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Loi sur les projets Partenariat Public Privé (PPP) au Burkina : L’appel à la vigilance d’un de nos lecteurs

Par OUEDRAOGO N. Ousmane Bodo
dimanche 9 juillet 2017.

 

Suite au vote de la loi portant allégement des conditions d’exécution des projets PPP par l’Assemblée Nationale, la polémique est au paroxysme. La Majorité reproche à l’opposition et développe son argumentaire sur les retombées des projets en PPP pour les populations tout en fustigeant l’attitude va-t-en-guerre de l’opposition et la politique de la chaise vide pratiquée.

Nous pensons que l’opposition, pour ne pas compromettre sa bonne volonté et surtout la noblesse de ses récriminations à l’endroit de la Majorité, se doit d’être pragmatique et surtout garder son sang-froid et de la retenue pour ne pas prendre des décisions hâtives et poser des actes répréhensibles et contreproductives.

Donc, l’UPC (Union pour le progrès et le changement, parti de l’opposition, ndlr) en particulier ne doit pas commettre l’erreur de sanctionner les 2 députés « frondeurs » car cela relève de la beauté de la liberté individuelle et de la démocratie interne d’un parti, se réclamant des principes démocratiques et des valeurs du débat contradictoire, qu’eux-mêmes prônent par ailleurs. D’ailleurs, l’un des « récalcitrants », qui se dit guerrier, et donc doté de l’art de la guerre qu’est la stratégie, saura, avec son alter ego, tirer les leçons qui sied et faire son mea culpa ou s’auto destituer, par fierté et courage entièrement et consciemment assumés…

D’ailleurs, le CFOP (Chef de file de l’opposition politique, ndlr) a aussi ses partisans dans la Majorité (Laurent K. BADO) et il ne sera pas sanctionné je présume. Il a même été ovationné par les députés majoritaires, dans l’euphorie de la victoire déjà acquise, sans peut-être écouter entre les phrases et les allusions du téméraire gourounsi.

Et mieux, le Président du groupe parlementaire UPC (Daouda SIMBORO), lors de son passage à la TNB (Télévision nationale du Burkina, ndlr), a donné une belle réplique, bien à propos, à l’exécutif et à la majorité parlementaire, sur l’approche PPP, elle-même et surtout sur les risques de mal gouvernance que comporte la loi d’allègement des conditions d’exécution des projets PPP, en gré à gré surtout, au regard notamment des cas de corruption évoqués actuellement dans la presse et la récente seconde place de la passation des marchés publiques dans le « hit-parade » de la corruption du RENLAC.

L’approche PPP, qui occupe aujourd’hui (bien que n’étant pas le problème central posé par l’opposition) la « une » des médias et des réseaux sociaux, n’est pas une approche nouvelle en Afrique, ni au Burkina, encore moins en Europe. Ni d’ailleurs d’autres approches de développement utilisées par les Institutions de Bretton Woods.

On a encore en mémoire le Programme d’Ajustement Structurel (PAS), magnifié au début par de vaillants défenseurs et de « fins mais pseudo » experts occidentaux et africains, qui a vite montré ses limites criardes et surtout ses conséquences désastreuses sur les couches sociales les plus vulnérables (paysans, femmes, enfants, jeunes, etc.), les fonctionnaires et impacté les secteurs vitaux de base (santé, éducation, agriculture, etc.).

Comme le souligne si bien le Pr. Blaise MUKOKO, Doyen de la Faculté des Sciences Economiques de l’Université de Douala (Cameroun), « force est de constater que les politiques néo-libérales se sont non seulement révélées incapables de résorber les déséquilibres économiques de ces pays, mais qu’elles ont aussi précipité une grande partie des pays soumis à l’ajustement structurel dans une véritable spirale perverse de développement du sous-développement » (j’écorche volontairement de passage les convictions néo-libérales de Zéphirin DIABRE que je ne partage pas sur beaucoup de points).

Nous avons eu droit à d’autres approches à la pelle, comme « Genre & Développement », « Développement Durable », « Résilience », « Economie Verte », « Efficacité énergétique », et j’en passe, que nous africains, avons béatement, naïvement, voire volontairement adoptées et promues, et qui sont devenues des patates chaudes aujourd’hui entre nos mains, car non maîtrisées et avec ses conséquences sur nos cultures, nos valeurs et notre bien-être. Sans jamais, se demander si c’était la panacée. Honte à nos décideurs et politiques !

Au regard donc de ces précédents toujours d’actualité, pourquoi ne pas accepter aujourd’hui prendre des garde-fous nécessaires pour la mise en œuvre de ces projets PPP, d’autant qu’on regorge d’exemples d’échecs de PPP, ces dernières années, de catastrophes dans le monde, notamment en France (où nous africains, on fait toujours du couper-coller systématique) et surtout qu’on doit engager 7 000 milliards de FCFA sur 94 projets dont 38 pour ce coup-ci ? Et sachant que cette loi sur les conditions d’exécution des projets PPP ne résoudra pas les faibles taux d’absorption des financements des bailleurs de fonds (mais plus dans des aspects plus holistiques de la gouvernance), un des « alibi » donnés par l’exécutif pour l’adoption du gré à gré, censée être une exception, mais qui devient la règle dans leur démarche.

Pour une question majeure de vision, de principe, de bon sens, de sens du bien, de l’intérêt public et enfin de bonne gouvernance et de responsabilité historique, surtout après une « insurrection » qui a prôné le « plus rien ne sera comme avant », ayons le courage politique et la vision de prendre les précautions nécessaires et d’accepter les débats contradictoires et constructifs des filles et fils de tout bord de ce pays, et de reconsidérer nos positions figées, pleines de certitudes éphémères, car il s’agit de la vie de la Nation et de générations actuelles et futures.

Par ailleurs, il y a des enjeux de responsabilités sociales, de développement durable, de transferts technologiques, de sous-traitance, de questions juridiques, règlementaires, fiscales, avec des répercussions sur l’environnement (regardez la dérive écologique dans les sites miniers au Burkina !), sur les finances publiques, avec des milliards de FCFA que doit payer, tôt ou tard, le contribuable d’aujourd’hui et de demain.

Pour mémoire, revisitons quelques cas de PPP, non en gré à gré, mais avec respect des principes de la commande publique, notamment la publicité, l’égalité de chance et de concurrence. Et même avec ça, c’est ahurissant !

Le premier cas est celui du Centre Hospitalier Sud-Francilien (CHSF) en France qui a été un grand scandale financier et sanitaire à travers un PPP, signé avec le groupe Eiffage, prévu pour 30 ans, n’a pas fait long feu, car n’a duré que de 2006 à 2011.

En effet, ce cas, qui illustre bien les dérives d’une gestion court-termiste, totalement comptable et excluant toute démocratie sanitaire, avec des connivences avec Serge DASSAULT, Maire de la ville de Corbeil-Essonnes et Président du Conseil d’Administration de l’hôpital, a engendré un surcoût financier (344 millions € d’investissement initial ; 46 millions € de loyer annuel), des décisions contreproductives, une grande faveur au contractant privé au détriment des finances publiques (interdiction de faire des travaux, des réparations et de la maintenance pendant 30 ans, avec un autre prestataire et c’est Eiffage qui encaisse le règlement des factures...dont il fixe le montant, et à l’issue des 30 ans, l’hôpital devient propriétaire du bâtiment et le privé l’entretien toujours), une absence de transparence donc et une catastrophe sanitaire ubuesque (7 000 malfaçons ou dysfonctionnements constatés par huissier à la réception de l’hôpital).

L’intérêt général a-t-il été sacrifié par les autorités de tutelle de l’époque pour satisfaire des intérêts particuliers ?

Le cas suivant, PPP des portiques Ecotaxe avec ECOMOUV’ (collecte de la taxe écologique des véhicules poids lourd) en France, contrat sur 13 ans, a été finalement résilié, car empreinte d’absence de concurrence, de coûts élevés, de renégociation en cours de contrat, de marges bénéficiaires importantes pour le privé, de manque de transparence et avec le conseiller de l’Etat ayant des liens d’affaires avec le partenaire privé contractant. Beaucoup de marches, de portiques vandalisés et de dégâts sans précédents constatés en France. Et certains analystes pensent même, malgré la résiliation du contrat, que ce PPP a été une des raisons de la non réélection de Nicolas SARKOZY (alors réfléchissez-y, mesdames et messieurs de la Majorité, car rien n’est banal, ni pour les autres ici-bas).

Le troisième PPP est celui de la construction du Ministère de la Défense en France, un contrat de 27 ans avec Bouygues, de 2,7 à 4 milliards € et 100 à 150 millions de redevances annuelles, malgré la précaution de l’appel à concurrence adopté, n’a pas été mieux que les autres. En effet, coûts très élevés, difficultés de maîtrise du partage des gains, etc.

Enfin, plus près de nous, c’est le cas de l’emblématique bagarre entre Pan African Mineral (filiale burkinabè, Pan African Tambao) de Frank TIMIS et plusieurs Ministres des mines depuis Blaise COMPAORE, en passant par la Transition et toujours aujourd’hui, avec les recommandations de la Commission parlementaire sur les titres miniers et la responsabilité sociale des entreprises, même si d’aucuns disent que ce n’est pas un PPP (encore que ça y ressemble beaucoup !). Dossier en cours d’arbitrage au niveau international va, sans mettre le doigt au feu, sûrement et inexorablement finir par faire « saigner » les finances publiques avec des remboursements, des amendes et des dommages et intérêts à la clef.

Mais, comme dirait l’autre, faisons du PPP, mais en « Partenariat Public Peuple » comme au bon vieux temps de la Révolution d’août 83, avec la Bataille du Rail qui a amené le train de Ouaga à Kaya et qui a été un grand succès et une fierté d’homme intègre.

Dieu bénisse le Burkina.

OUEDRAOGO N. Ousmane Bodo
o_ousmane@hotmail.com



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