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Situation des migrantes et migrants en Libye : Le silence coupable de la société civile africaine

Par Stéphane Ségara-Simporé Critique Sociale – Féministe
samedi 18 novembre 2017.

 

Stéphane Ségara-Simporé est le signataire de la tribune suivante où il dénonce le racisme contre les Noirs. En s’appuyant sur le cas des migrantes et des migrants en Lybie, notre contributeur, tout en manifestant son indignation concernant les traitements inhumains que ces Africains et Africaines vivent, décoche une volée de piques contre les dirigeants et la société civile en Afrique, responsables selon lui de la situation.

La peau noire continue d’être criminalisée dans le monde. Depuis quelques jours, l’indignation est générale lorsqu’un média français a fait un reportage mettant en évidence pour la énième fois le calvaire des jeunes migrants et migrantes clandestins-es venus-es de divers pays africains en transit en Lybie. Au-delà du parcours classique des migrants-es clandestins-es, le reportage a mis le focus sur l’esclavage que subissent ces personnes en transit vers l’Europe.

En Effet, elles sont séquestrées dans des formes de cages et vendues aux enchères. Pour obtenir leur libération, les personnes qui sont déjà dépourvues de tout doivent contacter leur famille et lui demander, voire supplier de s’endetter pour payer. Les personnes dont les familles pour une raison ou une autre tarde à payer subissent des traitements violents, d’autres meurent des séquelles de leur supplice.

Il est inacceptable et incompréhensible qu’en 2017, l’être humain à la peau noire n’ait toujours pas retrouvé sa dignité et son rang d’humain à des endroits sur cette planète.
Notre colère est à trois niveaux :

  Le silence coupable des dirigeants-es africains-es et leurs multiples institutions.

  La cruauté de l’Union Européenne et la surdité de l’ONU,

  La nonchalance de la société civile africaine qui ne réagit que quand le ton est donné par « l’opinion internationale ».

Nous voulons nous focaliser sur ce dernier point. Nous nous interrogeons : Ce n’est que maintenant qu’on s’indigne ?

La question de la traite en Libye n’est pas nouvelle. Bien avant ce reportage, depuis des années, les personnes de notre pays et d’ailleurs de retour de leur aventure ont partagé leur expérience douloureuse face au racisme et à la violence raciale en Libye mais on est restés quasiment indifférent.

Pour quelques exemples récents :

En février 2016, L’Observateur Paalga écrivait le témoignage des migrants-es burkinabés rentrés-es de Libye en ces termes : « nous sommes devenus cet argent que nous sommes allés chercher ». Le quotidien burkinabé a interviewé Idrissa Kadiogo qui dira « qu’aux yeux des habitants de ce pays, ceux ayant la peau noire ne sont pas des êtres humains. »

Plus tard Avril 2017, chez SIDWAYA, on publiait que 154 burkinabé rentraient de leur mésaventure et racontaient : « On nous donnait l’eau salée de la mer pour boire. On faisait nos besoins dans nos geôles, et on était obligé de dormir sur un seul côté. Il suffisait que l’on réclame quelque chose (nourriture, ou se soulager) pour se faire tirer dessus. Nous étions 25 personnes incarcérées, 20 ont perdu la vie ». En précisant qu’Edouard Bambara (l’un des survivants) parle, lui, d’esclavage.

Toujours en Avril 2017, le site d’information sénégalais Info Direct parlait directement d’esclavage dans le titre de son article dont le contenu relate les récits des personnes. « Les gens vous font travailler sans vous payer. On est maltraité comme des esclaves, on vous vend, on vous frappe. Il y a champs d’oranges et de tomates là-bas, on vous y fait travailler sans être payé, c’est de l’esclavage », par Mamadou, migrant d’origine sénégalaise.

En terme de reportage télévisé, Ciné droit libre en avait parlé dans cette vidéo mais jusque-là, c’était un silence.

La colère est devenue soudaine que lorsqu’un média européen en parle pour qu’on reconnaisse enfin ces faits. Il aurait fallu ceci pour que le président nigérien, dont les concitoyennes et concitoyens sont directement mis en évidence dans ce reportage télévisé réagisse derrière un tweet. Pourtant ce qui se passe en Libye n’est pas un secret et la quasi-totalité des pays de l’Afrique de l’Ouest et certains de l’Afrique de l’Est sont concernés.

Ce qui est très troublant alors, c’est qu’en tant que personne noire, nous ne pouvons pas dénoncer par nous-même et être entendus-es sans la « validation » de la peau blanche ? Jusqu’où notre esprit continuera d’être autant colonisé et accepter cette condition ?

Nous attendrons qu’une émission de télévision comme « Envoyé Spécial » ou « Complément d’enquête » fasse un reportage sur l’esclavage en Mauritanie pour nous offusquer et demander à l’Union Africaine ou à la CEDEAO de cesser leur politique de l’autruche ? Pour avoir été à plusieurs sessions ordinaires de la Commission Africaine de Droits de l’Homme et des peuples (CADHP), nous avons vu et entendu des organisations de la société civile mauritanienne faire des déclarations sur la pratique de l’esclavage moderne dans leur pays. Que fait-on de ces déclarations ? Silence !

Devrons nous attendre que les médias occidentaux nous disent que les migrants-es et d’autres personnes de peau noire en Algérie voient leur domicile brûler ou se voit cracher dessus dans les rues pour enfin écouter les récits des victimes ? On ne trouvera pas une personne originaire de l’Afrique subsaharienne qui a fait un des pays du Maghreb et n’avoir pas été victime du racisme et de la violence qui y est liée dans ces pays. On se souvient encore de l’expérience douloureuse des Etalons durant les matchs de qualifications pour le mondial de 2014 avec les Fennecs.

Quelles crédibilités la société civile africaine accorde à nos médias locaux ? Quelles appropriations faisons-nous des informations qui parlent de nous, de nos réalités, par nous-même ? Quelles sont les responsabilités des médias africains à pouvoir s’engager et être entendus sur des sujets aussi délicats ?

Il est évident que la question de la résolution de la migration clandestine est totalement politique et que des responsabilités sont dans la gouvernance de nos Etats et la gestion équitable de nos ressources naturelles. Cependant, les façons d’en parler et d’en prendre conscience importent beaucoup dans le processus de détermination de solutions.

Par Stéphane Ségara-Simporé
Critique Sociale – Féministe



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