quand je leur dis mes souhaits de participer à telle ou telle compétition. Par exemple, si je fais les minima, je dois participer aux championnats du monde.

Aujourd’hui 18 février 2018, s’est passé dans le stade mythique de Liévin le championnat français de l’athlétisme ? Tu t’en es sorti avec une médaille d’argent. Es-tu satisfait de tes performances d’aujourd’hui ?

(Un peu d’hésitations) Quand on va à un championnat, ce n’est pas la performance qui compte normalement. On va dans les meetings pour faire des performances et on va dans les championnats pour gagner des médailles, c’est vraiment pour des titres. Alors, oui, j’ai eu une médaille, c’est déjà pas mal. Mais le hic, c’est que la première marche du podium était accessible quand même. J’arrivais avec la meilleure marque avec 17m23, donc j’étais le favori. Et j’ai déjà sauté au-delà des 16.m89 (premier) au moins quatre ou cinq fois cette saison. Normalement, j’aurais pu répondre à cela mais les conditions n’étaient pas réunies. Il y avait de la fatigue due à l’école. Néanmoins, j’ai pu mettre en valeur mes talents pour aller chercher cette médaille. Je suis satisfait par rapport à ma performance du jour. Et je pense dans deux semaines, pour les mondiaux, et ce sera quelque chose de bien.

En parlant des prochains mondiaux, que promets-tu comme performance ?

Comme je le disais tout de suite, ce ne sont pas les performances qui m’intéressent, c’est un championnat du monde. Pour le moment aucun Africain n’est déjà monté sur un podium pour le triple saut mondial et j’espère que cette fois-ci on va briser ce mythe-là. Le signe indien sera vaincu si tout va bien (sourire).

Ce qui présage que tu seras peut-être présent aux JO 2020 ?

Oui. Les minima des Jeux Olympiques vont commencer l’année prochaine. A moins d’une catastrophe, réaliser des minima qui sont souvent fixés à 16m80, sera du gâteau. Maintenant ce n’est pas participer aux Jeux Olympiques qui m’intéresse, c’est aller chercher une médaille qui sera le défi à relever. La participation, je l’aurai facilement.

Pour toi alors, qu’est-ce qu’un bon athlète ? Aurais-tu peut-être un modèle ?

Si j’ai un modèle, c’est trop dire, parce qu’il y a énormément d’athlètes que je respecte. Pour être à ce niveau, je sais que ce qu’ils subissent à leur niveau, c’est grave. Il y a des gens que je respecte énormément, notamment le champion olympique du triple saut que j’espère battre aux Jeux de Tokyo parce que je les respecte mais je compte les battre. Parcontre, je ne suis pas forcément un modèle, car il y a beaucoup de gens qui me disent que je suis leur modèle. Souvent, ça me fait rire et je me dis : ‘’Qu’est-ce que j’ai fait pour être un modèle ?’’ Par ailleurs, un bon athlète, c’est quelqu’un qui est disponible pour donner des conseils parce qu’à un certain niveau, il y a des gens qui veulent s’identifier à toi. Et en ce moment, tu as une lourde responsabilité sociale en montrant le bon exemple. Tu dois arrêter tes bêtises, si tu les faisais, parce que tu inspires d’autres personnes. Pour moi un bon athlète, c’est quelqu’un qui est conscient de ses responsabilités et qui fait tout pour rester le modèle qu’il doit être.

Et justement, quelle est ta journée-type ?

Je vais prendre une journée de la semaine par exemple et le weekend aussi parce que ce sont deux choses différentes. Alors, si je prends un jour ordinaire (lundi-vendredi), je me réveille à 7h30 parce que j’ai cours à 8h, le temps de prendre ma douche et rapidement un petit déjeuner. La Fac est à cinquante mètres d’ici (rires), je n’ai pas besoin d’une minute pour y aller en fait. Donc si je sors de ma chambre, je suis à la Fac. Je suis les cours de 8h à 12h 30. Et puis, j’ai cours de 14h à 17h. Donc à midi, je mange parce que la veille je fais ma cuisine. Je n’aime pas manger à la cantine parce que souvent c’est des frites, ce n’est pas forcément du repas pour un athlète. Le soir à 17h net quand les cours finissent, je viens, je me change, je prends ma voiture, direction le stade. C’est beaucoup d’essence. Je m’entraîne de 18h à 20h30. Je rentre autour de 21h, je fais des abdo (abdominaux), du gainage jusqu’à 21h30. Je me lave, je cuisine. Le temps de finir, il est 22h30 et je pars bosser (étudier) avec des amis. Je rentre dormir chaque jour à minuit ou minuit 10. Souvent, je cause avec les quelques personnes qui sont toujours en ligne jusqu’à minuit 30 et puis rapidement je m’endors. Mais pendant l’année c’est compliqué. J’ai juste 6h30 ou 7h de sommeil alors qu’un athlète devrait dormir entre 9h et 10h. Ce n’est pas toujours top. On doit faire avec.

Maintenant, le weekend, c’est un peu différent. On m’avait sollicité pour entraîner des enfants parce que j’avais fait une exhibition du triple saut et beaucoup de gosses étaient intéressés. Ils voulaient que je vienne les weekends leur donner des conseils. Étant donné que je n’ai pas de titre de coach, je ne peux pas coacher vraiment. Néanmoins, j’ai une certaine technicité, donc je peux donner des conseils. Les samedis, je vais donner des cours de saut aux enfants du club. Je rentre ensuite à midi, je dors et ma journée du samedi est gagnée. Je ne touche à aucun cahier. Le weekend aussi je ne travaille pas. Le dimanche, c’est la messe et la musculation. Ce ne sont pas forcément des journées faciles. Pendant les congés, c’est aussi différent. Je me lève le plus tard possible, j’ai 9h de sommeil. Je m’entraîne le matin, je m’entraîne le soir. Par exemple à Noël, je m’entraînais deux fois par jour. Ça m’a mis en jambes, c’est pourquoi j’ai pu faire certaines performances.

Avec le niveau de vie élevé en France par rapport au Burkina Faso, comment parviens-tu à supporter le coût de la vie ?

Au début, l’année dernière, c’était ma famille qui me soutenait ainsi que mon club. La Fac aussi m’a soutenu un peu. Je n’ai pas reçu un rond de la Fédération (Ndlr : Fédération burkinabè d’athlétisme, ni du pays. J’ai acquis une certaine confiance vis-à-vis de ma Faculté, surtout après avoir eu 17 de moyenne au cours de l’année. Ils étaient ébahis de voir que je pouvais aussi bien sauter que travailler en classe. Ils m’ont aidé en me signant un chèque. Sinon, mon club m’aide chaque mois. Et comme je ne travaille pas à côté, c’est un peu chaud. Maintenant, cette année j’ai eu une alternance avec une entreprise pour un sujet de recherche éventuellement pour continuer en thèse comme je suis déjà en master recherche. Je travaille au laboratoire pour cette entreprise. C’est mon salaire et puis le club qui permettent d’alléger ma famille, parce que mon frère aussi a commencé l’université, donc c’est chaud.

Développes-tu une sorte de collaboration avec les autres athlètes burkinabè qui sont en France ici ou au pays ?

Je connais quelques athlètes d’origine burkinabè en France ici mais en fait ce sont des Français (rires). Il y a des Kaboré, des Compaoré français. Je les connais, on se connaît. Et certaines personnes quand elles me croisent, elles me disent : ‘’Oui moi je connais le Burkina Faso.’’ Il y a beaucoup d’athlètes au Burkina qui me demandent des conseils, qui m’écrivent souvent. J’essaie de répondre au mieux à leurs attentes. Et donc si j’atteinds un certain niveau, on va voir comment faire pour aider certains athlètes.

Tu as assurément des projets que tu nourris en athlétisme ou pour les études à court ou à long terme. Pourrait-on en savoir un peu plus ?

En termes d’études, je vais commencer à partir d’octobre 2018 mon cycle de doctorat avec l’entreprise qui m’a embauché. Après ces années de thèse, je ne sais pas encore ce que je vais faire. Tout de suite pour l’athlétisme à court terme, l’année prochaine ce sont les championnats de Doa au Qatar. Là, il faut que je monte sur la boîte (Ndlr : le podium). Et aux JO 2020, mon objectif, c’est de monter sur le podium. Ça sera une première pour l’Afrique et ça sera génial. Après cela, j’ai quelques petits projets qui sont vraiment au stade embryonnaires. Je ne peux pas en parler d’abord mais l’idée c’est de voir avec des coaches en vue d’aider quelques jeunes qui ne sont pas mal en athlétisme, parce que c’est dur au pays, je le sais parce que je suis passé par là.

Pendant tes différentes compétitions, y a-t-il des Burkinabè qui viennent spécialement te soutenir ?

Quelques fois. Par exemple, l’année dernière, quand je suis allé au championnat du monde en Taïwan, je connaissais plein d’amis étudiants là-bas, je les ai appelés. Ils sont venus me soutenir pour ma demi-finale, ma finale. Surtout à Taïwan, il y a l’ambassade qui nous a accueillis, en Côte d’Ivoire aussi il y a les Burkinabè qui sont venus nous soutenir. En France ici, il y a quand même des gens qui connaissent le Burkina Faso. Surtout actuellement quand on parle de recordman, il y a beaucoup de personnes qui s’attachent à cela, du fait que je sois Africain, que je m’impose. On me soutient de partout. Et à la fin, il y a toujours quelqu’un qui vient me dire : ‘’Oui, en fait, moi j’ai déjà fait le Burkina en 1960. ‘’ Oui ça fait toujours plaisir.

En parlant du Burkina, tu suis certainement l’actualité, qu’est-ce qui t’intéresse particulièrement ?

Je lis surtout le Conseil des ministres. Pour l’actualité, je vois les problèmes de sécurité. Mais je pense que là, le gouvernement maîtrise de plus en plus le sujet. Je pense que dans cinq ans les Burkinabè vont commencer à voir un rayon de lumière.

Un message pour les jeunes de façon générale et ceux qui s’intéressent particulièrement à l’athlétisme ?

Déjà, la population burkinabè est très jeune. Moi j’invite fortement les jeunes à entreprendre. Il y a tellement de choses à développer au Burkina que c’est incroyable. Il n’y a pas les moyens mais avec les projets de développement du gouvernement je pense que les choses vont se débloquer. Mais il faut forcément que les jeunes entreprennent, il faut prendre ce risque. Il ne faut pas avoir peur. Je dis cela même si je n’ai pas encore entrepris mais j’ai quand même des idées et je sais que dans deux ou trois ans quelques idées vont sortir. Je germe des idées, j’espère que beaucoup le feront aussi, parce qu’il y a trop de choses à développer au Burkina.

Pour l’athlétisme, je dirai pour ce qui concerne l’Afrique de l’Ouest que le sport ne nourrit pas son homme. Mais le sport peut te pousser quelque part, dans des endroits où tu ne croyais pas entrer. Par exemple, je suis bien en classe, mais sans le sport en fait, j’allais rencontrer trop de difficultés. Mais ici, le sport est un facteur d’intégration, je connais tellement de personnes. Quand les chefs d’entreprises, pour mon stage, savent que je suis un sportif d’un certain niveau, le contact passe vite. Franchement, le sport est un facteur de rassemblement. Il ne faut pas penser tout de suite que le sport ne nourrit pas son homme. Il faut se dire que cela va forcément t’aider tôt ou tard. Ce n’est pas facile de développer le sport au pays, mais il faut avoir un certain niveau pour avoir ces avantages là. Et là, ce n’est pas simple, il faut serrer les dents.

Mot de la fin ?

Il faut que le gouvernement soutienne le sport. Il faut soutenir les jeunes, c’est vrai qu’il y a beaucoup de coins à développer mais je pense que le sport est nécessaire et ça vaut le coût d’être soutenu. L’ancien ministre des sports (Ndlr : Dr Tahirou Bangré) a déjà commencé, c’est pas mal, il avait des idées. Et j’espère que le nouveau ministre va poursuivre.

Yéroséo Kus, Béthune (France), pour Lefaso.net
domsonyar91@gmail.com



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