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Mutilations génitales féminines : Traduire les engagements en actes

mardi 13 février 2018.

 

Après plusieurs décennies de lutte contre la pratique des mutilations génitales féminines (MGF), il y a eu des acquis, mais force est de constater que la tolérance zéro tarde à se préciser.
A l’occasion de la célébration de la Journée internationale de tolérance zéro à l’égard des mutilations génitales féminines, le 6 février, des agences des Nations-unies, en collaboration avec les missions permanentes de plusieurs pays dont le Burkina, ont organisé à Genève, un panel autour de ce fléau qui affecte la santé de millions de femmes et de filles dans le monde.

L’objectif de cet événement était de « promouvoir un dialogue franc et ouvert avec un large éventail de responsables afin de souligner comment la volonté politique peut se traduire par des actions plus efficaces et durables vers l’abandon de MGF » et de se servir des expériences et leçons qui en seraient tirées pour apporter des contributions utiles à la prochaine résolution du Conseil des droits de l’homme sur la fin des mutilations génitales féminines.

Et l’une des premières leçons tirées de ce panel est qu’il est temps de passer à l’action. C’est en tout cas l’avis d’un vétéran de la lutte, le directeur exécutif du Comité inter-africain sur les pratiques affectant la santé des femmes et des enfants (CI-AF), Dr Morissanda Kouyaté.

« On a beaucoup de résolutions, on améliore chaque année. Ce que nous attendons maintenant c’est une sorte d’application de ces résolutions. Il faudrait qu’il y ait une partie un peu contraignante. Il ne s’agit pas d’envoyer des gendarmes de l’Union européenne en Afrique, mais que les régions puissent s’approprier ces résolutions et les mettre en œuvre. L’Asie pourrait faire ça au niveau des pays asiatiques, l’Europe pourrait le faire. Il peut y avoir des échanges entre les régions, mais ce serait bien que les résolutions soient d’abord consommées par les régions. Voila ce que nous attendons et il faudrait que ce soit un peu coercitif », a-t-il notamment affirmé.

Mais les panélistes s’accordent tous à reconnaître le caractère indispensable de la sensibilisation. Les femmes, les gouvernants, les leaders d’opinion (chefs coutumiers et religieux), mais aussi et même surtout les hommes, pour qu’ils deviennent des agents de changement. Parce que, explique Solomon Amare Zewolde, parent et activiste contre la pratique des MGF établi au Royaume uni, « l’excision est faite sur les femmes, mais pour les hommes ».

S’il est maintenant établi que la fin des MGF est une décision politique, l’on se rend de plus en plus compte que la volonté politique doit nécessairement être soutenue par une adhésion populaire. La sensibilisation devra donc être dirigée en priorité sur les communautés qui protègent souvent la pratique des MGF, en lien avec leurs traditions. Et sans engagement communautaire, les chances de succès sont ténues.

Cette sensibilisation devra en outre tenir compte de beaucoup de paramètres pour éviter de susciter des tentatives de contournement comme la médicalisation des MGF en cours dans certains pays. Pour Morissanda Kouyaté, la médicalisation est une conséquence perverse des premières formes de sensibilisation. « Au début, explique t-il, nous avons commencé par parler du coté purement sanitaire, à savoir les hémorragies, les infections, le tétanos. Et en réaction à cela, les populations se sont dit qu’en allant faire ça à l’hôpital, elles pourraient éviter ces conséquences de l’excision. C’est devenu un grand problème, mais je pense qu’il est plus facile d’agir au niveau des agents de santé. Il suffit de leur expliquer pour qu’ils comprennent de quoi il s’agit. Et s’il le faut, on peut être contraignant, répressif ».

Une approche holistique

Le Burkina a choisi, en plus des autres groupes sociaux, de s’adresser aux jeunes, en intégrant la thématique des MGF dans les curricula d’enseignement au primaire et au secondaire, ainsi que dans les écoles de formation professionnelle. Des acquis engrangés grâce à « la volonté politique affirmée pour l’élimination des MGF et notamment l’implication personnelle des plus hautes autorités », a relevé le représentant de l’Ambassade du Burkina au panel, le Deuxième conseiller Samson Arzouma III Ouédraogo.

Solomon Amare Zewolde, l’activiste anti-MGF préconise une approche holistique pour espérer rallier le plus grand nombre de voix à la lutte, parce que « les MGF ne sont qu’une forme de violence, dans un spectre très large de violences faites aux femmes ». Pour lui, l’engagement communautaire dépendra de l’organisation et de l’éducation.
Sohkna Fall, leader communautaire en France, travaille au renforcement des connaissances des leaders communautaires pour un changement de comportement. Pour elle également, combattre l’ignorance est une des clés du succès. Mais cela doit passer par une prise en compte des demandes des femmes.

Elle préconise l’empowerment des femmes qui, selon elle, ont tellement de préoccupations que l’excision devient secondaire devant les problèmes du quotidien. Sokhna Fall a déploré le fait que les projets de sensibilisation soient courts, alors que « le changement de comportement nécessite du temps ». Le problème est que chaque année qui passe est une année de trop et les victimes des MGF se comptent par millions. Pour le directeur exécutif du CI-AF, la pratique des MGF recule « mais pas aussi vite qu’on le voudrait ».

« Quand vous considérez la lutte depuis le départ jusqu’à maintenant et les résultats obtenus, nous pensons que cela se passe plutôt bien. Il faut tenir compte du fait qu’il s’agit d’un changement de comportement et cela prend du temps. Nous sommes patients, mais nous voulons aller plus vite maintenant, pour ne plus compter 30 ans encore. C’est trop », a-t-il indiqué.

Mathieu Bonkoungou
Ambassade Mission permanente du Burkina à Genève

Légendes photos :

- Une vue du panel
- Samson Arzouma III Ouédraogo, représentant l’Ambassade du Burkina
- Morissanda Kouyaté, Directeur exécutif du CI-AF